7. Juste une boule

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Mercredi 28 novembreCASSIE

Le réveil est difficile ce matin. Après notre câlin étouffeur, nous avons poursuivi la séance de visionnage des films de Noël. Et bien sûr, l’histoire du prince et de la roturière ne s’est pas arrêtée après les fêtes d’une seule année ! Non, nous avons continué notre marathon jusqu’à en voir les trois suites. Les unes après les autres, tout ça en suivant les péripéties de l’héritier et de la jeune couronnée.

Soirée qui a mangé une grande partie de notre nuit ! Et maintenant ? Je cours après le temps. Je fonce de droite à gauche, fouille dans mes affaires, pousse Eliott de devant le miroir dans la salle de bain, pour finir par arracher la tasse de chocolat chaud des doigts de Cole. Tout cela sous leurs regards ahuris. Mais alors que je m’apprête à filer, une idée s’installe dans mon crâne. Aujourd’hui, j’ai dit que j’allais la jouer subtil.

Pour le moment, j’ai juste abandonné le pull ridicule pour un chemisier noir avec un motif, flocons de neige. Mais… nous avons sorti les cartons de décorations pour l’appartement alors, je peux surement trouver de quoi égailler ma tenue. J’ai ? Dix minutes, top chrono ! Cole m’observe ouvrant la bouche, trop étonné par mes actions.

Comme je le comprends…

Mes fesses percutent le sol avec force et je tire à moi, le premier carton qui me tombe sous la main. Un coup d’œil m’indique que c’est celui dont j’ai besoin. L’inscription « boules » étant mon Saint Graal, ce matin. Mes doigts s’agitent, agrippent un morceau du ruban adhésif qui s’est détaché et je tire dessus. Le bruissement du carton qu’on déchire attire l’attention de mon second colocataire qui vient admirer le spectacle aux côtés de Cole.

— Elle joue à quoi notre Cassis ?

— Va savoir. Une nouvelle folie qui lui prend.

— Mais vous allez la fermer tous les deux ! Je cherche juste une boule ou deux ! crié-je fourrant mes doigts dans nos décorations.

— Elle est sérieuse ? Elle veut se la jouer sapin de Noël ? demande Cole en levant les sourcils tandis qu’Eliot hausse les épaules.

C’est une bonne idée, non ? Une boule sur une oreille, une autre sur la deuxième. Des paillettes bleutées et argentées qui se balancent en rythme, sur mes pas. Un large sourire illumine mon visage quand enfin, je trouve les deux perles rares. Elles ne sont ni trop grandes ni trop petites, et l’anneau d’argent qui nous permet d’habitude de les suspendre aux branches du sapin, va se glisser à merveille dans le cercle de mes boucles d’oreilles.

Dans un soupir, je me redresse, laissant dans mon sillage le carnage de ma fouille furtive. Les cris de mes colocs me pourchassent à l’instant où je franchis la porte d’entrée. Les représailles de ce soir vont être salées. Et merde ! Mes cheveux ! Ils n’ont aucune forme et je n’ai plus le temps de remonter pour arranger ce nœud qu’est ma chevelure.

Heureusement que je garde toujours un élastique dans mon sac. Mesure de sécurité d’urgence quand on a des cheveux qui ondulent jusqu’au milieu du dos. Sauvée ! Ni une ni deux, ma tignasse folle est enfermée dans un chignon lâche et je peux ainsi foncer au bureau. Mon écharpe sur le nez, ma veste ? Oubliée… Comme hier ! Et le froid de novembre qui s’infiltre sous le tissu de mon chemisier. Si je tombe malade, je suis foutue.

Ce n’est pas le moment !

Une dizaine de minutes plus tard, j’arrive sur la place juste en face de l’immeuble dans lequel je bosse à présent. Dans un frisson dût au vent frais, j’essaie tant bien que mal de me donner du courage pour cette nouvelle journée qui m’attend. Une respiration, puis deux et c’est parti ! Cette fois, mon pas est décidé, je me dois d’avancer pour remplir ma mission. Me voilà donc ouvrant la porte tout en me murmurant des encouragements :

— Ça va le faire, Cassie. Aujourd’hui, c’est plus discret alors il l’acceptera. Il faut qu’il accueille cette magie. Après tout…

— Jolies boules, petite sirène !

