Acte I, Scène 5.
LA LUMIÈRE, LE DOUTE
Quand la lumière se rallume, Lumière est assise sur un banc, les mains jointes sur les genoux, l’air soucieux.
Un adolescent brun l’observe, penché sur scène depuis les coulisses.
LA LUMIÈRE
Voilà de bien amers poignards que les mots. Les siens me hantent encore et ont tâché mon esprit de noirceur. Quelle foi accorder à un débauché, un fourbe qui se gausse d’un rien et méprise tout.
Aucune !
Pendant qu’elle parle, l’adolescent s’est glissé subrepticement derrière elle. Il se penche et susurre à son oreille, avec un large sourire.
LE DOUTE
Et s’il avait dit vrai ?
LA LUMIÈRE sursaute.
Qu’as-tu dit ?
LE DOUTE
J’ai dit : et s’il avait dit vrai ? S’il n’avait pas menti ?
LA LUMIÈRE
C’est impoli d’écouter aux portes et de se mêler des affaires d’autrui.
LE DOUTE bondit souplement sur le banc et vient s’asseoir auprès de la Lumière, manifestement indifférent à ses reproches. Il affiche une quinzaine d’années, des vêtements rapiécés et une chevelure aussi drue qu’ébouriffée.
Il est vrai qu’il est trompeur, et jusqu’à ce jour, il a sans nul doute menti plus qu’il n’a respiré. Il rit. Mais si, en cette unique occasion, il avait été honnête, sincère ? Que se passerait-il si tu ne le croyais pas ?
LA LUMIÈRE, les sourcils froncés.
Lui sans moi et moi sans lui, une impossibilité ? Nous, liés ? Nous, unis ? Je n’entends là rien de sensé.
LE DOUTE, en aparté, victorieux.
Et c’est ainsi que titubent les certitudes. La voilà harponnée !
Il se tourne à nouveau vers Lumière.
Et si la vérité ne faisait pas sens ? Et si elle allait contre tout ce que l’on sait, ce que l’on croit ?
LA LUMIÈRE
C’est ridicule. La vérité est clarté. Elle est aveuglante, parfois, telle le soleil, mais fait toujours sens.
LE DOUTE s’esclaffe.
Toi-même tu en conviens, Lumière ! On ne peut la regarder en face.
Il se lève puis vient s’allonger face à elle sur le sol, un bras replié sous lui soutenant sa tête.
LA LUMIÈRE
Que fais-tu donc ?
LE DOUTE
Je t’offre tes doutes à contempler, puisque seule, tu préfères t’en détourner.
LA LUMIÈRE tourne la tête, les bras sous sa poitrine.
Je n’ai pas besoin qu’un enfant me fasse la leçon.
LE DOUTE
Es-tu si peu clairvoyante que mon enveloppe charnelle te suffise ? Je ne suis ni enfant, ni vieillard, ni homme, ni femme. Je suis ancestral et pourtant je nais à peine. Je hante les sages plus que les fous, les aveugles comme les sourds. Tous se prennent dans mes filets et piégés, s’y débattent. J’interroge, je questionne, je torture, je réveille même dans les bras de la Nuit. Mes appâts ne sont pas de ceux que l’on dédaigne. Il faut être bien stupide ou épris de soi-même pour m’échapper.
Serais-tu vaine, Lumière ?
Le doute affiche un air aussi moqueur que provocateur. Il se redresse, se plie en une courbette gracieuse et sort.
Depuis les coulisses, sa voix résonne.
Maintenant, tu m’appartiens Lumière ! Mon chalutier de questions est ancré dans ton coeur tendre. Comment t’en défaire ?
Doute, désormais !
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