Rencontre avec les hauts gradés du bataillon d'exploration
Je souris en soupirant de soulagement. La décision du juge a été rendue. Il accepte de confier Eren au bataillon d'exploration en échange de quelques conditions de sécurité.
La salle commence à se vider lentement. Mon cadet est détaché. Je le suis du regard tandis qu'il s'éloigne en compagnie des soldats du bataillon, soutenu par une femme aux cheveux bruns en bataille. Le major Erwin est en tête, tandis que le caporal-chef Livaï ferme la marche, sans doute pour garder un oeil sur son nouveau protégé.
L'accueil des nouvelles recrues dans les différents corps d'armée est dans un mois. Un mois au cours duquel je ne pourrai pas voir mon petit frère. Ça ne peut pas se passer ainsi : j'ai juré à nos parents de veiller sur lui, mais j'ai aussi promis de veiller sur nos deux compagnons, ce qui signifie. . . que je vais devoir faire un choix : passer ce mois aux côtés d'Eren ou en compagnie de Mikasa et Armin. Pour prendre la meilleure décision, je dois me demander : qui a le plus besoin de moi en ce moment ?
Les deux derniers seront déjà ensemble et pourront compter l'un sur l'autre. L'une est la femme la plus forte qu'il m'ait été donné de connaître et l'autre la personne la plus intelligente et vive d'esprit que je connaisse. Aucun des deux n'a le tempérament de feu de mon benjamin. Ils ne risquent donc pas de s'attirer d'ennuis pendant mon absence, alors qu'Eren a la fâcheuse tendance à se glisser dans les pires pétrins possibles, sans compter qu'il sera seul au milieu d'inconnus, qui certes ont défendu sa vie, mais ont juré de le tuer si jamais il représentait une menace. Pour m'assurer qu'il n'en arrive pas là, je dois l'accompagner pour veiller sur lui. C'est aussi ce que tu aurais fait, n'est-ce pas papa ?
Je laisse s'éloigner le blond et la jeune asiatique en compagnie de Rico. Occupés à discuter de ce que vient de se passer, ils ne remarquent pas que je ne les suis pas. Je leur lance un dernier regard empli de tendresse, en souhaitant les retrouver bientôt, puis me précipite en direction du caporal-chef au moment où il allait à son tour sortir de la salle de jugement.
- Caporal-chef Livaï !
Il se retourne pour me faire face. Je m'arrête devant lui et place mon poing sur ma poitrine pour lui offrir mon plus beau salut militaire, en me présentant comme on nous a appris à le faire lors de notre formation :
- Éléonore Jäger, jeune recrue issue de la 104ème brigade d'entraînement et classée cinquième de ma promotion !
- Éléonore Jäger, tu dis. . . Tu es la soeur d'Eren.
- Oui.
- Qu'est-ce que tu me veux ?
- Je souhaite intégrer le bataillon d'exploration et, plus spécialement, votre escouade.
- Les admissions sont dans un mois, sans compter que je ne prends pas n'importe qui dans mon escouade, réplique-t-il en tournant les talons.
Tentant le tout pour le tout, j'affirme d'une voix ferme et claire :
- Vous avez besoin de moi !
Il se fige, puis se retourne lentement et plonge son regard impassible dans le mien en demandant :
- Vraiment ?
Il lance cette question sur un air de défi, l'air de dire : "Prouve-moi que j'ai réellement besoin d'une simple recrue comme toi."
Je soutiens son regard gris-bleuté, malgré le trouble qu'il provoque en moi, et réponds d'une voix assurée :
- Oui, vraiment. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je connais Eren depuis sa naissance, personne ne peut le comprendre mieux que moi. Or, il vient tout juste de s'éveiller à ses pouvoirs et semble avoir besoin de temps pour les maîtriser. En clair, il pourrait à nouveau perdre le contrôle de temps à autre, le temps de s'adapter à ses nouvelles capacités. Quelqu'un qui ne le connaît pas, comme vous tous, en somme, n'aurait pas d'autre choix que de le tuer pour le calmer et l'empêcher de causer des dégâts, mais ne serait-ce pas vraiment dommage de perdre aussi bêtement le seul espoir de renconquête du mur Maria ? L'occasion que représente Eren de vaincre les titans ne se représentera pas deux fois. Nous n'avons donc pas le droit à l'erreur. C'est là que mon rôle est important : je connais Eren mieux que personne et suis la plus à même de le calmer si jamais il venait à perdre le contrôle, sans avoir besoin de le blesser. Voilà pourquoi le bataillon d'exploration et toute l'Humanité a besoin de moi et voilà pourquoi je dois absolument intégrer votre escouade.
