13. Préparations

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Samedi 1er décembreCASSIE

J’ignore ce qu’il m’est passé par la tête. Sérieux ! Pourquoi j’ai accepté ? Mieux, pourquoi je lui ai promis qu’on ouvrirait toutes les cases de ce fichu calendrier ensemble ? À présent, je suis bloquée, prise au piège de mon propre jeu. Et pourtant, il y a cette flamme en moi, cette chaleur qui prend naissance au creux de ma poitrine, un feu qui s’anime pour recoller des morceaux trop longtemps éparpillés.

Au fond… ce n’est qu’un prétexte pour me rapprocher d’Ashley. Et c’est douloureux de se l’avouer. En fermant les yeux, je revois son visage qui s’est illuminé quand il a compris que mes paroles sont sorties plus vite que mes pensées. Mon cœur prenant le pas sur ma volonté sans même que je puisse le contrer. De toute façon, j’en suis persuadée, j’aurais fini par céder. Juste pour le jeu. Juste pour mieux faire entrer Noël dans sa vie. Mais aussi…

Pour retrouver cet adolescent que j’aimais, que je voulais sauver.

— Cassis ? Tu comptes sortir de ta planque ? C’est toi qui voulais qu’on décore l’appart aujourd’hui ! hurle El depuis le salon.

Merde ! Comment je vais leur expliquer qu’Ash a réussi à retourner le calendrier contre moi ? Comment, je vais pouvoir leur expliquer que je me suis retrouvée avec ce satané serre-tête sur le crâne alors que Crève-cœur en était le destinataire initial ? Je n’ai pas su résister, pas quand ses émeraudes ont brillé d’une lueur vicieuse, presque trop joueuse. C’était un appel à la débauche, un défi que je me devais de relever.

Un challenge, une confrontation qui m’a ramenée en arrière, durant nos années de relation. Entre provocations et retrouvailles, mélange de cris et d’embrassades. Une recette bien à nous que l’espace d’un instant, j’ai cru retrouver. Alors, j’ai sauté sur l’occasion. Mais je me suis enfoncée toute seule dans la merde. Et maintenant ? Je vais devoir assumer. Ce ne sont que vingt-quatre jours. Comme je l’ai dit à Léa : vingt-quatre jours, un Noël.

Donc aujourd’hui, c’est la première case et s’il veut qu’on l’ouvre ensemble, Ashley va être servi. Dans un soupir, je repousse la couette de mon corps, sors de la chaleur qui m’entourait et enfile ma veste avant de quitter ma tanière. Sous les cris de mon frère et Eliott qui me hurlent de me bouger le cul sans quoi, ils vont m’en tirer la peau pour m’obliger à venir les aider.

— Je suis là ! C’est bon ! J’ai le droit à un chocolat ? demandé-je avec une grimace pour le dernier mot qui m’échappe.

Nope. Pas tant que tu ne nous auras pas raconté la réaction de Crève-cœur face à notre cadeau.

— Sérieux, Cass, ne nous laisse pas dans le flou ! Déjà que tu es rentrée avec ce machin sur le crâne !

Cole. Je penche la tête sous son intervention. Fronce les sourcils avant de remarquer l’objet qu’il tient entre ses doigts. Les sapins sur ressort… Génial ! Je pensais être passée inaperçue, mais c’était impossible avec cet ornement de l’enfer au-dessus de mon crâne. Je me force à leur sourire, me dirige vers le canapé et m’y affale avant de tout leur débiter sans les laisser en placer une. C’est déjà assez humiliant comme ça !

Calme-toi, Cassie.

J’ai à peine le temps d’avoir cette pensée, que mon frère grogne. Il balance le serre-tête à travers la pièce tandis qu’Eliott, lui, vient se poser à mes côtés. OK, ça n’annonce rien de bon. Rien de bon du tout même. Surtout quand l’instant qui suit, le corps massif de Cole nous rejoint. Les trois mousquetaires sont réunis et le silence les accompagne. Enfin… jusqu’à une énième explosion de Cole.

— Tu lui as fait une promesse ? Je n’arrive pas à y croire ! Cassie, tu n’as donc rien appris de la première fois ?

