Chapitre 5
Une lumière intense force Thomas à fermer ses paupières. Grimaçant, il tente de se redresser. Une douleur aigüe l’immobilise, débutant au niveau de ses cervicales et s’étendant à ses épaules et son crâne. Un mal de tête l’empêche de penser à son aise.
Il grogne, ramène une main jusqu’à son visage pour le frotter. Après un court temps d’adaptation, il rouvre les yeux lentement. Un faux-plafond au blanc tirant presque sur le gris l’accueille avec le fameux néon.
« Bordel… »
Où suis-je ? Sa question trouve une réponse plus vite qu’il ne l’aurait cru : les équipements et les meubles qui l’entourent sont suffisamment reconnaissables. Il est à l’hôpital, alité à côté d’un autre patient. Thomas se concentre sur celui-ci et sourit en reconnaissant Léo. Sa joie meurt lorsqu’il se souvient comment ils ont fini ici. Il se rappelle de leur soirée, de l’alcool puis de la rue et de l’agression. Il revoit Alexandre, son regard inquiet et son refus de rester.
Il m’a promis de revenir… Cette promesse le rassérène à peine. Il triture le drap qui le recouvre et mord sa lèvre inférieure. Si la police lui pose des questions, pourra-t-il parler d'Alexandre ? Ou cela mettra-t-il en danger ?
Le coup sur sa tête ne lui a pas fait oublier les mots d’Alexandre. « J’peux pas rester et me faire choper… » Pourquoi ? Comment ? Le pouls de Thomas s’accélère alors qu’il s’imagine des milliers de scénarii allant du plus basique au plus glauque.
Une vague de douleur l’empêche de poursuivre. Il serre les dents et fronce du nez. Il déglutit quand une seconde vague ricoche en lui. Il rêve presque d’être à nouveau inconscient. Un bruit sur sa gauche l’informe que Léo se réveille à son tour. Son meilleur ami siffle et insulte le vide :
« Putain, plus jamais j’bois comme ça ! Ah sa mère, ça fait un mal de chien !
— On a dit pas les mères, rit à moitié Thomas en ravalant sa peine. Comment tu te sens ?
— Comme si Kisenosato m’a fait un câlin avec trop d’entrain… Bordel, on est à l’hôpital ? réalise avec un brin de panique Léo. On a autant bu ? Pourtant, on a pas fait de mélanges… si ?
— Je te réponds dans l’ordre : oui, non et non. On a été agressés… »
Un bref instant, Thomas hésite à lui dire pour Alexandre. Son silence et son visage doivent le vendre, car Léo comprend vite :
« Ton SDF ?
— C’est pas lui qui nous a attaqués, au contraire. Sans lui, je ne sais pas si… si je serai en train de te parler. Ce gars, celui qui nous a frappés, il était bizarre. Je pourrai pas te le décrire, tout s’est passé trop vite et j’étais dans les vapes, mais… J’ai bien cru que c’était la fin jusqu’à ce qu’Alexandre intervienne. Si les flics demandent, ne leur dit rien. »
Léo lui lance un regard choqué de son lit. Ses grands yeux marrons le noient de questions dans un mutisme éloquent. Thomas se détourne de lui. Il applatit le drap qu’il triturait depuis quelques minutes.
« Il avait peur d’eux, ça je m’en souviens parfaitement. C’est con, hein ?
— Ton cerveau a choisi de retenir ce qui était important pour toi à ce moment-là, le rassure Léo. Donc, ton SDF nous a sauvés les miches ? »
Léo pousse un gros soupir, tout en observant le plafond. Thomas l’imite, y cherchant quelque chose sans le réaliser ni sans savoir quoi. Quelques minutes passent ainsi, jusqu’à ce que Léo interrompe leur contemplation :
« Je lui dois des excuses.
— Commence déjà par arrêter de l’appeler mon SDF.
— Ton crush ? lui propose Léo en ricanant. Bordel, je n’aurai pas du rire, regrette-il dans la foulée. Tu comptes le revoir ?
