Chapitre 7
Thomas invite Alexandre à entrer dans sa chambre. La décoration sobre n'étonne pas l'invité impromptu. Il fixe une guitare accroché face au lit sur lequel Thomas s'assoit.
« Tu en jouais tout le temps, remarque Alexandre.
— Et toi tu filais dès que possible sur le terrain d'handball. »
Alexandre se retourne vers lui, les bras ballants incapable de savoir quoi faire de lui-même. Il ne veut pas s'installer auprès de son hôte, au risque de l'importuner avec son odeur rance. Il triture ses doigts, bascule sur un pied puis l'autre.
« Je... Merci, souffle Thomas. Sans toi, Léo et moi on ne serait peut-être plus... Bref, merci.
— De rien.
— Est-ce que... Merde... C'était plus clair dans ma tête. »
Thomas frotte son visage puis racle sa gorge avant de reprendre la parole :
« Est-ce que je peux te poser des questions ?
— Tu le fais déjà, le taquine Alexandre. »
Ils échangent un regard et rient.
« Tu veux savoir pourquoi je ne suis pas resté, devine le plus jeune.
— Oui.
— C'est compliqué. »
Les yeux brillants de Thomas sur lui dérangent Alexandre. Il aimerait tout lui raconter, cependant la peur que quelque chose lui arrive à cause de ça l'en empêche. D'ailleurs, pourquoi l'ennuierait-il avec ses problèmes ?
« Alex, s'il te plaît. Explique-moi. »
Le corps d'Alexandre se contracte puis se relâche sous le poids des mots qui lui échappent.
« Ils te feront du mal, je ne peux pas. »
Il prie pour que cette vérité suffise à Thomas. Mais, à son regard profond, Alexandre sait que cela ne sera jamais assez. Lui-même doute : peut-il continuer à vivre ainsi ? à se cacher en mourant à petit feu ? La chaleur fantomatique de sa mère lui manque terriblement à cet instant. Comme le rire de sa sœur, dont le souvenir l'a aidé à franchir le pas et s'enfuir en payant une lourde tribu.
« S'il te plaît, souffle-t-il. »
Que lui demande-il ? Alexandre n'en est pas sûr. S'il te plaît, ne me force pas à parler ? S'il te plaît, accepte-moi malgré mes secrets ? S'il te plaît, ne me jette pas dehors comme les autres ? Un hoquet lui échappe. Il renifle, les yeux brûlants.
Thomas se lève et s'approche de lui à petits pas, comme s'il était une bête sauvage risquant de s'enfuir au moindre mouvement brusque. Au fond, Alexandre l'est malgré lui. Un rat d'égout. Il recule, ravale un sanglot.
« Non. »
Il se sent sale, immonde et repoussant. Et il a froid. Terriblement froid à l'intérieur de lui. Il agite sa tête, des larmes humidifient ses joues creusées. Thomas les essuies du bout des doigts. La chaleur qui en émane électrise Alexandre qui s'effondre au sol, cache son visage.
Des bras forts l'enlacent et le bercent.
*
Thomas observe sa guitare, distrait. Sur ses mains, la sensation du corps maigre d'Alexandre persiste. Comment l'aider ? Cette question le hante et l'angoisse. Il n'a jamais été dans ce genre de situation et il ne connaît personne pouvant l'aider. Son regard délaisse l'instrument poussiéreux pour son ordinateur portable.
Il profite qu'Alexandre prenne une douche, ayant accepté de rester la nuit, pour faire des recherches. Thomas tape divers mots clefs tout en rongeant son pouce. Il doit savoir, comprendre pour mieux soutenir son ami. « Müller », « Stuttgart », « Alexandre ». Ces mots clefs proposent des milliers de résultats.
Tous correspondent à un homonyme.
Thomas réfléchit puis ajoute « Jörg » et « groupe pharmaceutique ». Des photos du père d'Alexandre, fondateur de l'une des plus grandes entreprises franco-allemande dans le domaine médical, s'affichent. Thomas hésite, s'il franchit le pas : brisera-t-il la confiance d'Alexandre ?
« Fais chier... »
Il agrippe l'écran de son ordinateur et commence à le baisser. Un titre se grave sur sa rétine et le bloque dans son geste : « L'héritier de Khunrath porté disparu suite à un incendie ! ». Des images d'un bâtiment en feu accompagnent l'article d'un journal international. Il date de quelques années.
Thomas le lit, happé par cette découverte. Il apprend plus que ce qu'il n'aurait souhaité et commence à comprendre. Un petit bruit le ramène à la réalité. Alexandre l'observe, ses cheveux humides et ses yeux encore rouges. Il porte l'un de ses sweats à capuche et un jogging.
« Désolé, Alex ! s'empresse de dire Thomas. Je, j'aurai pas dû.
— Mais ? Tu étais trop curieux, c'est ça ? »
La lassitude dans le timbre d'Alexandre le blesse bien plus que des cris ou des coups. Thomas rentre la tête dans ces épaules, incapable d'expliquer son acte. Alexandre s'assoit à ses côtés, son regard céruléen porte en lui un orage dévastateur.
« J'ai mis le feu à ce camp. Maintenant, mon père me recherche pour m'y renfermer ou me faire taire à jamais, selon son humeur... C'est pour ça qu'il faut qu'on arrête de se voir, que tu m'oublies. »
Les traits d'Alexandre se durcissent à mesure que son timbre se ternit.
« Je peux pas, lui avoue Thomas. J'y arriverai pas une seconde fois. »
Il se penche sur Alexandre et l'embrasse.
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