7. Les maux des mots
Aujourd'hui, les mots ne viennent pas. Malgré mes efforts, rien, le silence, le blanc sur ma feuille.
Pourquoi ?
Pourquoi bon sang ? ai-je envie de crier.
— Aïe !
— Qui a dit aïe ?
— Aïe !
— D'où vient ce cri ?
— D'où vient ce cri ? répété-je puisqu'on ne me répondait pas.
— C'est moi, entendis-je chuchoter.
Je me retournais, cherchais dans la pièce. J'étais seule.
— Je comprends pas !
— Aïe !
— Bon, ça va ! Explique !
Un silence.
— Explique ! insisté-je, agacée.
— Tu nous maltraites.
— Je comprends pas.
— Tu vois, tu recommences.
— Je recommence quoi ? Dis les choses clairement !
— Tu ne nous utilises pas correctement. On ne dit pas : "je comprends pas", on dit : "je ne comprends pas".
— Je sais.
— On ne dit pas : "je tiens le bambou", on dit : "je tiens le bon bout".
— Je sais.
— On ne dit pas : "Malgré qu'il pleuve", on dit : "malgré la pluie" ou "bien qu'il pleuve".
— Je sais.
— On ne dit pas : "Ya besoin", on dit : "il est nécessaire".
— Ouais !
— Alors, pourquoi tu n'utilises pas la bonne expression, le bon mot ?
— Parce que j'ai pas le temps de chercher. Et puis, ça m'embête, j'ai autre chose à faire.
— C'est bien dommage !
— C'est dommage pour qui ?
— Pour nous.
— C'est qui nous ?
— Nous, les mots. Nous sommes nombreux, nous faisons des efforts pour parvenir à exprimer le plus précisément possible les pensées, les sentiments, pour décrire la nature dans toute sa beauté et toi, tu prends n'importe quel mot qui fait à peu près l'affaire et tu griffonnes une phrase sans te soucier si les autres comprendront vraiment ce que tu as voulu dire.
— Oh, ça va !
— Es-tu sûre d'être claire dans ton énoncé, dans ton choix de mot ? Souhaites-tu communiquer ou parler ?
— Ben, j'ai l'impression qu'on me comprend, non ?
— Tu es sûre ?
— Ben, je crois.
Un rire ironique me répond.
— Et cette façon de dire que certains mots sont faibles, c'est vexant pour nous. Chacun de nous a un sens bien précis, un rôle défini, il suffit de consulter un dictionnaire pour s'en assurer.
— Oui, sans doute.
— Si tu dis que tu as un objet et si tu dis que tu possèdes un objet, l'utilisation de l'un ou de l'autre implique une nuance qui a son importance dans l'intention.
— Oui, sans doute.
— Et notre ordonnancement dans la phrase, peu de gens y accorde encore une importance. Pourtant, si l'on dit : "je ne suis pas vraiment fatiguée" ou "je ne suis vraiment pas fatiguée", le sens est extrêmement différent.
— C'est vrai. Mais on comprend.
— On comprend ce qu'on veut ou ce qu'on peut.
— Ouais !
— Qu'est devenu Jean d'Ormesson qui nous connaissait sur le bout des doigts et nous sublimait comme un orfèvre ?
— Dépassé. On est passé à autre chose. D'autres l'ont remplacé. Et malgré l'écart de génération, il faut dire qu'y'en a qui sont pas mal du tout.
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