— Non, mais je rêve ! Comment tu fais pour toujours débarquer en mode furtif ? interrogé-je Éric alors qu’il me pousse légèrement.

— C’est mon superpouvoir. Je t’accompagne à ton étage, petite sirène ?

— Je vais survivre, merci.

Ma rencontre avec Éric dans le hall de l’entreprise ne fait que renforcer ma bonne humeur matinale. Et son air compatissant, alors qu’il tape dans une de mes boucles d’oreille avant de partir vers l’hôtesse d’accueil, ne me réconforte que plus dans l’idée que cet homme cache derrière son humour, un cœur en or. Un sacré plaisantin qui semble lire les gens comme des livres ouverts.

Mais le temps est venu pour moi, de passer les portes de l’ascenseur et de découvrir de quoi va être faite ma journée. Espérons seulement qu’elle soit moins tourmentée que celle d’hier. Bien qu’avec Ash, je m’attends à tout. D’ailleurs, le son de l’ouverture des parois métalliques m’annonce mon arrivée à mon étage. Mes pas s’activent et me guident sans mal vers mon bureau. Mes collègues me saluent avant de me laisser passer pour me permettre de rejoindre mon poste.

— C’est elle ? crache la première dans un murmure sur mon passage.

— Ouais, apparemment il lui aurait même préparé un chocolat. Et ça ne fait que trois jours qu’elle est là. Karine m’a assuré qu’il avait l’air contrarié. Et j’ai entendu dire qu’elle le tutoie.

— Quoi ? Sérieux ? C’est qui cette arriviste ? Madame De Cœur est au courant ?

— Je ne pense pas, non. En plus on le sait toutes, il faut plaire à Madame si on veut pouvoir jouir du fils, ricane-t-elle alors que je leur tourne le dos.

Cassie, il te reste dix pas pour arriver, ne t’énerve pas. Mais merde, c’est quoi ces nanas ? Elles se croient chez le boucher ? Mon sang bouillonne dans mes veines, je dois vite prendre mes distances sinon je ne donne pas cher de leur beau sourire de poupée. Surtout quand elles me donnent l’impression d’apparenter Ashley à un vulgaire morceau de viande. Mes poings se serrent sous l’écho de leurs gloussements.

Elles ne sont pas croyables ! Je ne comprends même pas pourquoi Ash les garde… Ou bien, si. En un regard en arrière, je saisis. Leurs culs ! Ronds, rebondis et surtout mis en valeur dans deux jeans slim. C’est la partie du corps humain, qu’il préfère. Un grognement m’échappe alors que mes sourcils se froncent. Et évidemment, c’est le moment choisi par Ash pour faire son apparition.

Je l’entends d’ici les saluer d’un « mesdames » crispé tout en les contournant. Si j’en suis soulagée, la rage prend le dessus quand je remarque qu’une fois dépassées, il se retourne pour apprécier la vue. Super ! C’est le pompon ! Et ce spectacle ne m’enchante pas du tout, loin de là. Mais quel petit CON. D’ailleurs son air satisfait s’efface de son visage à l’instant où son regard croise le mien.

Tant mieux !

Je n’ai pas l’intention de lui rendre la journée agréable, juste de faire entrer Noël par n’importe quel moyen. Et aujourd’hui, j’ai décidé de la jouer calme. Juste des boules pendues à mes oreilles, telle une décoration sur un sapin. Je m’installe, prête à attaquer mes occupations, j’essaie de faire abstraction de ce que je viens d’entendre. Sauf que… Ash, lui, ne se contente pas de traverser le couloir et d’aller à sa place.

Trop facile

Il préfère largement se pointer droit comme un piquet devant moi et attendre les bras croisés. Quoi, encore ? J’ai une crotte de nez qui pend ? Ah non, non ! Je ne crois pas, je n’espère pas. D’une main, je viens frotter le bout de mon nez avant d’oser croiser ses pupilles. RAS. Enfin, je crois ? Parce que vu le visage haineux qu’il a, je ne suis pas certaine de sortir vivante de cette entreprise.

— À quoi tu joues, bordel ? m’agresse-t-il sans la moindre politesse.

— Bonjour, Ashley. Je vais bien, merci et toi ? J’ai passé une agréable soirée avec mon frère et mon meilleur ami. J’espère que la tienne a été bonne. Ah attends, j’oubliais que toi, tu ne dois pas apprécier les soirées films aux douceurs de Noël. Non, tu préfères largement les fesses qui se trémoussent dans les couloirs de ton entreprise.

