Chapitre 1.2 : Pour vivre heureux... 2/2

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 Heres referma dans un son inconfortable de métal grinçant. Ces déclarations d’affection le mettaient toujours quelque peu mal à l’aise, lui qui préférait généralement afficher une certaine distance émotionnelle. Mais pour faire plaisir à sa sœur, il faisait une exception et tentait de s’y conformer. Concernant Harbard, il n’était pas très démonstratif non plus, ce qui les arrangeaient tous deux.

 Le jeune homme descendit les quelques marches de fer bouffées par la rouille menant à chez lui et se mit en chemin. La rue qu’il arpentait était pour ainsi dire déserte. À cette heure la plupart les villageois se retrouvaient en famille afin de prendre le repas. Après ça, ils prépareraient la fête qui se déroulerait bientôt.

 D’ailleurs, les décorations étaient déjà installées. Les quelques ampoules qui pendouillaient le long de la grande artère câblée illuminant la rue s’étaient parés de petites décorations de papiers colorés et de courges naines évidées et sculptées en visages se voulant effrayants. Sur les portes, nombres de runes et de noms inscrits à la craie ou à la peinture blanche se voulaient être autant de talismans destinés à rendre hommage aux morts, les incitant à veiller sur les vivants en ces temps où les nuits ne feraient plus que gagner sur le jour. Triste ironie que de chercher à se protéger des longues nuits lorsque l’on vit dans les éternelles ténèbres souterraines, pensa Heres.

 Le jeune homme progressait à travers les ruelles de ce village qu’il connaissait par cœur. Il était d’une bonne taille, la haute et large caverne principale permettant d’accueillir environ deux cents habitants bien tassés, et une centaine de plus dans les chambres plus modestes de ce réseau souterrain naturellement façonné par l’érosion. Les habitations se constituaient de bois, torchis, pierres, ciment et briques artisanales, ou parfois de matériaux de récupération provenant des ruines bien conservées de l’Ancien Monde. Quant aux espaces de circulations du hameau ils étaient étroits, couverts de planches de bois là où la pierre de ce réseau de cavernes n’affleurait pas ce sol plus ou moins bien aplani.

 Lorsque l’on y levait la tête, on ne pouvait que contempler un ciel gris-brun sous lequel jamais le soleil ni la lune ne venait rayonner. L’obscurité se tapissait toujours dans un recoin, tout comme l’humidité. Elles étaient prêtes à attaquer à tout instant, reprendre leurs droits dès que cette communauté d’intrus venus de la surface leur en laisserait l’occasion.

 Vivre ainsi n’avait rien de naturel, Heres le savait. Mais c’était là la seule manière de faire qu’il n’avait jamais connu et qu’il ne connaitrait probablement jamais. Certains avaient fini par s’y faire, après quelques générations. Mais lui rêvait de mieux que de la moiteur de ces galeries oppressantes conçues pour les vers et les taupes. Parfois, il enrageait intérieurement de son impuissance, ou plutôt de sa lâcheté. Laissant ainsi à son entourage le soin délicat de décrypter ses humeurs maussades. Il subissait sa situation mais ne pris jamais le risque de tout quitter pour vivre là-haut à plein temps, comme les plus braves.

 Sur sa route, il croisa un être de métal aux allures squelettiques, mais non moins sympathique. Ce dernier était occupé à ses tâches, les mêmes que chaque jour : balayer, réparer les installations communes, et nettoyer les espaces publics du hameau. Le tout de manière plus ou moins efficace.

 – Salut, Melog.

 – Bonjour, jeune maître, répondit le droïde de sa voix mécanique s’essayant à l’amicalité.

 Melog était l’un de ces rares êtres artificiels à avoir survécu à la grande purge qui avait précédé la Croisade Artificielle ayant mené l’humanité au bord du gouffre. Arrivé jusqu’au village par le biais des routes commerciales entre communautés, Harbard s’était fait une joie de le réparer après qu’il fut acheté par la collectivité. Bien qu’incapable de faire le moindre mal, et étant trop limité pour seulement y songer, les impériaux mettraient ce simplet en pièce s’ils venaient à le découvrir. Tout comme les humains de ces galeries, il était lui aussi une sorte de rescapé et de résistant à la fois, du simple fait de son existence.

 Heres arriva finalement au pied de l’imposant monte-charge qui se dressait au centre du hameau. Cette colonne de métal venait crever le palais de cette bouche monstrueuse sertie de stalactites telles d’innombrables dents comme l’aurait fait la pointe d’une lance. Une lance qui serait son salut, l’instrument de sa délivrance le temps d’un ou deux jours. Il se planta net devant les deux gardes qui se tenaient devant la cage du monte-charge, et avec lesquels discutaient un groupe d’hommes et de femmes tout aussi équipé que lui-même pour cette sortie au grand air.

 – Eh, Heres ! l’interpella un autre jeune homme.

 – Salut Clovis.

 Heres connaissait ce dernier depuis toujours, tout comme il connaissait chacun des membres de la bourgade. Mais Clovis avait toujours été un ami et ce depuis la petite enfance. Par le passé, il avait pris de nombreux coups afin d’aider ce jeune rouquin un peu chétif mais à la langue bien pendue à se défendre contre la brute locale de leur enfance, Doren. Heres prêtait relativement peu attention aux autres, et ceux-ci le lui rendaient plutôt bien après quelques tentatives infructueuses d’en faire un ami. Mais Clovis s’était montré si insistant dans sa volonté de se rapprocher de lui qu’il n’avait pu faire autrement que de l’aider à se défendre lorsque le besoin s’en faisait sentir. Et finalement, le temps aidant, le trio de jeunes gens avait fini par s’apprivoiser pour nouer de solides relations.

 – T’as vu Doren ? demanda Heres à son ami.

 – Il est monté avec le premier groupe. Mais tu connais la nouvelle ?

 – Ouais, Harbard m’a dit.

 – Les fumiers ! Les anciens disent qu’on va entrer en guerre contre eux.

 – Ça serait pas la première fois. Et comme d’habitude tout le monde va retourner se planquer bien gentiment après quelques jours.

 – T’es tellement cynique des fois ! À croire que ça te ferait pas plaisir de leur botter le cul à ces emmerdeurs.

 – Si, si. Mais je préfère juste ne pas trop me faire d’illusions.

 Maintenant qu’il y prêtait attention, Heres se rendit compte que l’attaque de la veille était le sujet de discussion suspendu à toutes les lèvres. Chacun y allait de son lot d’insultes pour l’ennemi ötztalien, espérait que la guerre qui s’annonçait serait la dernière à livrer contre eux. En effet, il en était ainsi depuis toujours. Entre guerres et alliances plus ou moins solides entre les différentes confédérations tribales des montagnes.

 Mais ces « guerres » étaient en général très superficielles, se limitant le plus souvent à quelques escarmouches avant que l’agitation croissante n’attire l’attention des innombrables yeux que l’Empire possédait au-dessus du bleu du ciel. Lorsque le premier drone impérial survolait la zone, chacun s’en retournait déjà se tapir au fond de son trou pour pleurer les malchanceux qui avaient péri avant que la menace ne mette fin à la partie.

 Finalement, quand tout le monde fut présent, les deux gardes ouvrirent la porte du monte-charge où se plaça la seconde équipe à remonter à la surface. Dans un son ronflant, et après un à-coup caractéristique, la machine emporta Heres et son ami Clovis vers ces cieux gris-brun couverts de crocs suintants, avant de les dépasser. Ils continueraient ensuite dans l’obscurité de sombres galeries minières qui les mèneraient à leur tour vers la lumière du jour.

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