Chapitre 12 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, Kol Sak, Mor Avi.

Kol Our fut de nouveau sur pied dès le lendemain matin. Je le croisai au détour d’un temple, occupé à arroser un petit arbuste en pot. Comme il était concentré sur sa tâche, je restai silencieuse et attendis qu’il remarquât ma présence.

— Bonjour, Alice, finit-il par souffler en se relevant.

Il vérifia le niveau d’eau dans son arrosoir puis posa ses étonnants yeux cuivrés sur moi. Avec un sourire affable qui plissa ses paupières, il me fit signe de le suivre. Comme j’étais sortie pour profiter du jour naissant et d’une petite balade dans les jardins, je m’exécutai avec entrain. D’abord en silence, nous remontâmes le chemin de graviers vers le temple le plus éloigné – et le plus petit. Divers instruments de mesure apparaissaient et disparaissent tandis que nous traversions les pelouses entretenues et les buissons taillés.

— Vous avez l’air en forme, déclarai-je d’un ton soulagé en observant le visage paisible du Gardien. Je craignais que notre discussion de la veille avec Kan vous ait épuisé.

— Tout va bien. Comme je vous le disais, j’ai autrefois beaucoup prêté mon corps à Kol. Votre échange avec Kan n’a pas été très long ; une bonne nuit de sommeil et la vie reprend son cours.

Amusée et étonnée par la légèreté de son ton, je haussai les épaules et grimpai les marches du petit temple à sa suite. Au ras des murs étaient disposés des dizaines et des dizaines de petits pots de fleurs dont les parfums mélangés donnaient mal à la tête. Kol Our commença à en arroser puis arriva vite à court de réserve.

— Vous ne maîtrisez pas l’eau, n’est-ce pas ? Je vous aurais bien demandé de remplir mon arrosoir…

— Non, effectivement, me désolai-je avec une grimace contrite. Je… peux faire appel au vent. Et aux éclairs.

— Vraiment ? s’étonna le Gardien en se dressant comme un ressort. C’est… c’est déjà fabuleux ! Mais… la vie ne doit être de tout repos, à Oneiris, si chacun est libre de plier les éléments à sa volonté ?

— Étonnamment, ce n’est pas notre don divin qui est à l’origine du plus grand nombre de conflits… Toutes les Terres du continent ne sont pas égales face à cette capacité. Les Orientaux, par exemple, sont pratiquement tous Élémentalistes, mais ils ont un don plus faible que les autres peuples. Les Chasseurs, originaires du Nord, sont généralement plus puissants, notamment car ils allient leurs pouvoirs à l’art du combat. Sur mes Terres, être Élémentaliste définit avant tout notre statut social. Quant aux Sudistes… eh bien, ce n’est qu’un détail à leurs yeux, un atout, mais guère plus. Depuis l’arrivée des Élémentalistes sur Oneiris, nous n’avons jamais connu de tyran qui aurait profité de ses pouvoirs pour asservir un peuple.

Les yeux du Gardien luisaient d’une curiosité qui seyait parfaitement à son visage enfantin.

— Je pourrais vous écouter pendant des heures ! soupira-t-il avec un sourire dépité tout en observant les fleurs qui n’avaient pas encore été arrosées. Mouiller la terre d’une simple pensée ou défricher sur son passage à l’aide d’un mouvement des mains… tout ça me semble tellement inaccessible.

— C’est un don divin, acquiesçai-je avec un rictus quelque peu embarrassé. Un don divin né de la chute de l’une de nos Divinités Primordiales. Même si cet aspect merveilleux est indéniable, je n’oublie pas les circonstances qui ont mené à l’apparition des Élémentalistes.

D’un air plus grave, Kol Our hocha la tête puis sortit du temple pour se diriger vers un puits installé à une vingtaine de mètres et envahi par du lierre aux fleurs orange.

— C’est l’essence de votre Dieu Aion qui a mené à la naissance de vos pouvoirs ?