— Charmant.

Tout comme toi, CONNARD ! Purée en trois jours, je l’ai plus insulté qu’en onze ans. C’est dingue qu’il arrive à ce point à me faire sortir de mes gonds. Passant inlassablement du chaud au froid. Bien que là, on soit plutôt du côté de la chaleur vu la sensation de brûlure que je ressens sur mes joues. Ces traitresses ne me laisseront donc jamais tranquille.

Je profite de la sonnerie du téléphone pour lui tirer une grimace. Lèvres étirées, langue sortie, la recette parfaite pour réussir à donner naissance à un léger sourire sur l’armoire à glace face à moi. D’ailleurs, un rire moqueur m’échappe alors que je décroche enfin le combiné sous le regard ahuri d’Ash. OK, je risque gros, mais c’était tellement tentant. Je ne pouvais pas passer à côté de cette occasion.

Gardant mon attention sur lui, je réponds dans le vague à mon interlocuteur. C’est Vince qui me demande si son pote pourra le rappeler une fois qu’il aura allumé son ordinateur. Mais pour cela, il faut d’abord qu’il se déplace et contourne la paroi vitrée qui est censée nous séparer. Sauf que non… il m’examine la tête penchée et triture la peau de sa lèvre inférieure. Lèvre tout à fait attirante et pulpeuse.

Je me demande si elles ont le même goût que dans mes souvenirs. Sucrées ? Avec cette passion fougueuse et insaisissable que je lui connais ? Ou alors le coureur de jupons a pris des habitudes dont j’ignore tout. Ce qui est d’autant plus probable. Merde, Cassie ! Je perçois en fond les appels de Vince que j’avais totalement oublié l’espace d’un instant. Purée… Mes démons sont toujours les mêmes, LUI.

— Je lui dis. OK. Merci, Vince, répliqué-je entre mes dents alors que le responsable des ressources humaines me souhaite bonne chance avec Ash.

De la chance ? Je vais en avoir besoin. Surtout que Crève-Cœur semble avoir décidé de m’emmerder jusqu’au bout. Et puis quoi ? Les boules d’oreille, c’était trop ? Faut avouer que non. Elles ne font pas de musiques et ne sont pas laides ! Donc, il n’a rien à dire. En revanche, son cul qui s’installe sur mon bureau, ça me dérange. D’autant plus quand sa main se place sous mon menton pour relever mon visage vers le sien.

— Alors tu veux bien m’expliquer ce que tu cherches à faire avec ces paillettes à vomir ? me demande-t-il en approchant ses lèvres de mon oreille droite.

— Je fais entrer Noël à ma manière ?

— Oh putain ! Elle va toutes me les faire !

— Elle a un prénom et est surtout entre tes doigts ! grogné-je en secouant la tête et l’inclinant sur la gauche.

Je compte sur cet effet de mouvement pour lui faire lâcher prise, mais c’est tout le contraire qui se déroule. Au lieu d’éloigner sa peau de la mienne, il paraît surpris par un détail que je ne perçois pas. Aurais-je oublié un élément ? Un indice sur qui je suis ? Et s’il s’en rappelle, est-ce si grave que ça ? Oui ! Carrément ! Je ne serais pas capable de lui expliquer pourquoi on se retrouve dans cette situation.

Avant que j’amorce une réaction pour me libérer de sa prise, Ash vient de ses doigts libres caresser la partie fine de mon épiderme juste derrière mon oreille droite. Les yeux concentrés sur ce qu’il analyse, je succombe à la sensation de son toucher sur ma peau. Des frissons agréables glissent sous la pression qu’il applique et je me perds presque dans cette envie d’entrelacer mes bras autour de son cou.

Mais la confusion que je lis dans son regard m’empêche de faire le moindre mouvement. Celle-ci s’exprime dans un murmure presque indistinct au moment où son attention revient sur mes iris qu’il capture dans ses émeraudes :

— Qu’est-ce que…

*

ASHLEY

C’est une blague, une vulgaire plaisanterie qu’elle s’acharne à répéter chaque jour. Je l’avoue volontiers, elle a eu la délicate attention de faire plus discret qu’hier. Mais des boules ? Des BOULES ! Et des paillettes, à vomir ! Comme si une licorne avait chié sur ces sphères qui pendent à ses magnifiques oreilles.