— Cole, je t’en prie. Tu te répètes et tu ne m’aides pas. Je fais quoi pour ce soir ? ronchonné-je en observant l’écran noir de la télévision éteinte. Je me regarderais bien une tonne de films de Noël sous un plaid pour me planquer. Mais…

— Tu vas y aller. On n’en doute pas. Cass. On te connait. Une promesse ne peut être rompue…

— Et moi, je vous propose d’y réfléchir plus tard. C’est encore le début de l’après-midi et nous avons prévu de décorer chaleureusement notre colocation. Alors, je monte le sapin, Cole s’occupe d’installer les guirlandes lumineuses un peu partout dans la pièce et toi, tu mets ta touche de magie sur les branches vertes. Croyez-moi, la déprime ne nous fera pas avancer plus vite.

Eliott ! Parfois, il nous surprend et une seconde lui suffit à changer l’ambiance. Il se jette sur moi, m’attaque de chatouilles alors que je tente par tous les moyens de me dégager de là. Surtout que je suis encore en pyjama-short et que je voudrais me changer avant d’attaquer la mise en place de nos décorations. Rien qu’à cette idée, le nuage orageux de mes pensées s’éloigne pour laisser la lumière du soleil m’éclairer.

Nous rions en chœur quand Cole essaie de m’emprisonner les jambes alors que j’arrive enfin à me dégager de l’emprise de mon meilleur ami. Je cours loin d’eux, m'enfermant dans ma chambre. Un large sourire s’élargissant sur mon visage. Ils sont mes lutins de Noël ! Des magiciens qui, chaque fois, savent comment me faire changer d’humeur. Du moins, jusqu’à ce que l’image d’un blond à la musculature sculptée s’invite dans ma tête.

Merde ! Pourquoi il apparaît toujours à ce moment-là ? Cet instant où je me sens heureuse, où d’un coup, je me revois à seize ans… à notre second Noël ensemble. Lui, dans son costume bleu roi, et moi, dans ma robe vaporeuse. En parfait accord l’un avec l’autre, dans une nuance de cyan électrique qui m’a marqué. C’était aussi mon premier Noël avec ses parents… un réveillon unique, dans une famille peu ordinaire.

Les Terrence.

Je me racle la gorge à l’idée de cette soirée hors du commun. Ce repas à la fois merveilleux et cauchemardesque. Mais avant que je n’y replonge, je suis happée par la réalité et le tambourinement d’un poing sur la porte de ma chambre. Décidément, on ne peut pas être seule dans cet appartement ! Quoique… je remercie déjà celui qui vient d’interrompre un plongeon que je ne suis pas encore prête à faire.

— Cass ? Le sapin, à gauche ou à droite de la télé ? Cole pense que c’est mieux à gauche, mais il y a la porte de ton atelier et ta bibliothèque de ce côté.

— Quoi ? Eh ! À droite ! On a dit qu’il serait mieux dans le coin de la pièce. Au moins, on le voit en entrant, et dans la journée, il sera aussi illuminé par la lumière extérieure. Celle qui passe par la fenêtre ! Tu rigoles ? El !

— Désolé, Cassis. Mais c’était trop tentant.

D’un pas rageur, j’ouvre la porte et lui fonce dessus. Je le frappe sur le torse et le contourne pour filer dans le salon. Cole quant à lui s’active déjà à installer les guirlandes lumineuses aux quatre coins de la pièce. Une autour de chaque montant de porte, une plus courte et unie sur le meuble de la télévision, une autre sur la banquette en bois incrustée devant la fenêtre. Et bientôt, je l’accompagne pour transformer notre appartement contemporain en une véritable maison du Père-Noël.

Très vite ou plutôt trois heures plus tard, nous nous jetons tous les trois autour de l’ilot de la cuisine ouverte sur le reste de la pièce à vivre pour en admirer notre œuvre. Ici et là, des lumières multicolores qui clignotent dans des cadences similaires. Un peu plus loin, sur un mur d’habitude entièrement nu, nous avons accroché une cordelette en lin sur laquelle pendent trois grosses chaussettes rouges portant nos prénoms.