— Oui. Lorsqu’on lui a arraché sa conscience divine, le corps de l’homme qui l’a trahi n’a pas pu supporter toute cette puissance. Il en a absorbé une partie et le reste s’est disséminé aléatoirement chez des Humains de toutes les contrées.

— Les premiers Élémentalistes, comprit le Gardien en maniant habilement la corde qui retenait son arrosoir au fond du puits. Votre famille aussi peut maîtriser les vents et les éclairs ?

— Pas exactement. Mon père… (J’inspirai rapidement pour éviter que ma voix ne s’éraillât.) J’ai hérité des capacités de mon père, mais ma mère et mon frère ne font appel qu’au vent.

— Oh, vous avez un frère, souffla le Gardien en me jetant un coup d’œil tandis qu’il réceptionnait son ustensile sur le rebord en pierre.

— Oui, souris-je en sentant ma peine se dissiper quelque peu. Ash… Milash Tharros. C’est mon cadet.

— Il gère votre royaume en attendant votre retour ?

— Je ne sais pas, avouai-je à demi-mot. Je n’ai pas revu ma famille depuis des mois.

Compatissant, Kol Our m’adressa un rictus maussade avant de retourner vers le temple. Je restai sur le seuil de l’ouverture le temps qu’il arrosât tous les pots – les effluves qui en émanaient me donnaient le tournis.


— Soraya et moi avons discuté hier soir, après notre entrevue avec Kan, repris-je d’un ton formel en joignant les mains devant moi. Nous pensons partir demain.

Kol Our me jeta un coup d’œil étonné alors qu’il se redressait au-dessus d’un pot de géraniums.

— Vous avez déjà établi votre itinéraire ? Vous ne m’aviez pas dit que Kan s’était déjà glissée dans votre conscience.

— Pardon ? lâchai-je en cillant.

— Eh bien… Votre Déesse va sûrement exiger de s’abriter dans votre corps le temps que vous atteigniez Oneiris.

Stupéfaite – Kan n’avait jamais mentionné cela – je ne répondis pas tout de suite. En apercevant mon expression estomaquée et ma raideur, le Gardien s’assombrit.

— Pardonnez mon manque de tact, je pensais que vous étiez au courant.

— Non, je…

— Peut-être Kan s’est-elle imaginé que vous étiez familière du processus comme vous avez déjà échangé avec deux autres de vos Dieux.

Dépitée – et étrangement amère – je secouai la tête. Je fis toutefois l’effort de prononcer péniblement :

— J’ai déjà été sous le joug d’un Dieu. J’ai trouvé l’expérience déplaisante au plus haut point.

— Vous m’en voyez navré, souffla Kol Our avec sincérité en s’approchant de moi. Dans quelles circonstances avez-vous été soumise au bon vouloir d’une divinité ? D’après mon expérience personnelle et ce que je sais du transfert partiel de conscience divine, c’est un moment étrange, mais certainement pas désagréable.

— Nous n’avons pas dû vivre la même chose, murmurai-je en me crispant malgré moi. Aion… Lorsqu’il était encore notre ennemi, il s’est amusé à prendre possession de mon corps. J’avais encore l’esprit intact, mais mes membres ne me répondaient pas, ma voix ne fonctionnait pas.

Un éclat de surprise déroutée luisit dans les prunelles cuivrées de mon interlocuteur. Lèvres plissées, il secoua la tête avec fermeté.

— Il ne s’agit pas d’un transfert de conscience divine, Alice. Le Dieu qui vous a fait ça s’est contenté de vous voler votre corps. J’ignorais que c’était possible. J’imagine que les bribes de pouvoir qui coulent en vous lui ont permis un tel acte.

Le soulagement immédiat qui déferla en moi chassa les spectres de peur et d’appréhension qui avaient commencé à me parcourir le corps de leurs doigts gelés. Ainsi, ce n’était pas ce qui m’attendait avec Kan… La possibilité inverse m’arracha toutefois un frisson de malaise. Aurais-je trouvé la force nécessaire si j’avais dû prêter mon corps à la Déesse le temps que nous eussions atteint Oneiris ?

