7. Les maux des mots

2 minutes de lecture

Aujourd'hui, les mots ne viennent pas. Malgré mes efforts, rien, le silence, le blanc sur ma feuille.

Pourquoi ?

Pourquoi bon sang ? ai-je envie de crier.

— Aïe !

— Qui a dit aïe ?

— Aïe !

— D'où vient ce cri ?

— D'où vient ce cri ? répété-je puisqu'on ne me répondait pas.

— C'est moi, entendis-je chuchoter.

Je me retournais, cherchais dans la pièce. J'étais seule.

— Je comprends pas !

— Aïe !

— Bon, ça va ! Explique !

Un silence.

— Explique ! insisté-je, agacée.

— Tu nous maltraites.

— Je comprends pas.

— Tu vois, tu recommences.

— Je recommence quoi ? Dis les choses clairement !

— Tu ne nous utilises pas correctement. On ne dit pas : "je comprends pas", on dit : "je ne comprends pas".

— Je sais.

— On ne dit pas : "je tiens le bambou", on dit : "je tiens le bon bout".

— Je sais.

— On ne dit pas : "Malgré qu'il pleuve", on dit : "malgré la pluie" ou "bien qu'il pleuve".

— Je sais.

— On ne dit pas : "Ya besoin", on dit : "il est nécessaire".

— Ouais !

— Alors, pourquoi tu n'utilises pas la bonne expression, le bon mot ?

— Parce que j'ai pas le temps de chercher. Et puis, ça m'embête, j'ai autre chose à faire.

— C'est bien dommage !

— C'est dommage pour qui ?

— Pour nous.

— C'est qui nous ?

— Nous, les mots. Nous sommes nombreux, nous faisons des efforts pour parvenir à exprimer le plus précisément possible les pensées, les sentiments, pour décrire la nature dans toute sa beauté et toi, tu prends n'importe quel mot qui fait à peu près l'affaire et tu griffonnes une phrase sans te soucier si les autres comprendront vraiment ce que tu as voulu dire.

— Oh, ça va !

— Es-tu sûre d'être claire dans ton énoncé, dans ton choix de mot ? Souhaites-tu communiquer ou parler ?

— Ben, j'ai l'impression qu'on me comprend, non ?

— Tu es sûre ?

— Ben, je crois.

Un rire ironique me répond.

— Et cette façon de dire que certains mots sont faibles, c'est vexant pour nous. Chacun de nous a un sens bien précis, un rôle défini, il suffit de consulter un dictionnaire pour s'en assurer.

— Oui, sans doute.

— Si tu dis que tu as un objet et si tu dis que tu possèdes un objet, l'utilisation de l'un ou de l'autre implique une nuance qui a son importance dans l'intention.

— Oui, sans doute.

— Et notre ordonnancement dans la phrase, peu de gens y accorde encore une importance. Pourtant, si l'on dit : "je ne suis pas vraiment fatiguée" ou "je ne suis vraiment pas fatiguée", le sens est extrêmement différent.

— C'est vrai. Mais on comprend.

— On comprend ce qu'on veut ou ce qu'on peut.

— Ouais !

— Qu'est devenu Jean d'Ormesson qui nous connaissait sur le bout des doigts et nous sublimait comme un orfèvre ?

— Dépassé. On est passé à autre chose. D'autres l'ont remplacé. Et malgré l'écart de génération, il faut dire qu'y'en a qui sont pas mal du tout.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Maude ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0