Et bien sûr, quand on se tourne vers la droite de la pièce, nous tombons sur notre majestueux sapin. De deux mètres cinquante de haut, il touche le plafond ne nous laissant pas l’occasion d’y accrocher une étoile. Mais nous n’en avons pas besoin. Les boules argentées, bleu ciel et blanches qui prolifèrent à travers le duvet vert des branches suffisent à donner l’impression que la neige est tombée. Le tout est bien entendu, éclairé, par une longue guirlande étoilée dont cette fois, la lumière est fixe.

Descendant ainsi de la pointe de l’arbre jusqu’à son pied dans des nuances de bleu, vert, rouge et jaune. Et le clou du spectacle ? D’épaisses guirlandes d’argent et de blanc qui glissent autour du sapin l’habillant et le rendant que plus étincelant. Satisfaite, je tape dans mes mains puis frappe l’épaule de Cole suivi de près par celle d’Eliott. Ensuite, ni une ni deux, je me redresse et fonce sur notre machine à café.

— Un chocolat, ça vous dit ? leur demandé-je gaiement.

— Carrément !

Ils me répondent en chœurs. Et nous profitons tous les trois du reste de notre journée, enfoncés les fesses dans le sofa devant de bons vieux classiques de Noël. Les heures défilent, et un nœud grandit au creux de mon estomac. Il me tord les tripes tant j’appréhende la soirée à venir. Au fond, ne me jetais-je pas toute seule dans les mailles du filet ? Je renifle face au dernier générique qui défile. Une histoire d’un père qui revit la même journée en boucle jusqu’à ce qu’enfin il comprenne que l’amour est la solution pour qu’elle s’achève.

Si seulement c’était si simple.

Dix-huit heures, c’est le moment pour moi de m’éclipser dans ma chambre et de choisir ma tenue. Mais alors que mes pas me guident jusqu’à celle-ci, j’entends dans mon dos, ceux de mes deux compères. Mes mousquetaires inséparables. Et bien que je n’aie pas vraiment besoin d’eux, je les laisse agir. S’immiscer dans ma chambre, se jeter sur mon lit et m’examiner du coin de l’œil.

En haussant les épaules quant au spectacle qu’ils m’offrent, j’ouvre en grand les portes de mon placard. D’un côté les étagères qui cachent mes jeans et divers pantalons, de l’autre mes robes, jupes et chemisiers. Sceptique quant à la tenue à enfiler, mes doigts se glissent vers ma nuque avant d’être stoppés net par l’intervention d’Eliott.

— Cass ! Tu vas finir par t’arracher les cheveux si tu continues ! Mets une robe, après tout, c’est samedi soir. Qui sait, tu passeras peut-être une soirée de folie.

— Folie, mes fesses ! J’ouvre cette case et je me barre.

— Ne fais pas ta rabat-joie. Tu meurs d’impatience de le voir ton bel étalon blond. D’ailleurs, j’y pense ! On pourrait t’accompagner ?

Quoi ? Non ! Hors de question ! Et pourquoi d’abord ? Ils s’attendent à quoi ? À ce que je cède ? Non, non, non. Ce n’est pas mon intention. Je veux juste tenir ma promesse. Ouvrir la case numéro un et m’enfuir, pour m’enfermer dans l’appartement en pyjama, sous la couette. Alors c’est ce que je vais faire… je crois. À moins que… peut-être que nous pourrions en profiter pour descendre à l’étage inférieur du Loch Ness.

Après tout, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de jeter un œil au décor en pleine soirée. La boîte, un samedi, doit être bondée. S’il le faut, je me faufilerais entre les gens pour y perdre Ashley. Le dos tourné face à mes mousquetaires, ils ne remarquent pas le sourire malicieux qui s’impose sur mon visage. Par contre, ils perçoivent sans mal, le gloussement qui m’échappe.

Merde !

— Sœurette ?

— Eh bien… une robe me semble être une bonne idée. Mais j’hésite. Vous pensez qu’il réagira comment si je débarque avec la vermeille ? Vous savez, celle avec les épaules dégagées par la dentelle blanche et qui vient se perdre ensuite au-dessus de mes genoux avec le même motif ?

— T’es sérieuse ? Tu veux sortir la mère Noël ?

— Hors de question !