— En quoi consiste un transfert de conscience ?

Avec une moue pensive, Kol Our reposa son arrosoir puis s’adossa au chambranle de l’ouverture. Bras croisés sur sa poitrine chétive de jeune adolescent, il resta silencieux un moment, sûrement le temps d’organiser ses idées, puis déclara :

— Ce n’est pas l’entièreté de la conscience divine de Kan qui va investir votre esprit. Et je parle bien de votre esprit. Vous n’aurez à subir aucune intervention sur votre enveloppe physique. Kan va séparer une partie de son essence pour la glisser dans votre âme… votre askil. Vous ne pourriez pas supporter sa conscience entière, de tout manière.

— Mais… soufflai-je, dubitative. À quoi sert ce transfert ?

— Eh bien, votre Déesse pourra ainsi vous accompagner jusqu’à Oneiris. Elle vous a demandé une assurance, celle de convaincre son frère de retourner auprès des autres Divinités Primordiales. Laisser une partie de sa conscience avec vous lui permettra d’être certaine que vous répondez à cette exigence. Si c’est le cas, elle se retirera de votre esprit et se détachera complètement de Kol pour retrouver ses égaux. Si vous échouez, elle restera auprès de notre Dieu.

Je ne savais pas trop comment réagir à l’annonce. L’idée d’avoir une partie de l’essence de Kan en moi me serrait la gorge. J’étais reconnaissante de la confiance de la Déesse, mais la savoir dans ma tête pendant plus d’un mois m’arrachait quelques sueurs froides.

— Vous êtes pâle, chuchota Kol Our en se redressant, inquiet.

— Pardon, répondis-je en me ressaisissant sans attendre. C’est simplement que… j’ai besoin d’un peu de temps pour encaisser la nouvelle.

— Vous n’en avez malheureusement pas beaucoup si vous souhaitez partir dès demain. Il faudra faire le transfert d’ici là.

J’efforçai de ne rien laisser paraître du froid anxieux qui grimpait dans ma gorge et hochai doucement la tête. Alors que Kol Our ramassait son arrosoir et commençai à descendre les marches, je lançai d’un ton pressé :

— Une fois le transfert effectué, Kan verra tout ce que je fais, entendra tout ce que je pense ?

Le Gardien à la silhouette de jeune adolescent s’esclaffa en s’arrêtant. Avec un sourire qui plissait les coins de ses yeux, il se tourna vers moi.

— Alice, bien sûr que non ! En réalité, vous ne sentirez pas Kan et elle ne sera pas en permanence en train d’épier vos actions. J’imagine que, la seule fois où elle se manifestera, sera pour vous dire si vous avez réussi ou échoué dans votre quête.

— Oh.

Je rougis sans pouvoir m’en empêcher. Qu’avais-je imaginé avec ce transfert de conscience ? Ça n’avait effectivement rien à voir avec le sort que m’avait fait subir Aion à plusieurs reprises. Avec un sermon mental pour moi-même, je me détendis enfin. Kan allait simplement s’assurer par mon biais de l’achèvement de notre mission. Rien de plus.


Nous profitâmes d’un soleil généreux et d’une brise tiède pour déjeuner dans les jardins. Soraya avait aidé à la cuisson du repas commun tandis que je coupais les légumes. C’était étrange de nous fondre sans soucis au milieu des Gardiens quand il s’agissait de tâches aussi simples. Kol Our avait dû parler en notre bien auprès de ses collègues, car les regards se firent moins froids et les paroles échangées, plus nombreuses.

Nous trouvâmes un banc sur lequel nous installer. Le velouté de légumes était accompagné de fromage de chèvre et rehaussé par le romarin. Alors que nous partagions en deux notre bout de pain, la silhouette revêche de Kol Zou se dessina au milieu des hauts buissons qui nous entouraient. Les yeux à moitié cachés par ses courtes mèches noires, elle approcha d’un pas déterminé malgré la crainte qu’elle dégageait ostensiblement.

