Chapitre 5.6 : Le roi d'en dessous 1/2
Heres se réveilla avec le goût ferreux qui l’avait déjà bercé vers l’inconscience. Sa tête reposait sur les jambes de Clovis qui avait calé sa tête à l’aide de sa propre veste.
– Ton visage, ça va ? s’inquiéta son ami.
– Ça ira, le rassura-t-il simplement avant de cracher un épais glaviot ensanglanté dans la poussière de leur cage.
L’endroit était usé par le temps, avec des murs décrépis laissant passer l’humidité. Au plafond couraient une forêt de tuyaux qui se perdant en tous sens. La pièce ne contenait rien, mis à part leur cage ; et un petit bureau métallique délabré derrière lequel était avachit un homme, le nez plongé dans un vieux bouquin à la couverture brunie par le temps. Heres tenta de l’interpeller une fois, puis deux, et une troisième sur un ton plus colérique.
– Inutile, le stoppa Elias. Je crois qu’il est sourd.
En effet, le gardien de leur geôle ne bougea pas d’un centimètre. Il se contenta pour toute réponse de tourner une page de son vieux livre à la couverture usée.
– J’espère au moins que ce qu’il lit est intéressant, ironisa Clovis.
Heres abandonna ses tentatives, puis alla caler son dos contre les barreaux de la cage. Il y eu un moment de flottement durant lequel il observa les visages de ses compagnons de fortune, s’interrogeant sur ce qui avait bien pu les mener jusque-là. Sa réflexion ne fut pas longue.
– Doren, Clovis. Je… Je suis désolé. Je vous ai entraîné là-dedans pour rien. On aurait dû s’enfuir vers l’est.
– Et ta sœur ? rétorqua Doren.
– Je crois que c’est fini, s’étrangla Heres en regardant ses pieds. Qu’est-ce que je peux faire de plus ?
Personne ne trouva quoi répondre à la question du jeune homme. De toute manière, elle se voulait purement rhétorique. Il n’avait jamais été une tête brûlée, Harbard y veillait. Mais il ne se reconnaissait plus depuis l’enlèvement de Thalie. Il avait pris tous les risques pour la récupérer, sans jamais penser aux conséquences. En fait, maintenant qu’elle était sortie de sa vie, il éprouvait un manque insoutenable, comme une amputation à vif. Une blessure qui laissait palpiter son cœur et le poussait au mouvement.
Il le senti alors battre de façon chaotique, sa poitrine le serra. Il tenta de prendre une grande inspiration, sans y parvenir, alors que tout son corps s’engourdissait. Ses pensées se brouillèrent tandis que ses tripes se tordaient, il pouvait presque les sentir serpenter. Le monde se dérobait sous ses pieds, il luttait pour garder sa lucidité. Mais plus il s’y accrochait, plus elle semblait vouloir se dérober à lui. Il sentit un frisson le parcourir, un frisson annonciateur de sa fin imminente. Il se releva subitement, l’air hagard, piétinant à travers la cellule comme un animal pris au piège. Elias se leva calmement pour s’approcher de lui avec prudence, comme un dresseur tentant d’amadouer une bête effrayée.
– Eh, ça va aller ?
– Oui. Enfin, non. Je… essaya Heres qui n’arrivait plus à respirer convenablement et se fit comprendre par mime.
Elias l’attrapa par les épaules, regardant le jeune homme avec détermination alors que les yeux de celui-ci fuyaient en tous sens.
– C’est rien, tu fais juste une crise d’angoisse. Ça va passer, assura-t-il en guidant Heres vers les limites de la cage pour le rassoir tranquillement. Prends bien le temps de respirer.
Heres tentait de se calmer comme il le pouvait, et Elias s’installa à côté de lui sous l’œil suspicieux de Clovis.
– Elle s’appelle Thalie, c’est bien ça ?
– Oui.
– Comme la muse ?
– Exactement. Un prénom qui lui va parfaitement.
– Pourquoi ça. Elle est toujours joyeuse ?
– Toujours. Je ne suis pas sûr de l’avoir déjà vu triste ou en colère plus d’une heure. Elle finit toujours par retrouver rapidement son sourire. En fait, je ne me souviens pas d’une seule dispute avec elle. Elle a toujours su quoi dire ou quoi faire pour me remonter le moral et me faire voir les choses de façon un peu plus… positive. C’est la seule personne dont je ne me suis jamais lassé de la présence. Elle a toujours été dans ma vie et je crois… que je pensais qu’elle y serait toujours.
Les traits du jeune homme s’étaient détendus, sa respiration revenait à la normale. Elias devina qu’il se remémorait des souvenirs agréables, ce qui était le but de la manœuvre. Mais son visage reprit rapidement cet air étrange qu’il arborait depuis leur première rencontre. Ce mélange de dépit, de colère à peine contenue, et même de dégout à l’encontre de tout ceux sur quoi ses yeux se posaient. Heres fixa alors Elias. Il s’adressa à lui avec une amertume cinglante.
– Et puis tu es arrivé.
L’atmosphère s’alourdi très rapidement. C’est alors que contre toute attente, l’homme assis derrière son bureau prit la parole.
– C’est l’histoire de Doudou, le petit singe albinos, coupa-t-il. Un magnifique essaie sur la difficulté que rencontrent les personnes différentes à se faire des amis.
Un plat s’écrasa sur la pièce comme un étron tombé du ciel, tandis que le gardien de la cage fermait son bouquin pour enfant et se redressait sur sa chaise.
– Je crois que je m’identifie beaucoup à Doudou, continua-t-il devant un public médusé. Moi aussi je suis un peu différent et j’ai du mal à me faire de nouveaux amis.
Personne ne sut quoi dire. Que fallait-il faire ? Répondre de façon sérieuse ou charrier ce cinglé ? Fallait-il s’énerver de son apparente idiotie, ou le plaindre de ses malheurs ? Face à cette extravagante, le silence prédomina. L’étrange maton se leva puis se dirigea vers la cellule, sortant une lourde clé de sa poche et commençant à jouer avec dans la serrure qui refusait de céder.
– Elle a toujours eu du mal à fonctionner correctement. Un peu de patiente.
Finalement, il réussit à ouvrir en grand devant le quatuor toujours ébahi.
– C’est l’heure de votre rendez-vous !
– Hum, avec qui avons-nous rendez-vous ? osa Clovis.
– Vous verrez bien.
– On peut aussi te tordre le cou et essayer de s’enfuir, remarqua Doren.
– Vous pouvez, c’est évident. Mais entre nous je doute que vous ressortiez d’ici vivant. Et puis ça serait nettement moins amusant de procéder comme ça. N’êtes-vous pas curieux de me suivre ?
Heres, qui jusqu’ici avait toujours foncé sans même consulter ses compagnons, sembla s’effacer quelque peu. Ils s’observèrent tous les quatre. C’est finalement Doren qui reprit la parole.
– Ok. On te tordra pas le cou tout de suite, tenta-t-il dans une blague qui tomba mal.
– Merci beaucoup, petit rigolo !
Heres ramassa son écharpe verte en pestant, elle avait trainé à même le sol. Pourtant Clovis avait pris soin de la lui retirer pour qu’il ne soit pas gêné dans son sommeil et l’avait gardé auprès de lui pour ne la lâcher qu’à son réveil. Ils se dirigèrent tous les cinq vers la lourde porte de métal rouillée qui fermait la pièce, le gardien en tête. Celui-ci l’ouvrit avec difficulté, tournant la poignée d’écoutille comme un dément, la faisant ronfler d’un son grinçant avant qu’elle ne lui cède.
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