— Oui, j’aimerai l’aider. Même si pour toi ce n’est pas une bonne idée. J’arrête pas de penser à lui, rien que là… Ça m’inquiète de pas savoir où il est, ni comment il a réellement atterri ici.
— Ok Roméo, tu es à fond sur ta Juliette des rues. Tu veux vraiment lui parler et l’aider, donc je te donnerai un coup de main. Si je te laisse faire seul, tu serais capable de vendre tes organes pour ses beaux yeux. »
Un sourire gauche étire les lèvres de Thomas, qui répond d’un simple hochement de tête. Il grogne : ses cervicales lui rappellent qu’elles n’acceptent pas de travailler comme à l’accoutumée. Quelqu’un frappe à la porte de leur chambre commune avant d’entrer. Une infirmière leur sourit et engage la conversation avec eux, après avoir appelé un docteur.
Lorsque ce dernier arrive, il leur explique comment ils sont arrivés ici – Thomas s’étant endormi juste avant que des ambulanciers ne les trouvent – et les traitements qui leur ont été administrés. Dès leur arrivée, Léo et lui ont eu le droit à un scanner et toute une batterie de tests.
« Quand pourrons-nous sortir ? s'impatiente Léo.
— Dans la journée après une consultation de routine, leur assure le docteur. Je vous invite à porter plainte au commissariat à l’issue. »
Thomas acquiesce. Avant, il parlera avec Alexandre. Un coup d’œil en direction de Léo le rassure sur le fait qu’ils partagent la même idée.
« Avez-vous quelqu’un à prévenir et qui pourrait venir vous chercher ? s’informe le praticien.
— Anita ? propose Léo, tout en attendant une confirmation de la part de Thomas. Elle n’a pas de cours aujourd’hui…
— Et comparé à Joshua, elle ne paniquera pas. J’ai juste besoin de mon portable. »
L’infirmière lui apporte son manteau, rangé dans un des placards de la chambre d’hospice. Thomas la remercie et fouille dans ses poches, il en sort son smarthphone. En quelques tapes, il trouve le numéro de sa colocataire.
« Bien, je vous laisse vous arranger avec votre amie. Je repasserai dans une petite heure. »
Le docteur les salue avant de partir, suivi par l’infirmière.
« On aurait dû demander un p’tit-déj, réalise Léo alors que son ventre gargouille.
— Il est presque 10h, tu sais ? Je mets le haut-parleur ? demande Thomas en lui montrant l’écran rayé.
— Ouaip. »
Trois tonalités plus tard, Anita leur répond. Un nœud à l’estomac, Léo et Thomas lui racontent les derniers évènements. Après un moment de flottements, leur amie retrouve ses mots :
« Bon, au moins vous vous foutrez plus de la gueule de mon déo en spray comme arme…
— Promis, lui jure un peu penaud Léo.
— J’arrive d’ici une grosse demi-heure. Vous avez besoin de quelque chose ?
— De la bouffe, ma belle ! s’écrie Léo, la bave presqu’aux lèvres. De la bouffe bien grasse !
— On a le droit dans un hôpital ?
— Rien à battre, j’ai la dalle !
— Et des vêtements, s’il te plaît, l'implore Thomas. Les nôtres ont souffert... J’ai encore un peu de batterie, mais si tu trouves un chargeur, je suis preneur.
— Ok, à manger pour l’ogre, des fringues et un chargeur pour la diva. Je vous apporte tout ça ! »
Anita marque une pause, avant de leur avouer :
« Les gars… Je sais que vous n’y pouvez rien, mais… faites attention et prenez soin de vous, hein ? Je tiens à vous.
— Nous aussi, Anita, leur assurent Léo et Thomas d’une même voix.
— Hum mouais, à tout ! »
Sans attendre de réponse, Anita coupe l’appel.
« Je sens qu’on va avoir droit à notre propre déo à promener en tout temps et tous lieux, sourit à moitié Léo.
— Je te parie combien qu’on aura droit à d’autres accessoires ? »
Ils rient puis se taisent, reprenant la contemplation du plafond. Thomas s’endort presque dans la quiétude de leur chambrée. Dès que je sors, je retrouve Alexandre et le ramène à la maison…
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