J'ai bien conscience que mon discours est quelque peu vantard et orgueilleux. J'ai sans doute exagéré sur l'importance qui est à m'accorder, mais je n'ai pas le choix : si je veux convaincre le caporal-chef de me joindre à son équipe, je dois le persuader que je suis d'une importance cruciale au bon déroulement de cette mission.
Celui-ci me fixe en silence pendant de longues secondes, puis franchis les quelques pas qui nous séparent en disant :
- Convaincant, ton petit discours. Je dois admettre que tout ce que tu dis est parfaitement vrai, mais je sais que tu me caches la véritable raison pour laquelle tu veux te joindre à mon escouade. La vérité, c'est que tu veux juste rester aux côtés de ton frangin pour t'assurer que je ne le massacre pas encore comme je viens de le faire, je me trompe ?
Je lui réponds en souriant :
- Non. Je souhaite bel et bien me joindre à vous pour cette raison, non seulement parce que je suis naturellement attachée à lui, mais aussi pour tenir la promesse que j'ai faite à nos parents de veiller sur lui. Seulement, je suis on ne peut plus honnête lorsque je dis vouloir le bien-être de l'Humanité et il n'est pas plus grand honneur pour moi que de contribuer à l'accomplissement de cet objectif. Mon serment d'offrir mon coeur pour la survie de notre race n'a jamais été empreint de la moindre trace de mensonge ou de réticence. Si cela permet de sauver notre peuple, je n'hésiterai pas une seule seconde à me sacrifier corps et âme.
Nous nous regardons dans les yeux pendant de longues secondes, durant lesquelles je sens mon coeur s'emballer et le rose me monter aux joues. L'homme finit par s'écarter en déclarant :
- C'est peut-être mon escouade, mais elle est sous les ordres du major Erwin. C'est à lui de décider s'il a besoin de tes services ou non.
- Oui. Je comprends.
- Suis-moi, m'ordonne-t-il en reprenant sa route.
Nous quittons la salle du jugement et marchons jusqu'à atteindre une porte bois, qu'il ouvre sans même toquer. Je rentre à sa suite pour découvrir une petite pièce éclairée par deux fenêtres longues et étroites entre lesquelles se tient une cheminée éteinte. Un homme aux cheveux clairs fait face à l'une d'elles. En tournant la tête vers ma droite, je constate qu'Eren est assis sur un canapé bleu, laissant la femme brune à lunettes soigner ses blessures. En me reconnaissant, il lâche d'une voix étonnée :
- Éléonore ?
Il ne s'attendait clairement pas à me trouver là. Je lui adresse un petit sourire, pendant que le caporal-chef Livaï se dirige vers Erwin, qui est adossé au mur opposé.
- Tu la reconnais ? lui demande-t-il en me désignant d'un geste de la tête.
- Oui, c'est la soeur d'Eren. Je l'ai entendue témoigner en sa faveur au procès.
- Figure-toi qu'elle souhaite rejoindre mon escouade, se déclarant même indispensable au bon déroulement de notre mission. T'en dis quoi ?
- J'aimerai entendre par moi-même ses arguments, déclare-t-il en se dirigeant vers moi pour me faire face.
- Oui. Sauf votre respect, major, je connais Eren mieux que quiconque et suis donc la plus à même de le calmer si jamais il venait à perdre le contrôle, contrairement à vous qui n'êtes encore pour lui que des étrangers. Le tuer ne sera ainsi pas nécessaire pour l'empêcher de faire des dégâts et les chances de réussite de reconquête du mur Maria s'en verront multipliées, sans compter que le bataillon d'exploration comptera en même temps un nouvel effectif, ce qui est certes peu, mais non négligeable.
- Je vois. Tes arguments sont justes et ton élocution bonne, ce qui te rend extrêmement convaincante. Je ne peux donc refuser ta demande, ajoute-t-il avec un sourire complice. Bienvenue au bataillon d'exploration, Éléonore Jäger, conclut-il en me tendant sa main. Je suis enchanté de faire ta connaissance.
- Merci, major Erwin ! m'exclamé-je en la serrant chaleureusement. Tout le plaisir est pour moi.
Ces mots sont on ne peut plus honnêtes. Je suis ravie d'attirer les compliments d'un homme réputé pour son intelligence et son charisme, entre autres innombrables qualités.
- Livaï, reprend-il en lâchant ma main. Tu as une nouvelle recrue dans ton esouade à partir de maintenant. Tâche de ne pas être trop dur avec elle.
- Oui, j'avais compris. Pour ce qui est de ma dureté, tout va dépendre d'elle.
C'est alors que je sens un souffle chaud contre mon cou. Je me retourne en sursaut pour découvrir l'homme qui faisait face à la fenêtre en train de me renifler ! Je pousse un petit cri de panique en reculant vivement, ce qui semble beaucoup amuser le soldat qui se met à ricaner.