— Bonjour, Kol Zou, la saluai-je courtoisement.

— Alice Tharros, répondit-elle de son oneirian haché. Soraya Samay.

Ma compagne salua d’un mouvement du menton, la bouche pleine de pain et de fromage.

— Je… je peux me joindre à vous ?

Surprise, il me fallut quelques secondes avant de me décaler sur le banc pour lui faire un peu de place. Visiblement frustrée de partager son repas avec la Gardienne bougonne, Soraya détourna la tête, le nez dans sa gamelle. J’étais au milieu des deux femmes et l’impression de jouer les médiatrices me rendit quelque peu mal à l’aise. Je n’étais pas certaine des ressentiments qui les opposaient, mais je ne pouvais pas prétendre qu’ils n’existaient pas pour autant.

— Kol Our m’a parlé de votre échange avec votre Déesse, déclara Kol Zou sans détour. Je… je suis contente pour vous. Notre Gardien en chef a été très généreux avec vous, vous pourrez le remercier.

— C’est déjà fait, expliquai-je à brûle-pourpoint, l’estomac noué. Nous le remercierons encore quand nous quitterons le Sanctuaire demain. Kol Our nous a permis d’avancer de manière significative dans notre quête. Sans lui, nous ne saurions toujours pas comment contacter Kan.

— Vous l’auriez fait par mon biais, marmonna sombrement Kol Zou en touillant distraitement son velouté. Mais contrairement à Kol Our, recevoir un Dieu dans mon askil me fatigue beaucoup. (Avant que j’eusse pu la remercier encore pour ce qu’elle avait fait, elle cessa de tripoter sa cuillère et planta les yeux dans les miens pour demander :) Vous partez demain ?

Je hochai la tête, mon bout de pain dans une main et mon bol dans l’autre. Comme Kol Zou tarda à répondre, je pris une cuillerée de velouté et soupirai. C’était bon.

— Où irez-vous ? s’enquit finalement la Gardienne après quelques gorgées de soupe.

Soraya et moi échangeâmes un regard. Nous avions établi un premier trajet pour notre retour à Oneiris. Nous étions en plein milieu des terres aviriennes et la ville la plus proche qui affrétait des bateaux pour notre continent était Jen Si. C’était aussi ce qui se rapprochait le plus d’une capitale pour les Aviriens. Si Gahana était la cité marchande la plus importante de Mor Avi, Jen Si en était le cœur culturel et politique. Cette ville était connue jusque chez nous pour ses Sak aussi nombreux que curieux : Sanctuaire de la Bonté, Sanctuaire du Ciel, Sanctuaire du Châtiment, Sanctuaire des Chats… Une multitude de lieux spirituels occupaient la cité et en faisaient une place forte pour la politique. En effet, la vie des Aviriens était régie par les Sak et leurs Gardiens, qui influençaient les mœurs de la vie locale.

— Nous pensons nous rendre à Jen Si, annonça alors Soraya en se redressant. Nous y prendrons le premier navire pour Vasilias, la capitale occidentale.

Les yeux sombres de la Gardienne luisirent d’approbation pendant un instant.

— Jen Si est ma ville natale, avoua-t-elle avec une ébauche de sourire. Je n’y ai pas remis les pieds depuis longtemps, alors je ne sais pas à quoi elle ressemble aujourd’hui. Mais, en tant que voyageuses, vous prendrez sûrement plaisir à découvrir les différents Sanctuaires. Si vous avez un bon rythme, vous y serez en dix jours.

Reconnaissante pour ses précisions, j’avalai ma cuillère de velouté et soufflai :

— Nous avions estimé une dizaine de jours, effectivement, pour le trajet. Il y a des Sanctuaires à Jen Si qui vous semblent essentiels à visiter ?

Elle prit le temps de réfléchir quelques instants, son bol en équilibre sur ses cuisses serrées.