Les paroles de El et de Cole fusent à la vitesse de l’éclair. L’un semble excité à l’idée que je provoque une fois de plus Ash alors que le second sort de ses gonds, prêt à se jeter sur moi. Pourtant, quand je me retourne vers eux, le nez froncé, j’hérite de rires joyeux et puissants. Décidément, nous formons un drôle de trio. Et ce ne sont pas les deux hommes allongés de tout leur long sur mon lit qui diront le contraire.

Le duo infernal porte d’ailleurs son attention sur moi quand d’un mouvement, je hoche la tête pour signifier à mon frère que quoiqu’il en pense, je vais suivre le conseil d’El. Après tout, qu’est-ce que je risque de plus ? Rien. J’espère. La robe en main, je prends tout de même conscience que le tissu est fin et ne me portera pas chaud. À cette constatation, je grommelle, marmonne, ronchonne et balance la tenue sur Cole.

— Il me faut des collants, une veste, une écharpe. Je vais avoir froid ? Et si je dois passer la soirée avec lui ? Vous pensez qu’on va danser ? J’en ai envie d’ailleurs, de danser avec lui ? Et puis, s’il me pose un lapin ? Si c’était encore un piège ? D’après vous, il serait capable de me planter un poignard dans le dos comme ce soir-là ? Non, impossible. C’est vrai quoi ? Nous ne sommes plus du tout dans la même situation, notre relation est différente. Hein ? Je fais quoi ? Dites-moi ! Je… je…

— Calme-toi. Viens-là. Respire, ce sera un bon début. Ensuite, Cole ici présent, va attraper son portable et envoyé un message sur le groupe avec les filles. Et nous te suivrons. S’il y a le moindre souci, si Crève-cœur ne se pointe pas, alors tu ne seras pas seule. Et on noiera ta tristesse en profitant de l’ambiance de la boîte. C’est compris ?

Si j’ai compris ? Je l’ignore. Mais l’intervention et la voix apaisante d’El ont le don de faire baisser ma tension. C’est dans un souffle puissant que mes fesses s’enfoncent sur le devant de mon matelas. Et je n’ai pas le temps de réagir que déjà, Eliott me serre la taille tandis que les doigts de Cole pianotent sur son portable pour informer les filles de notre destination pour la soirée. Quand il termine, nous recevons El et moi, la copie du message de mon frère.

Et les réactions des filles ne se font pas attendre. D’abord Sandy qui hurle de joie et me conseille de sortir la tenue de « bombasse », enfin… elle écrit tout en majuscules alors j’imagine sans mal sa voix nasillarde nous briser les tympans. Puis vient Audrey qui malheureusement ne pourra pas venir. Une histoire de dossier important. Et enfin, celle de Léa. Elle est plus calme, mais assure qu’elle ne ratera ça pour rien au monde.

— Tu vois, il n’y a pas de quoi t’inquiéter, annonce Eliott en relâchant ma taille et plaquant ma robe entre mes mains. Maintenant, file sous la douche ! Tu sais à quelle heure vous devez vous retrouver ?

J’ouvre la bouche, la referme, ne sais pas quoi lui répondre. Et alors que je m’apprête à me jeter à nouveau sur mon lit avec eux, mon portable sonne. Cette fois, c’est le seul à émettre un bruit ce qui attire tous les regards vers l’objet qui se cache sous le tissu vermeil de ma robe. Sous les sourcils interrogatifs de mes compères, je dégage l’une de mes mains et déverrouille mon écran. Écran que je lâche l’instant d’après.

Je n’y crois pas !

Il avait encore mon numéro ?

— C’est… enfin, c’est…

— Oui ? Crache le morceau ! s’agace Cole en ramassant mon portable et me le tendant.

— Ashley?

Son prénom sort sous forme de question alors je me contente de faire glisser mon doigt tremblant sur l’écran intact de mon téléphone. Et dans un geste tout autant hésitant, je le dirige vers mon frère et Eliott. Tous les deux se relèvent d’un bond, l’un se frotte la nuque tandis que l’autre semble encore plus joyeux de ce qui s’affiche sous leurs yeux. Pourtant, ce ne sont que de simples mots.

***

[Crève-cœur : Au fait Stella. Rendez-vous à vingt heures au Loch Ness pour l’ouverture de la première case.]