- Arrête, Mike ! Tu vois bien que tu es en train de lui faire peur, le réprimande la femme qui soigne Eren. Excuse-le, ajoute-t-elle à mon intention. Il fait toujours ça avec les gens qu'il ne connaît pas. Il s'arrêtera une fois qu'il se sera habitué à toi. Malgré son excentricité, c'est l'un de nos meilleurs soldats. C'est même le plus puissant de notre bataillon derrière Livaï. Son nom est Mike Zacharias. Il est chef d'escouade, tout comme moi. D'ailleurs, je ne me suis pas encore présentée : je m'appelle Hansi Zoe, déclare-t-elle avec un grand sourire en m'offrant sa main à son tour.
Je la serre cordialement en disant simplement :
- Je suis enchantée de faire votre connaissance.
Je n'ai pas besoin de dire quoique ce soit d'autre : elle connaît déjà mon identité, comme tous ceux qui ont assisté au procès.
Je lâche ensuite sa main pour attraper le visage de mon cadet afin de l'inspecter en disant :
- Laisse-moi voir ça. . .
Il se laisse docilement faire et je conclue avec soulagement :
- Je pense que tu n'as rien de plus de cassé que ta dent. Tu devrais bientôt t'en remettre.
Je m'installe ensuite à ses côtés sur le canapé, pendant que Hansi essuie à nouveau ses blessures avec un coton en remarquant :
- Il n'y est tout de même pas allé de main morte, c'est le moins qu'on puisse dire. . . Tu n'as pas trop mal ?
- Un peu, avoue-t-il en plaçant un mouchoir blanc contre sa joue.
- Juste un peu ? Il aurait pu y aller plus fort, alors ! s'exclame-t-elle sous nos mines déconcertées.
- Excuse-nous, lui dit Erwin en s'approchant, mais c'est grâce à ça qu'ils ont accepté qu'on te prenne en charge.
- Je vois.
- Nous n'aurions jamais pu rendre notre proposition crédible si nous avions fait semblant. Tu as mon plus grand respect, ajoute-t-il en s'agenouillant pour se mettre à sa hauteur. Eren, je compte sur toi pour la suite.
Il dit ces mots en lui offrant un sourire bienveillant et une main, que le jeune homme s'empresse de serrer en affirmant :
- Oui ! Vous pouvez compter sur moi !
Il semble tout aussi fier et émerveillé que moi de s'attirer le respect et la sympathie de ce grand leader.
Il esquisse cependant un mouvement de recul et la peur se lit sur son visage lorsque le caporal-chef Livaï vient s'asseoir à sa gauche. Ce dernier allonge un bras sur le dossier du canapé et croise les jambes en demandant :
- Dis-moi un truc, Eren. . .
- Oui ?
- J'espère sincèrement que tu ne m'en veux pas trop. . .
Son air détaché peut laisser à penser que ses paroles sont dénuées de sincérité, mais je devine bien que s'il se fichait réellement de ce que pense Eren de lui, il ne se serait pas fatigué à lui poser la question. C'est le genre d'hommes qui ne parle que pour dire l'essentiel. Il nous l'a prouvé au procès.
- Non, lui répond mon cadet. Je sais que cette mise en scène était nécessaire pour que ce soit crédible.
- Et toi ? me lance-t-il subitement. Tu n'as pas envie de me sauter dessus comme ton amie, tout à l'heure, pas vrai ?
- Non, dis-je en riant. J'ai bien conscience que le bataillon d'exploration ne s'amuserait pas à faire souffrir gratuitement leur plus grand espoir de reconquête du mur Maria. Vous êtes donc pardonné.
- Très bien, je préfère. . .
- Mais il y a des limites, quand même ! réplique Hansi. Tu lui as cassé une dent. Regarde.
Elle déplie un mouchoir, révélant le molaire de l'adolescent.
- Touche pas à ça, lui ordonne le caporal-chef. C'est immonde.
- Mais non, il faut la garder, c'est un échantillon précieux !
- Tu vois ? dit-il à l'intention du jeune brun. C'était toujours moins douloureux que de se faire disséquer par cette folle furieuse. . .
- Arrête ! Tu sais que je ne suis pas comme eux. Pour moi, rien ne justifierait de tuer Eren.
Je place une main sur ma bouche pour me retenir de rire. Ce duo là est vraiment amusant. Ils se chamaillent calmement comme deux amis de longue date.
- Attends un peu, dit-elle au blessé. Tu peux ouvrir la bouche deux secondes, s'il te plaît ?
Il semble hésiter pendant une seconde, mais se résigne et obéis.
- Oh ! lâche la chef d'escouade en arrondissant ses yeux marrons. La dent. . . Elle a repoussé !
Annotations
Versions