— Je ne pense pas que celui du Châtiment vous plaira. Celui de la Bonté te parlera peut-être, Alice. Celui de l’Économie pourrait plaire à Soraya. (Celle-ci esquissa un sourire en coin.) Mon préféré est celui du Ciel. Il est magnifique et ses Gardiens n’ont pas l’arrogance à laquelle on peut faire face dans les Sak très anciens.

— Merci pour tes recommandations, murmurai-je d’une voix sincère en l’observant avaler une gorgée de velouté. Nous n’aurons peut-être pas le temps de tout visiter, mais nous essaierons de passer voir celui du Ciel.

Kol Zou se dérida de nouveau quelque peu en hochant la tête. Elle avait un petit air espiègle quand elle se décidait à sourire pour de bon.


L’après-midi, Kol Our vint me trouver près d’un appareil de mesure à engrenages et poulies. Il resta silencieux le temps que j’observasse la façon dont étaient imbriquées deux pièces puis me sourit avec chaleur dès que je me tournai vers lui.

— Kol Our, commençai-je d’une voix enjouée en reculant de quelques pas pour me trouver face à lui. Je tenais à vous remercier, encore une fois, pour tout ce que vous avez fait.

— Votre gratitude est acceptée et je vous la retourne, répondit tranquillement le Gardien. J’ai vu que Kol Zou vous avait rejointes pour le repas ; tout s’est bien passé ?

— Oui… et je dois reconnaître que je suis soulagée. Je craignais de partir du Kol Sak en étant en froid avec elle.

Visiblement satisfait, Kol Our acquiesça et observa l’appareil de mesure en continuant :

— Je lui ai soufflé d’aller vous voir. Elle vous évitait, car elle avait peur que vous insistiez pour votre quête. Recevoir Kan dans son askil l’a ébranlée plus qu’elle ne devait s’y attendre. Elle craignait de ne pas être à la hauteur face à votre demande et a préféré vous fuir. À présent, elle non plus n’aura pas de regrets.

— Merci, murmurai-je avec un petit sourire. Maintenant que vous êtes là, je me posais une question à laquelle vous pourriez peut-être répondre. (Comme il me regardait de nouveau, en attente de mon interrogation, j’enchaînai sans tarder :) Quand doit avoir lieu le transfert divin de Kan ? Comme nous partons demain matin, je voudrais être sûre de ne pas retarder notre départ.

Une expression amusée envahit son visage enfantin. Il indiqua un carré d’herbe tendre derrière nous et déclara :

— Eh bien, nous pouvons nous en occuper dès maintenant.

Désemparée, je ne répondis pas tout de suite, puis clignai des yeux.

— Il n’y a pas besoin de… préparation ? D’un rituel ?

— Tout ce dont nous avons besoin, c’est votre concentration, Alice. Et de la bonne volonté de Kan, mais je crois qu’elle se tient prête pour ce transfert depuis votre échange avec Soraya.

Mon cœur accéléra sans attendre alors que je fixais le carré d’herbe. Je n’étais pas certaine d’être prête pour le transfert. Je n’avais aucune idée de ce que je devais accomplir et la sensation d’avancer dans le noir était plus pesante que jamais.

Avec un soupir fébrile, je suivis Kol Our jusqu’au parterre de gazon d’un vert tendre et m’agenouillai face à lui. Avec un sourire réconfortant, il se pencha légèrement vers moi et annonça :

— Installez-vous dans la même position que moi, Alice. (Je m’efforçai d’adopter la même stature, ni trop raide, ni avachie, genoux croisés, poignets posés.) Bien. À présent, suivez mes indications. Vous n’aurez rien de spécial à faire à part vous détendre, ouvrir votre askil et écouter votre foi.

Écouter ma foi ? Par les Dieux, que c’était étrange. Comment étais-je censée faire ceci ?