Et d’ailleurs, je pensais pouvoir en faire abstraction, mais non, il a fallu qu’elle me lance un regard de tueuse professionnelle alors que je remontais l’allée. Un océan de tempête qui m’a englouti pour mieux faire monter ma colère. Alors ni une ni deux, planté face à elle, je me suis lâché et bien sûr, elle a encore joué les innocentes.

Mais merde, le pire c’est qu’elle est craquante avec ses cheveux relevés. Alors ma main est venue sans que je le veuille attraper son visage. Sa peau douce est délicieuse sous mes doigts. Pourtant mes phrases n’en restent pas moins sauvages, tout comme ma réaction. Et alors qu’elle grogne pour tenter de me faire lâcher prise, je remarque un détail qui m’intrigue. Tournant sa tête de droite à gauche, elle me permet d’apercevoir un élément que je crois reconnaitre.

Cette marque…

Il ne me faut pas plus d’une seconde pour guider ma main vers l’arrière de son oreille droite. Dessiner le tracé de cette toile qui grimpe sur sa peau. Cette cicatrice, je suis certain qu’elle m’est familière. Mes sourcils se froncent quand je sens sous mon épiderme les traits clairs et palpables de cette marque, témoin de son passé. Mais merde, Ash ! La coïncidence ne peut pas être si grosse, si ? C’est déjà quoi ? La troisième ?

Cassie. L’étoile de son tatouage. Et maintenant… ça ? Cette empreinte claire.

Bordel, mec, c’est impossible ! Pourtant… elle pousse sa tête sur ma paume et cette chaleur, elle me percute en plein cœur. Stella. Je ne peux pas y croire. Elle est là ? Face à moi ? Non, non, non ! Certainement pas ! Et puis cette cicatrice, si c’est bien celle que je crois voir, c’est moi qui en suis l’auteur. J’analyse encore un temps cette marque avant de croiser son regard cristallin. Et cet électrochoc qui me prend aux tripes me bouleverse.

— Qu’est-ce que…

Ma voix ne poursuit pas ma question sentant la mâchoire de la rebelle sous mes doigts se crisper. Du coin de l’œil alors que mon attention reste concentrée sur l’arrière de son oreille, je remarque son regard suspect sur moi. Elle semble prendre conscience que mon esprit s’échappe loin d’ici. Dans un souvenir sombre et surtout plein de haine. Le matin s’efface pour laisser place au soir, mes seize ans s’installant avec violence dans mon cerveau.

« Cette femme a recommencé ! Non, mais sérieux, j’ai suivi toutes ses directives. Depuis toujours. Je fais tout ce qu’elle veut, passant des cours d’étiquette aux leçons de piano. Et quoi ? Il faudrait en plus que je lâche le dessin ? Le dessin ! Merde ! Ce sont les seuls cours que j’apprécie et cette vieille vipère voudrait que j’arrête ? Pourquoi ? En fait, je sais. Jeanne De Cœur ne supporte pas que mon père porte de l’intérêt à sa marionnette.

Je rage, grogne et marmonne alors que Vince, mon cher ami m’offre une bouteille de bière. Bravo la jeunesse ! Mon échappatoire en cette fin de semaine : mes quartiers libres à la maison. Et surtout les soirées que mes parents m’autorisent à organiser. Pourquoi ? Selon eux, même les gens aisés ont le droit à un peu de folies. Ma génitrice, elle, pense simplement que c’est un bon défouloir. Tout ce qui se passe au sous-sol reste au sous-sol. Drôle de manière de voir les choses.

D’ailleurs, elle ne comprend pas mon amitié avec Vince, le garçon qui vit deux rues plus loin dans une baraque qui fait la moitié de la taille de la nôtre. Moi, je m’en contrefous d’où il vient ! Nous deux, c’était une évidence. Une amitié née, comme on dit. Mais là ce soir, même lui ne pourra rien changer à ma mauvaise humeur.

Bordel ! Elle m’a sorti ça comment déjà ?

Au placard les gribouillages, Ashley. Tes feutres, tes crayons, tes peintures, tout aura disparu demain, Ashley. J’ai chargé Malory de monter ton bazar au grenier, Ashley. Ashley, Ashley, Ashley ! Putain de bordel de cul ! Elle ne peut pas me lâcher les couilles pour une fois ?

