Citrouille 2.0

4 minutes de lecture

Jeudi 17 octobre 2019

Cette année, j'ai décidé de profiter du writober de Scribay pour retrouver un rythme d'écriture régulier. Je m'y suis parfaitement tenue pendant onze jours. Puis, parce que mes week-ends comptent manifestement plus de choses à faire que d'heures pour en venir à bout, j'ai commencé à accumuler du retard.

Peu importe, me suis-je dit. Je vais continuer comme si de rien n'était, en accusant un décalage croissant. Au bout du compte, je terminerai bien cette histoire !

Alors j'ai poursuivi le récit.

Le « rendez-vous » m'a donné quelque fil à retordre. Un rendez-vous ?

Eh bien, je crois que je n'en ai jamais eu aucun, en bonne et due forme. Je me suis toujours engagée dans mes relations sans préalables. Tu me plais, je te plais. Eh bien, sortons ensemble ! On verra bien, ensuite...

Un jour, peut-être que je me pencherai sur ma vie amoureuse. En attendant, je me contenterai de reconnaître qu'il y a eu des ratés mais que, en fin de compte, c'est toujours en fonçant tête baissée que j'ai été la plus heureuse.

Le jour suivant, j'ai triché avec la « pleine lune ». Elle n'a été que la discrète spectatrice de mon chapitre. Quelle importance ? La lune est-elle jamais autre chose ?

Et voilà qu'avant de dormir, en consultant la liste pour me remettre en mémoire le mot sur lequel il me faudrait plancher le lendemain, je tombe des nues en lisant : « citrouille ».

CI-TROUILLE.

Qu'est-ce que je vais bien trouver à dire sur une citrouille ? Une courge dont, à vrai dire, je n'affectionne pas le goût, mais envers laquelle je n'éprouve pas non plus un dégoût digne qu'on lui édifie une prose.

Je sèche. J'ai envie d'écrire sur un tas de choses : les renards, les œufs de dragon, un autobus,... Sur tout, sauf sur la citrouille ! Au bout d'un interminable affrontement psychologique contre ma perpétuelle page blanche, une scène commence à prendre forme dans ma tête. Un moment convivial, dans la cuisine. On découpe la citrouille, on la fait cuire. Quelque souvenir émanera du potage, comme d'une madeleine proustienne...

Soudain, alors que j'entame d'écrire ma phrase, je fais face à un obstacle insoupçonné : impossible de me rappeler, même vaguement, quelle est l'odeur de la citrouille.

Un autre jour peut-être, nous parlerons de ma santé. Quoique j'aimerais autant m'en abstenir. Le seul détail qu'il convient pour l'instant de soulever, c'est qu'il y a tout juste dix ans, j'ai perdu le sens de l'odorat. Déjà que je n'ai jamais raffolé des citrouilles, cela fait plus d'une décennie que je n'ai pas humé leur senteur. Autant vous dire qu'elle ne fait pas partie du maigre répertoire de mes souvenirs olfactifs !

Je cogite, pendant que ma page, plus vraiment blanche mais toujours trop vide, me nargue farouchement.

Merde ! Qu'est-ce que ça peut bien sentir, une citrouille ? Est-ce que ça sent bon ? Il y aura sans doute toujours quelqu'un pour trouver que ça pue... Est-ce que ça monte à la tête comme un parfum capiteux ? Est-ce qu'au contraire l'effluve imprègne discrètement l'air ambiant ? Cette odeur, est-ce qu'elle met en appétit ou, à l'inverse, est-ce qu'elle pousse à faire la grimace ? Est-ce qu'on en ferait une eau de toilette ou encore un shampoing ? Visiblement oui, ça existe, le shampoing « citrouille / vanille ». Ça, je ne risque pas d'avoir un jour la moindre idée de ce que ça peut sentir !

Je ne trouve pas les mots.

La langue courante manque cruellement de termes pour décrire les odeurs. Je me souviens que, pour cette raison, j'ai été saisie d'admiration en lisant Le Parfum de Süskind. En même temps, mon propre odorat évaporé m'a empêchée de pleinement ressentir le récit. Plus encore, j'étais tellement ébahie que j'ai été incapable de m'en instruire. Voilà comment, après une lecture si exemplaire, je ne suis toujours en mesure que de tirer de mon chapeau la misérable dizaine de mots que je connais pour décrire les senteurs.

Je commence à taper : « la douce odeur de la citrouille... », et je suis prise par l'envie bouillonnante de me flanquer une gifle. « Doux », c'est typiquement l'adjectif que j'utilise lorsque je suis à court d'idée. Alors qu'il y a tant d'occasions absolument justifiées pour parler de douceur.

J'aime les relations amoureuses pleines de bienveillance et de maladresse. Elles débordent toujours de douceur. J'aime la quiétude de certains personnages, le regard doux qu'ils posent sur le monde et la beauté qu'ils en extraient. J'aime les conflits qui se soldent par des élans de compassion mal assumée, les fortes têtes qui à tâtons mettent de l'eau dans leur vin, doucement mais sûrement.

Il y a tellement de bonnes raisons d'évoquer la douceur. Quelle méprise serait-ce que d'en faire la caractéristique première d'une vulgaire citrouille !

À ce moment précis, moitié par affliction, moitié pressée par le besoin d'exhiber ma frustration, je me décide à poster un statut de détresse sur un fameux réseau social.

« Au secours !

Ça a quoi comme odeur, une citrouille ? ... »

À mon grand désarroi, je reçois maintes réponses d'une étonnante diversité. Personne ne semble s'accorder sur la nature exacte de parfum du ladite courge. Les uns me décrivent une délicieuse fragrance d'automne aux touches sucrées. Les autres, une fade exhalaison sans attrait particulier. On me vend encore « l'odeur singulière » du savon à la citrouille à l'arôme épicé.

Alors, je finis par conclure que mon incompétence olfactive n'est probablement rien, en comparaison à la discorde que sème effectivement l’indicible odeur d'une citrouille.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0