Chapitre 6.5 : Culpabilité

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 Les yeux de Heres s’ouvrirent. Dehors, l’agitation de la ville lacustre ne remontait que timidement jusqu’à ses oreilles. Il se leva du lit pour aller se pencher à la fenêtre et observa les alentours. Un plafond gris et rugueux, l’obscurité comme attendant en embuscade dans chaque recoin. Des habitations de fortune. Presque comme à la maison. Si ce n’était ce lac, sur lequel s’écharpaient deux vendeurs à la sauvette qui s’invectivaient tour à tour, à bord de leurs coquilles flottantes.

 Le jeune homme se retourna pour apercevoir une bassine d’eau posée sur la commode. Il n’avait pas entendu qui que ce soit entrer dans sa chambre. Son sommeil avait toujours été de plomb les nuits de rêves. Il fit une toilette rapide grâce à l’eau encore tiède, enfila les vêtements posés à côté du récipient. De solides bottes à lanières auto-adhésives, un pantalon brun aux cuisses bouffantes serti de nombreuses poches, un débardeur et une tunique rouge à manche longue, une toge noire à col large et fermeture magnétique. Une panoplie classique pour un citoyen lambda.

 Heres constata également que ses armes et sa tenue de combat lui avaient été rendues, simplement posées à côté de la porte de sa chambre. Sortir fusil de guerre à la main de bon matin aurait été de mauvais ton, à n’en pas douter. Aussi préféra-t-il se saisir de l’arme de poing qu’il glissa dans son dos, calée entre son pantalon et sa tunique, recouvert par la toge qui lui descendait jusqu’à l’arrière des genoux. C’était probablement stupide. Mais ainsi, il se sentait déjà un peu plus en confiance. Il ouvrit la porte pour déboucher sur le salon.

 Doren, Clovis ainsi que Novak prenaient déjà leur petit déjeuner dans une ambiance aussi amicale qu’une lame entre les omoplates.

 – Bien dormi ? questionna Doren.

 Heres haussa les épaules en s’installant à table avec ses deux compagnons. Clovis restait hermétique à sa présence, penché sur sa tasse encore fumante. Le nouvel arrivant en saisit une et se servit dans le pichet face à lui. La première gorgée passa en lui arrachant un rictus.

 – Putain. C’est quoi ça ?

 – Du café, soupira Novak.

 Le jeune homme regarda d’un œil mauvais cette étrange mixture noire qui flottait dans sa tasse. Il la reposa sur la table et l’écarta de lui. Novak leva les yeux au ciel, observé du coin de l’œil par Doren qui reprenait une gorgée de cette boisson exotique au goût singulier. Le visage du lieutenant avait dégonflé. Il avait ainsi l’air un peu plus digne. D’ailleurs les plaies de chacun avaient été soignées, sauf cette histoire de dent que Heres ne reverrait jamais. C’était en outre la seule marque qu’il conservait de leur périple, lui qui avait déjà bien récupéré de ses multiples égratignures.

 Le silence régnait. Les trois jeunes hommes autour de la table, leur ancien ennemi dans un fauteuil.

 – Et toi Clovis, ça va ? Tu es parti tôt hier soir.

 – Pas faim. Pas envie de m’amuser.

 L’ambiance resta glaciale. Clovis eut un regard derrière lui.

 – Pourquoi il n’est pas en cage ?

 – Pourquoi faire ? reprit Doren. C’est plus une menace. Enfin, pour le moment.

 Novak hocha la tête avant de finir sa tasse de café. Sans un mot.

 Le moment était sans doute mal choisi. Mais Heres y avait pensé une bonne partie de la nuit. Il devait savoir.

 – Comment vous avez trouvé notre village ?

 La question s’écrasa net. Doren posa son café avec gravité. Clovis se renfonça sur sa chaise, contenant ses émotions en fixant la table et se mordillant la lèvre inférieure. Novak prit quelques secondes avant de répondre. Il faudrait faire preuve de tact.

 – On a mis beaucoup de moyens à notre disposition pour le retrouver. On pensait que ça prendrait des semaines, même avec l’aide de satellites et de drones. Peut-être même des mois.

 Il se pencha et posa ses coudes sur ses genoux, sa grande tasse vide toujours entre les mains.

 – Mais ça a été très rapide. Il y a eu une attaque sur un avant-poste de la vallée de l’Ötztal. Une énorme explosion au milieu de nulle part forcément, ça a tout de suite attiré notre attention. On est vite remonté jusqu’à un village souterrain. Il y avait un type, un jeune avec la tronche dérouillée. Il savait où vous trouver. C’était un éclaireur je suppose.

 La table se souleva du sol pour aller s’écraser avec fracas. Il n’y avait plus d’obstacle entre Clovis et la colère du demi géant face à lui.

 – C’est ta faute ! hurla Doren.

 Il empoigna Clovis à deux mains et le souleva du sol comme une simple poupée. Le petit rouquin tenta de se débattre, de frapper Doren au visage. Mais celui-ci ne ressenti rien, sa colère le rendait insensible. Doren envoya Clovis au tapis d’un unique coup de poing qui lui éclata la lèvre inférieure. Soufflant comme un bœuf, ravalant sa colère avant de massacrer Clovis, le géant chercha Heres du regard.

 Depuis toujours, c’était lui qui l’empêchait de cogner trop fort sur ce petit con à la langue trop bien pendue, même quand c’était amplement mérité. Cette fois son ami restait assis, le regard fixé sur la scène mais comme absent. Clovis avait enclenché tout ça. Heres arrivait à bout de sa patience avec Clovis lui aussi, à n’en pas douter. Il était responsable de toutes ces horreurs, lui et son caractère insupportable.

 Doren voulu trouver quelque chose à dire. Rien d’intelligent ne passa ses lèvres. Il sorti de la cabane tandis que Clovis, toujours à terre, appuyait sur sa bouche sanglante pour tenter de stopper le filet carmin de s’éprendre davantage. Novak se leva et lui tendit l’une des serviettes qui avaient volé avec la table, accompagnée de son éternel air de marbre froid. Il souilla les chaussures de l’officier impérial de son sang en guise de réponse.

 « Un jeune avec la tronche dérouillée. Un éclaireur… » Heres n’osait pas y croire. Pourtant, il ne pouvait pas y en avoir des dizaines. Pas même deux. C’était lui le vrai coupable. Sa faiblesse les avait conduit à la catastrophe.

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