Hey, Jude
Mercredi 13 mai 2020
Ma langue se soulève, deux bulles d'air se gorgent dans le creux de mes joues. Et quand j'écrase le muscle dans le fond de ma bouche, un drôle de grincement retentit.
Je me souviens de ça : j'étais assise sur ton lit, dans ta vieille chambre d'ado, toute neuve à l'époque. Cette chambre qui, entre temps, a pris des airs de débarras. Cette chambre qui, l'automne dernier, était vide et sans vie. Celle où nous passions de longs week-ends à nous gausser de rien, à chanter à tue-tête, à aligner des phrases qui n'avaient plus de sens, le visage bariolé de graffitis.
Tu n'aimais pas qu'on s'assoie sur ton lit. Mais moi, tu m'invitais toujours à prendre place à tes côtés. Le jour où je t'ai rencontrée, j'ai eu l'impression de devenir quelqu'un. Ton amie. Je n'ai jamais voulu me résoudre à l'idée que je t'avais perdue. Je ne pouvais pas l'accepter. Je ne le peux toujours pas. Lorsque nos routes se croisent, brièvement, une fois tous les deux ans, j'aime imaginer que nous sommes restées inséparables.
J'étais assise sur ton lit, face à toi, en tailleur, les pieds en compote. On revenait d'une longue tournée des magasins avec les jumeaux. C'était l'hiver ; le fameux hiver où j'ai acheté mon écharpe, celle que je porte aujourd'hui encore – celle dans laquelle j'enfouis spontanément mon museau dès que je sens qu'une angoisse me noue la gorge.
J'étais assise sur ton lit, et je faisais ce bruit étrange en écrasant les bulles d'air sous ma langue, l'air idiot. Tu riais. Tu essayais du m'imiter et un couinement bizarre s'échappait de ta bouche, comme le cri d'une souris. Et moi, je me moquais, le rire bouffi d'affection...
Une image rémanente qu'un bruit révèle en moi. Une grimace nostalgique.
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