3h53 Lundi 13 Avril 2020 - Insomnie
Je me suis pourtant jurée que je garderai mon sacro saint avis pour moi tant il semble qu'il soit si important d'en avoir un pour avoir l'impression d'exister. Exister par la pensée surdimensionnée de notre ego. Ceci n’a rien d’un exercice littéraire. Ceci n'a rien d'une vérité universelle, ceci n'est pas une leçon de morale, ceci est juste le fruit de mon dialogue intérieur. J’éprouve juste le besoin de me délester de cette ancre au cœur.
Je suis atterrée de constater à quel point l’être humain dont je fais partie est borné.
J’entends des personnes pleurer sur leur libération avortée dénonçant une gestion délétère de la crise, s’insurgeant sur le fait que ce confinement n’a que l’intérêt de « couvrir le fait que l’hôpital soit à la rue ». Peut-être une approximation de langage qui, dans ces tristes circonstances, me choque particulièrement. Je pense que l’hôpital fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a. Et la théorie de la faute de l’autre n’est pas suffisante. Je n’ai pas manifesté au côté du personnel hospitalier quand il était DANS la rue l’année dernière et je ne vais pas l'applaudir maintenant. Ce serait lâche de ma part aujourd’hui.
Je suis privilégiée, j’ai un jardin… non que je sois enchantée de devoir être, comme tout le monde, privée de certaines de mes libertés, la plus essentielle étant pour moi celle de devoir me passer physiquement des êtres qui me sont chers. Mais il ne me semble pas que cette tragédie, qui se joue dans les hôpitaux et les EHPAD en ce moment, puisse être entièrement imputable à un Etat aussi compétent ou incompétent soit-il.
J’entends des personnes déplorer le manque de masque, l’absence de test de dépistage et après ? Le virus, même s’il venait à disparaitre par l’entremise de la découverte d’un vaccin « miraculeux », serait remplacé quelques temps après par un autre virus toujours plus virulent, à la létalité plus importante encore. Peut-être même, pourrait-il ne pas cibler « uniquement » les personnes à « risques » mais aussi les enfants. Faudra t-il en arriver là pour que la leçon soit assimilée et digérée ? Quand fera t-on notre propre mea-culpa ?
Tout cela m'amène à m'interroger sur la suite de ce confinement. Je vois des personnes qui pensent déjà à leur prochain voyage à l’autre bout du monde parce que « ben merde alors ! c’est vraiment pas sympa d’être privés de sa sacro sainte liberté d'enfants gâtés ! ». On préférerait être en confinement sur l’île de Santorin en Grèce, profiter de la piscine à débordement (à dix mètres de la plage) plutôt que de se satisfaire de la plage elle-même parce-que bon, « les plages là-bas ne sont pas très belles » et « en plus, elles sont difficiles d’accès » ! Je brûle, à cet instant, à la lecture du témoignage, de savoir si construire une autoroute avec tapis rouge menant directement à la mer pourrait résoudre le problème existentiel » de cet individu.
Je vois des enseignes de magasins continuer à faire de la pub pour faire gagner des chèques cadeaux à des ménagères manifestant la frustration de passer leur anniversaire en quarantaine sans même réaliser la chance d’être en vie. Ces mêmes enseignes desquelles je suis sortie les bras ballants et écoeurée l’hiver dernier, devant tant de futilité et de folie humaine. L’hiver dernier, on préférait "se masturber le cerveau" pour savoir par qui cette gamine qui parlait d’écologie pouvait bien être manipulée.
Non satisfaits par Noël, on a maintenant rajouté Halloween à toutes ces innombrables célébrations devenues purement mercantiles. Les jours restants nous achetons encore et toujours des choses dont nous n’avons absolument pas besoin, fabriquées par des petites mains étrangères dont on ne voudrait ni le salaire, ni les conditions de travail. Ces objets font le tour du monde pour satisfaire nos « envies » de consommateurs et après ? Noël n’aurait–il pas lieu sans ces artifices chaque année renouvelés ? Est-il possible de penser qu’on puisse célébrer quelque chose ou quelqu’un simplement en se posant la question du vivant trente secondes, en s’imposant comme principe de base ce que Pierre Rabhi appelle « la sobriété heureuse » ?
Je vois une publication sur un soutien-gorge « connecté » censé détecter le cancer du sein à son stade le plus précoce et mis au point par un groupe d’étudiants de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. La belle affaire ! On marche sur la tête ?! On cherche à mettre une rustine sur un symptôme, sans aucun recul, au lieu de chercher à s’attaquer aux causes. Je ne suis pas en train de critiquer ici une belle volonté aux intentions louables mais d'émettre un principe de prudence quant à un pseudo "progrès" purement spéculatif. Soyons prudents. « L’enfer est pavé de bonnes intentions »
Pourquoi se prétendre être toujours plus forts que la nature quand elle nous envoie des signes ? Pourquoi faire l’autruche quand les flammes de l'enfer sur Tchernobyl se sont aujoud'hui ravivées, toujours aussi invisibles, devant nos yeux aveuglés par je ne sais encore quelle théorie du complot prête à nous diviser.
Bref ! Ce n’est pas ce confinement qui personnellement me frustre ou m'inquiète le plus mais la tristesse de me rendre compte qu’on est loin, très loin d’avoir compris la leçon. Peut-être que moi aussi finalement, je suis encore trop pressée. Peut-être que moi aussi finalement je dois apprendre encore...pour après...
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