— Fermez les yeux et prenez une respiration profonde et régulière. (J’obéis sans attendre, détendis mes épaules crispées et relâchai mes doigts refermés. Le soleil réchauffait ma nuque, les oiseaux gazouillaient et les insectes bruissaient tout autour de nous.) À présent, pensez à votre Déesse. Vous êtes native des Terres protégées par Kan, votre askil est tout à fait adapté à ce transfert. Le plus important, c’est que vous restiez détendue et calme.

Puis Kol Our se tut, me laissant seule face aux bruits et au silence, face au noir et aux couleurs. Mes muscles continuèrent de se détendre, mon esprit de se calmer. Je finis par perdre la notion du temps, simple vie au milieu du Kol Sak et des âmes qui y dédiaient le reste de leur temps.

Puis je fus parcourue d’un frisson mental. Je n’avais pas de meilleurs mots. L’impression de frémir à l’intérieur, comme si une brise discrète frôlait mon esprit. Un toucher délicat sur mes pensées, sur ma conscience. Un bonjour à mon âme.

Alice.

Mes lèvres ne bougèrent pas, mais je souris à ma Déesse à l’aide de mon esprit. C’était si différent du contrôle total qu’Aion m’avait imposé. Je sentais quelque chose à l’effleurement de mes barrières mentales. Une présence, que je pressentais étourdissante d’envergure, mais non hostile. Au contraire, elle frôlait doucement mon esprit, dans l’attente de mon accord.

Dame Kan.

Il y eut comme une approbation entre la divinité et moi. Un échange de compréhension et d’acceptation. Mes pensées communiquaient pour moi, mais elles n’avaient ni son ni forme linguistique. C’était à la fois bien plus simple et bien plus complexe qu’une discussion verbale.

Je pensais que tu étais au courant, pour le transfert divin, reprit la Déesse en m’envoyant une vague que j’assimilai à de la gêne presque coupable. Je suis désolée que tu l’aies appris assez tard.

Tout va bien, la rassurai-je avec sincérité. Kol Our m‘a expliqué de quoi il s’agissait et m’a guidée pour vous contacter. Je ne me sens pas en danger, au contraire. C’est avec plaisir et honneur que je reçois une partie de votre essence pour le voyage jusqu’à Oneiris.

Tout en prononçant ces mots, je pris conscience de ce que devaient ressentir les Gardiens lorsque leur vision de Rug Da touchait leur askil. C’était une conversation sans limites avec un être qui connaissait tout de nous d’une seule pensée. L’idée avait de quoi intimider, mais… c’était grisant, surprenant, enrichissant.

Je ne serai pas une présence constante dans ton esprit, Alice, ajouta la Déesse d’un air bienveillant. J’ai senti tes craintes enfouies lorsque nous sommes entrées en contact. Je ne me manifesterai à toi que lorsque ce sera nécessaire. En attendant, tu n’as pas à craindre pour le cheminement de tes pensées ou ta vie privée. Tu es un être libre d’esprit comme de corps. Ne crains pas d’être surveillée ou dérangée par le bout de mon être en toi.

Rassurée cette fois-ci jusqu’au bout des orteils, je m’autorisai un soupir physique et acquiesçai mentalement avec respect. Puis la présence de Kan sembla s’enfoncer en moi. Je me raidis, désarçonnée, mais la sensation se dissipa aussitôt.

Comme je ne sentais plus le contact subtil de la Déesse, je rouvris les yeux, déroutée. Kol Our était toujours assis en tailleur devant moi, un sourire aux coins des lèvres. Sans que j’eusse prononcé quoi que ce fût, il déclara d’un ton assuré :

— Vous vous en êtes très bien sortie, Alice. Vous pouvez être fière de vous.

Embarrassée, je hochai la tête puis me figeai. Ce n’était pas souvent que je m’autorisais à être fière de moi. Ce n’était pas un sentiment que je voulais éprouver tous les jours, mais ressentir cette chaleur de satisfaction personnelle me galvanisa.

J’étais plus que prête à retourner chez moi.

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