La vipère a craché son venin, comprend Vince en fixant son regard sur moi.

Mais merde ! Oui ! Et pire encore, je me sens étranglé sous ses ordres. Un vrai pantin de cire ! Une putain de poupée qu’elle modèle selon ses envies. Et ce prénom ! Elle le répète encore et encore, à tort et à travers alors qu’elle sait que je le déteste. Je ne le supporte pas, et surtout pas quand elle le prononce sous un ton de dédain absolu. Un serpent froid et venimeux. Et purée, pourquoi je porte encore ce foutu nœud papillon ?

J’attrape ce machin tout miteux et tire dessus jusqu’à ce qu’il se dégage de mon cou. Merde ! J’ai besoin de boire, d’évacuer la pression. Mes poings se serrent autour du tissu avant de le jeter à travers la pièce. Des gens dont j’ignore le nom l’évitent avant qu’il ne s’écrase sur le sol. Piétinez-moi ça, les gars ! Je ricane, rejoint très vite par Vince qui me pousse vers le canapé au milieu de la pièce.

Une fois assis, toujours sur les nerfs, ma jambe bat sur un rythme effréné alors que j’observe les va-et-vient des adolescents du quartier. Super, Stella n’est pas là. Au moins une qui évitera les dégâts. Sentant que je perds pied, Vince cogne dans ma bouteille pour m’aider à me reconnecter à la réalité. Un sourire en coin m’indique qu’il compatit, mais je m’en balance, j’aimerais juste pouvoir pour une fois couper mes fils et m’enfuir.

C’est quoi ? La journée avec ton père qui l’a contrarié ? Ou le fait que Stella occupe ta chambre et le sous-sol aussi souvent qu’elle le veut, sous son nez ? Tu te rebelles surement trop au goût de Madame.

Ne te fous pas de moi, Vince. Bordel ! Finis les arts pour moi. Ma mère pense qu’ils m’attendrissent et que c’est pour cette raison que Stella est encore là. Mais merde ! Elle le fait exprès de me pourrir la vie ! C’est de ma faute à moi, si j’ai une bite ? mon ton monte crescendo au fur et à mesure que j’explique ma situation à mon meilleur ami.

Il n’a pas encore rencontré Stella. Pas en face à face et pourtant il a déjà saisi ce qu’elle représente. Une vraie lumière au milieu de mon brouillard quotidien. Même Malory, ma nourrice de toujours, a ouvert grand les bras pour mon étoile. Alors pourquoi je me sens aussi merdique ? Pourquoi ma génitrice s’amuse-t-elle ainsi avec ma vie ? Ressassant encore les paroles de ma mère, mes doigts blanchissent autour de ma bouteille.

Une gorgée plus tard, je ferme les yeux et souffle un bon coup. Mais alors que ça aurait dû m’apaiser un minimum, ça ne fait qu’accentuer ma rage. Je bous de l’intérieur ! Ma jambe frappe toujours le sol dans un rythme cadencé et la main que Vince pose sur mon épaule me hérisse les poils. Une sensation d’impuissance m’englobe de part en part. Mon regard se braque sur lui d’un air menaçant le faisant levait les mains vers le ciel pour me prouver qu’il est de mon côté.

Mais c’était sans compter sur… Arnaud ! Ce petit con de fils de bourge qui vit en face. Un monsieur PARFAIT que ma chère MAMAN rêverait d’avoir pour fils, faute de pouvoir en faire son gendre. Il ne manquait plus que lui et son éternel costume taillé sur mesure. Putain, mais on a seize ans, mec ! Et je le sais, même avec ce truc tiré à quatre épingles, ce type adore faire la fête. Un avantage pour moi en temps normal, mais pas aujourd’hui. Surtout quand il affiche ce fichu air satisfait sur sa face.

J’ai entendu dire que tu arrêtes le dessin, fillette ! Quoi ? La petite fille à sa maman n’est pas contente ?

Ferme-là, Arnaud ! grogné-je entre mes dents.