***

*

ASHLEY

Depuis ce matin, je tourne en rond dans mon loft. D’abord, en me levant et ouvrant les volets pour tomber sur ces fichues décorations de Noël, sur lesquelles, j’ai vite fait de tirer mes rideaux. Puis en fonçant sous la douche pour me libérer de la tension que j’ai pu accumuler cette semaine avant de finir une tasse de café à la main, le cul posé sur mon canapé, la télévision en face de moi allumée sur une chaîne de rénovation de maisons. Faute de mieux.

Hors de question que je passe ma journée devant des films de Noël tout mielleux et dégoulinant de romantisme. Une horreur que je n’ai pas l’intention de m’affliger. D’ailleurs, je ne l’aurais pas cru possible, mais chaque fois que je me suis levé pour aller me chercher un verre ou des cochonneries à grignoter, mon regard s’est perdu sur ce satané calendrier de l’avent que Stella a eu la gentillesse de m’offrir hier.

— Gentillesse ? Tu parles ! Elle voulait surtout te prendre au piège la petite brune, râlé-je en braquant une fois de plus mon attention sur le nez rouge du renne qui me nargue.

Une chose est certaine, je suis heureux que celui-ci ne chante pas. Pas comme celui dont le nez rond se situait au creux de ses seins en début de semaine. À cette idée, des images de son pull de Noël s’immiscent sous mes paupières et très vite, son haut s’efface pour laisser place aux souvenirs de sa peau hâlée. Son épiderme doux et doré sous mes doigts, la pulpe de sa poitrine dans mes paumes.

Je me délecte mentalement de ce fantasme. Allant même jusqu’à imaginer mes lèvres sur les siennes, emprisonnant ses halètements de plaisir sous nos baisers. Merde, je suis dingue, je deviens fou, c’est clair. Comment cette femme peut-elle me hanter autant alors que je lui ai brisé le cœur, il y a onze ans ? Comment pourrait-elle-même accepter mes mains sur son corps alors que je… Que je suis un parfait CONNARD ! Un coureur de jupons, un gosse de riche qui se délecte des femmes pour mieux les jeter.

Le pire, c’est que j’ai une trique d’enfer et que je n’ai qu’une envie : retrouver les bras de Stella, son odeur, sa lumière. Las, je passe ma main dans mes cheveux avant de les tirer en arrière. Je me sens à l’étroit dans mon jean, et… Merde ! J’ai l’impression d’être en manque, alors que quoi ? Cela fait juste une semaine que je n’ai pas touché le corps d’une femme. Espèce de pervers ! Oui, et alors ?

— Putain ! Elle me perturbe tant que ça ?

Son arrivée dans ma vie a tout bouleversé, à commencer par le calendrier. Celui-là même qui sans que je ne le veuille vraiment s’est matérialisé entre ses doigts. Stella. Une étoile qui tombe du ciel pour illuminer la vie de ceux qui l’entourent, mais je ne le mérite pas. Je ne suis qu’une marionnette, un pantin qui se pavane et couche avec tout ce qui bouge pour oublier la noirceur de son passé, de ces fils de fer qui l’attachent aux mains de sa propre mère.

Et voilà que je radote ! Sérieux ! Je tourne en rond comme un chien enragé, faisant les cent pas, et tirant sur mes cheveux une fois de plus. Mon excitation au placard d’avoir pensé à ma vipère de génitrice. Mon seul réconfort est celui de cette soirée qui s’annonce, avec l’ouverture de la première case et la découverte de ce chocolat avec Stella. D’ailleurs, avons-nous convenu d’une heure pour notre rendez-vous ?

Non ! Non ? Mais quel idiot ! Je l’ai prise au piège avec cette promesse, mais je n’ai pas eu l’idée de lui donner une heure ? Je suis à l’ouest, un vrai joueur qui oublie les règles du jeu. Peut-être… je sais quoi faire, seulement, je me demande si elle l’a gardé, si je suis toujours enregistré dans son répertoire, si elle a ne serait-ce que toujours le même numéro. Et je n’ai qu’une seule solution pour le savoir.

Je plaque mes mains sur la table, observe ce satané renne au sourire étrange et me décide enfin à chercher mon portable. Où je l’ai mis encore ? Pas dans ma poche, ni sur la table, ni même à côté de la machine à café, ou encore dans le salon. Dans la salle de bain peut-être ? Non plus… Je rêve ! Je n’ai pas d’amis ? Il faut croire, sinon mon téléphone ne serait pas encore branché à son chargeur, posé sur ma table de chevet.

