Chapitre 8.5 : Guerre totale
Le cube luisait tendrement, les veinures à sa surface ébène scintillant au rythme des battements de ce cœur tranquille, arrimé à deux énormes appareillages imposants comme les piliers de la gigapole d’Éminence, stalactite et stalagmite d’acier interstellaire. Autour de cet ensemble, une caverne d’acier aussi haute que le ciel sans astres les enfermait en son sein. En dessous, à des centaines de mètres là où se perdaient les fondations du premier pilier, les ténèbres s’agitaient d’une timide lumière azurée qui respirait au rythme de ce cœur d’ébène, juste assez grand pour tenir dans les paumes d’un homme. A moins que ce ne fut le plafond, difficile à dire.
Sur une plateforme en lévitation, le géant d’or observait son bien le plus précieux sans un bruit, le visage toujours absent, éternellement masqué sous sa capuche. A ses côtés, sa plus fidèle servante, éclatante dans sa riche robe de satin aux broderies dorées. Elle se laissait accompagner d’une carcasse humaine en bure sombre, engoncée dans une machinerie à mi-chemin entre le trône et l’arachnide.
– Peut-être devrais-je simplement tout couper, songea tout haut l’Empereur.
Cassandre l’observa avec de grands yeux ronds surplombés de deux sourcils bondissant au plus haut de son front.
– Vôtre Grâce, tout de même !
– Pourquoi pas ? répliqua Labos. Mais pas maintenant, sur un coup de tête. Nous ne nous en relèverions pas.
L’hologramme de l’Empereur resta figé.
– Sans le contrôle total de l’Alterworld il devient inutile. S’il tombe entre les mains d’Eve il devient même une menace existentielle.
Ses deux servants se dévisagèrent sans un mot. Toujours cette même obsession chez lui.
– Je sais ce que vous en pensez, trancha le géant d’or avec sévérité.
Ils courbèrent l’échine comme une seule entité honteuse. Mais Labos, plus hardis que sa congénère, repris la parole.
– Pour le moment, nous devons regagner la faveur des masses. La situation socio-économique se détériore depuis des décennies. Sans l’Alterworld comme exutoire nous ne tiendrons pas longtemps.
– Que conseilles-tu ?
– Il faut redonner la foi.
– Rien que ça ! s’esclaffa l’Empereur.
Un dieu sans foi en lui-même. Cassandre observait le phare dans ses ténèbres se rapetisser en simple flammèche, une fois encore. Se souvenait-il seulement de sa propre puissance ?
– Alors, que propose-tu Labos ?
– Une apparition publique. Retransmission dans tous les niveaux de l’Alterworld et d’Éminence.
La matriarche trépigna sur place. Ses lèvres bougèrent pour s’humidifier contre sa langue, alors que l’Empereur se penchait sur elle.
– Vôtre Grâce, c’est contraire au dogme. Vos sujets ne s’en estiment pas dignes. Et les églises mineures ne le toléreraient pas.
– Soyons francs, mes sujets se moquent du codex inquisitorial pour la grande majorité d’entre eux. Si on retire les illettrés, les hérétiques et ceux qui se contentent des règles qu’on leur dicte au quotidien, il ne reste plus grand monde pour s’intéresser à ces futilités.
– Mais ceux-là alors ? Vous ne pouvez briser leur adoration pour contenter les foules d’hérétiques !
L’Empereur souffla longuement.
– Labos, que sont devenus nos rêves ?
– Pris en otages, Monseigneur.
– Par les médiocres, les avares et les imbéciles.
Le vieil homme hocha la tête avec solennité. Son appareillage de cauchemar avança lorsque sa main décharnée se posa sur les commandes.
– Les foules sont devenues trop nombreuses. Il nous faut épurer et ne garder que le bon grain.
– Un seul mot de vous, Monseigneur, et je…
– Non Labos, pas encore. Tu l’as dit toi-même, n’agissons pas dans la précipitation. Il nous manque encore la clé de Zarathoustra. Il faut accélérer les recherches.
Le conseiller de l’Empereur sembla hésiter, sa bête de métal mis une patte en arrière.
– Nous progressons lentement, mais sûrement.
– Ce n’est pas suffisant. Tuez la fille s’il le faut, je m’en moque. Le temps presse et la guerre approche.
Il leva la tête vers les ténèbres nimbées d’azur.
– Des nouvelles du Maître de Guerre ?
– Hélas, expira Labos. La situation sur place est comme nous l’imaginions.
– Regrettable. Ce sont trois guerres que nous devrons mener simultanément.
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