Oh non, ma pauvre chérie, je n’en ai pas l’intention. C’est trop beau pour être vrai ! La petite marionnette qui exécute les ordres. Toujours sans rien dire, hein ? Tu râles, mais tu n’agis pas beaucoup. Elle est au courant la petite brunette qui t’accompagne ses derniers temps ? Attends, attends, ne me dis rien. Oh putain ! Pire qu’une poule mouillée ! Elle ne sait rien ! Elle ne t’a encore jamais vu après une discussion avec ta petite mamounette ! Elle est là ? Comment tu l’appelles déjà, laisse-moi réfléchir… Stella ? Oui, c’est ça ! STELLA ! Youhou, tu es là ? Non ? Eh l’étoile, tu es tombée du ciel, c’est bon ? Amène ton joli petit cul par…

Le long monologue d’Arnaud n’a pas le temps de s’achever. Ma bouteille est posée sur la table basse, mes mains sont à présent autour le col de ce connard. Putain, mais c’est qu’il me cherche ce bâtard ! Ses dents blanches s’offrent à moi dans un sourire satisfait. Non, mais je rêve, c’est qu’il apprécie le spectacle, en plus ! Je le secoue, sauf que je n’ai pas le temps de faire un geste de plus. Impossible alors que son poing fonce et rebondit contre ma pommette.

J’entends le cartilage de ses doigts craquer tandis qu’autour de nous, les corps se rassemblent. Merde alors ! Super journée, Ash… Son coup a fait son effet, ça me fait un mal de chien. Le pire, c’est que son rire qui emplit toute la pièce n’amplifie que plus ma fureur. Dans un grognement incontrôlable, je reprends mes esprits et saute sur un Arnaud de dos.

Nos deux corps se percutent, et tombent dans un bruit sourd sur le sol. Des pieds s’écartent de nous et le cercle se déplace avec nos mouvements. Nous roulons sur le sol, lui dessous puis moi. Il tire sur mes cheveux avant de replier sa jambe et me planter son genou dans l’abdomen. J’en reste sonné un instant, puis je me relève. Il veut vraiment la jouer comme ça ? Je hurle à travers la pièce, saute sur lui alors qu’il se redresse.

C’est tout ce que tu as dans le ventre, fillette !

Mais putain ! Tu vas arrêter avec ce surnom de merde ! enragé-je.

Ma vue se voile sous un nouveau gloussement de sa part. Il m’énerve ! Et il a profité de mon inattention pour me foncer dessus et me couper le souffle. Je tousse, reprenant tant bien que mal ma respiration. Ma main fourrage mes cheveux déjà bien en vrac, et je grogne de rage. Bordel ! Il a fait le tour de la pièce et est de nouveau à côté du canapé. Il s’amuse de mon visage déformé par la colère. Et l’assemblée semble suivre son humeur. Leurs sourires en biais et leurs regards fuyants sont la preuve qu’ils sont heureux d’être les témoins de notre affrontement.

Il n’y a que Vince qui tente de se mettre en travers de mon chemin et se retrouve la seconde qui suit le cul dans le moelleux des cousins du sofa. Il m’analyse, effaré, me suppliant de mettre fin à cette bataille inutile. Mais la tempête qui m’habite en décide autrement. Surtout quand Arnaud ose ouvrir la bouche une nouvelle fois :

Ta petite étoile, elle sait que tu peux être une vraie bête enragée ?

Mais tu vas la boucler, oui ? hurlé-je tout en avançant vers lui.

Alors quoi ? Tu vas m’empêcher de dire ce que tout le monde pense ici ? Regarde autour de toi ! ASHLEY !

Pas mon putain de prénom ! MERDE !

Je vois rouge. Ma rage m’embrouille carrément l’esprit et dans un moment de folie, ma logique se coupe du monde extérieur. Je n’ai plus de limite. Aucune. Et personne ne pourra m’arrêter. Quand je suis dans cet état, même Vince recule et n’intervient pas. D’ailleurs, son regard paniqué semble chercher du secours ailleurs. Un moyen de s’évader. Mais il n’y en a pas ! Il n’y en aura jamais pour moi ! JAMAIS !

Mes doigts se ferment autour de la bouteille que j’avais abandonnée sur la table en bois en face du sofa. Je hurle, m’époumone. La peau de ma pommette qu’Arnaud a frappée me tiraille le visage. Mes mâchoires se contractent et mes dents grincent pour intensifier cette sensation de douleur qui est la mienne. Une souffrance qui apparaît réelle face au monde, un tourment que je m’évertue de cacher chaque jour.