Et dire que Éric a sauté au plafond en apprenant que ce soir, je retrouve Cassie pendant que Vince se contentait de hocher la tête d’un air entendu. Une folie ! Alors quoi ? Ils restent silencieux ? Ça en devient suspect. Mais passons. Pour l’instant, je me dois d’envoyer un message à Stella. Pourtant mes doigts hésitent à glisser sur l’écran.

Je tremble, frémis même en faisant dérouler mes contacts. Les noms défilent les uns après les autres, et j’ai l’impression que le temps s’étire tant celui de Stella tarde à venir. Depuis combien de temps ne lui ai-je pas envoyé de messages ? Autant d’années que celles qui nous ont séparés ? Oui. Bien que… Cassie a tenté plusieurs fois de me faire réagir, de lui donner une explication, de m’affirmer que je faisais une erreur, de m’assurer qu’elle serait toujours mon étoile pour finir par m’insulter, m’écrire des mots en majuscules pour mieux me hurler dessus par écrit.

Mais jamais plus, je ne lui ai répondu.

Pas depuis ce soir-là et ce fameux message.

***

[Ashley : Rendez-vous dans dix minutes à mi-chemin.]

[Stella : Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Ash, réponds-moi...

Je t’en prie, je peux encore être ton étoile. Mais ne laisse pas

ta mère prendre le dessus. S’il te plaît. Crois en nous. Je sais

que tu ne pensais pas les mots que tu as dits, ce soir-là. Tu étais… Seulement blessé et perdu. Mais je reste ton étoile. Non ?

Je ne veux pas croire ta mère ! Laisse-moi te voir !

Merde, Ashley ! Réponds ! Je ne suis pas qu’un jouet !

Je ne représente donc rien ? Tu n’as donc jamais eu de sentiments pour moi ? Jamais ?

Ashley… s’il te plaît.

Je te déteste !

CONNARD ! JE TE HAIS ! TU AS GAGNÉ, TU LIS ÇA ?

J’abandonne… Je n’en peux plus, Ashley. Je n’arrive pas à avancer. Mais j’en ai assez. Assez d’être la seule à essayer de te sauver. Sauf qu’une personne ne peut pas être sauvée si elle ne le souhaite pas.

N’est-ce pas ?]

***

Pourquoi ? J’aurais dû les effacer. Alors pourquoi ses mots sont encore là ? Pourquoi ils me font si mal ? Et surtout pourquoi une larme glisse sur ma joue. Dur rappel de ce passé que j’aimerais oublier, enterrer au plus profond de mon âme. Mais je le sais, j’ai salement merdé et je ne peux pas revenir sur mes pas. Alors, je ne touche pas à ses messages, ils sont la preuve de mon échec.

Le témoin qu’une étoile a sombré par ma faute.

Ma respiration est forte, haletante, mon corps percute le mur dans mon dos et s’affaisse sur le sol. Je suis pathétique, mes doigts autour de mon portable, l’autre main dans mes cheveux. Mon genou droit se plie et percute mon torse avant que les vannes ne s’ouvrent enfin. Cette fois, je n’ai plus de filtre, plus de barrage et mes joues s’humidifient d’eau salée, de cette pluie de larmes que je retiens depuis si longtemps.

Cette période était vraiment la pire de toutes. Un poids s’envole de mes épaules, je ne me sens plus si lourd, plus si triste non plus. Un peu, comme si le nuage de tempête qui me suit depuis ces jours terribles, venait de rétrécir. Et ma paume qui libère mes cheveux pour venir se poser sur ma poitrine est le signe certain que Stella n’y est pas pour rien. Six jours qu’elle est réapparue dans ma vie, six jours… et la lumière tente déjà de percer mes ténèbres.

Seulement, je ne comprends pas comment elle fait pour avoir autant d’influence sur moi. Pas après toutes ses années.

Je me racle la gorge, efface les traces de ma faiblesse et redresse la tête pour l’appuyer contre le mur. Pendant quelques secondes, je ferme les yeux et revois cette image de Stella, le nez emmitouflé dans son écharpe. Elle me sourit et me saute au cou avant d’écraser ses lèvres douces et pulpeuses sur les miennes. Merde… J’aimerais… Je ne peux pas. Mais avec le calendrier, j’ai peut-être une chance, même infime de retrouver ce que nous étions.