Arnaud se plante devant moi. Dix pas nous séparent. Et alors que ses lèvres s’étirent dans un sourire digne du Joker, j’arme mon bras. Je prends mon élan et la bouteille fuse dans la pièce sous la respiration retenue de notre public. Mais… mon projectile n’atteint pas sa cible. Putain ! Arnaud a le temps d’esquiver pour mieux s’enfuir sous le bruit du verre qui se brise. Une bouteille qui se fracasse contre le mur au pied de l’escalier qui mène dans cette pièce.

Et c’est la chute…

Stella.

Je murmure. Puis voyant qu’elle porte la main à son cou, je fonce. Merde ! Non, non, non ! Elle n’a rien, elle ne peut pas être blessée ! Ce n’est pas ce que je voulais. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Pourquoi elle me sourit ? Bordel ! Stella, tu arrives encore à être lumineuse alors qu’une bouteille de bière vient de se briser à deux centimètres de ta tête ? Ma respiration est saccagée, elle déraille sous mes pas qui foncent vers Cassie.

Et quand mon corps emprisonne le sien, je ne peux que crier dans ses oreilles :

STELLA ! Réponds-moi ! Tu as mal ? C’est ma faute… Stella ? Eh ! MERDE, CASSIE !

Tu sais que tu es drôlement sexy quand tu t’inquiètes ? murmure-t-elle au moment où je penche la tête pour examiner l’arrière de son oreille.

Elle est sérieuse ? Oui, elle est ! Mais elle est dingue, ma parole ! »

À cet instant-là, ses dents étaient venues mordre sa lèvre inférieure comme maintenant. Refaisant surface dans la réalité, je prends conscience qu’elle est ici. Face à moi, entre mes doigts comme à l’époque, depuis trois jours. Sauf que cette fois, ce n’est pas un morceau de verre planté dans sa peau que je découvre, mais plutôt une jolie arabesque blanchâtre. Une cicatrice dont je suis le seul fautif.

J’en dessine le chemin tout en concentrant mon regard dans le sien. Elle cligne plusieurs fois des cils, puis bloque son océan dans mes émeraudes. Sa respiration se cale sur la mienne. Mon cœur, lui, se perd sur une mélodie cacophonique. Son souffle chaud active un sentiment que j’avais oublié au creux de mon ventre. Ses lèvres sont pulpeuses. Et si elle n’arrête pas de les mordre, je me ferais un plaisir de lui faire lâcher prise.

— C’était ma faute, articulé-je en approchant mon visage du sien.

— Tu sais que tu es drôlement sexy quand tu t’inquiètes ? chuchote-t-elle en retour.

Cette fois, son sourire est presque victorieux. Il s’invite jusque sur mes lèvres, et sans que je contrôle vraiment mon corps, il amorce un mouvement vers elle. Je suis penchée au-dessus de son bureau, mon bras libre maintenant le reste de mon buste en suspens, mes doigts toujours en mouvements, sur sa peau douce, derrière son oreille. Nos souffles se superposent, se complètent.

Merde ! Comment j’ai pu renoncer à ces lèvres ? Mes sourcils se froncent, Cassie n’a esquissé aucun mouvement depuis que ma main s’est posée sur sa peau. Elle n’a pas bougé depuis que je me suis perdu dans mon souvenir. Elle soupire même quand elle capte, le pli sur mon front. De son pouce, elle vient appuyer dessus comme pour l’effacer. Cette femme, elle est aussi lumineuse qu’avant. Mais alors… Qu’est-ce que c’est que ce voile qui prend possession de ses yeux, muant le bleu de cristal au gris souris ? Cette teinte qu’elle arbore et qu’elle laissait autrefois apparaître quand la tristesse l’enlaçait.

— Stella.

Je l’observe. Elle ouvre la bouche, la referme. Son pouls palpite sous mes doigts. La confusion l’étouffe presque. Elle l’envahit, jusqu’à ce que mon envie de prendre ses lèvres me quitte pour être remplacée par une blessure déchirante. Nous ne pouvons pas, je ne peux plus lui demander d’être cette étoile qui éloigne mes ténèbres. Pas après ce que je lui ai fait, il y a onze ans. Merde, Ash, tu as totalement échoué…

— Ashley, je…

— Eh, petite sirène ! Tu n’aurais pas vu… oh ! MAIS NON !

Bordel, Éric !

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