Alors je sors de mes souvenirs non sans une grimace et je déverrouille mon écran pour enfin écrire mon message à Stella. Elle ne met d’ailleurs pas très longtemps à me répondre. Et à vrai dire, ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Elle me surprendra toujours par le sens de ses priorités. Tout comme, elle a oublié de me reprendre sur la question de nos surnoms, ici, elle ne mentionne pas notre rendez-vous au Loch Ness. Trop préoccupée par le fait que j’ai encore son numéro.

***

[Stella : Tu as gardé mon numéro ? Pourquoi ?]

[Ashley : Je ne sais pas.]

[Stella : Si tu veux tout savoir…

Le tien a changé plusieurs fois de nom.

À tout à l’heure, Crève-Cœur.]

***

Pardon ? Je me frotte les yeux à diverses reprises pour être sûr de ce que je lis. Je ne rêve pas ! elle l’avait encore ? Elle l’avait encore ! Elle l’avait vraiment encore… Je me répète cette évidence en boucle jusqu’à ce que les mots prennent sens. C’est l’impulsion qui me manquait. Et à présent que je l’ai assimilé, je me lève. L’heure tourne, je dois me préparer. Enfiler une chemise, et surtout arranger mes mèches rebelles.

Cependant, j’ai à peine le temps d’entrer dans ma chambre que des coups frappent à la porte. Quoi encore ? Un coup, puis trois et de nouveau un seul. Oh non… Qu’est-ce qu’il me veut ? Ça ne lui suffit pas d’avoir décrété qu’il serait au comptoir avec Joe, ce soir ? Torse nu d’avoir balancé mon t-shirt en boule sur mon lit, d’un pas décidé, je fonce sur la porte et l’ouvre en grand d’un geste brusque.

— Entre.

— Quel plaisir de te voir ! Je te croquerai bien le téton ! Quoi ? C’est toi qui m’accueilles à moitié à poil, assume ces tablettes de chocolat que tu t’efforces d’entretenir ! Je peux tâter la marchandise ? Qui sait peut-être qu’avec un rapport de qualité sur son bureau la petite sirène te laissera une chance.

— Mais quel con ! Ne l’écoute pas ! Penses-y, elle va fuir si tu lui apportes un rapport écrit. Prends au moins des photos pour agrémenter le dossier !

— Non, mais ! Vince ? Toi aussi, tu t’y mets ? On est dans une autre dimension ?

— Surement oui. Sinon, tu n’aurais pas cette gueule de déterré pleurnichard ! hurle Éric en claquant la porte derrière Vince.

Je ronchonne, mais ça ne change pas grand-chose, le mal est fait, ils ont vu mes yeux rougis par les larmes que j’ai lâchées, il y a de ça cinq minutes. Je hausse les épaules, leur indique la cuisine pour qu’ils n’hésitent pas à se servir à boire et file pour enfiler ma chemise. La blanche, celle qui sous la lumière noire de la boîte s’illumine d’un bleu transperçant. Le même que ses yeux quand elle devient vicieuse.

Je toussote pour me remettre les idées en place alors que le membre serré dans mon pantalon s’affole. Reprends-toi, Ash ! Ce n’est pas le moment de s’exciter, surtout pas quand les regards accusateurs de mes deux amis tombent sur moi. Qu’est-ce que j’ai fait cette fois ? La réponse me percute de plein fouet quand Éric me balance le renne au nez rouge en pleine face. Je le rattrape de justesse et l’agresse avec une voix rauque :

— Fais gaffe, merde ! Stella va me tuer si le calendrier n’est pas en entier !

— Oh… et c’est si important que ça ? ricane le gaffeur en posant ses coudes sur ses genoux.

— Oui ! Bien sûr ! Bordel… Vous êtes là pourquoi ? grogné-je face à leurs sourires en biais.

— Observer ta défaite. Mon vieux, cette femme, elle détient ton…

Je coupe Vince avant qu’il ne termine sa phrase, trop peureux d’entendre la vérité.

— Je sais, ouais…

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