ASSEOIR sa volonté
Jeudi 16 septembre 2021
Je ne pensais pas trouver un jour dans ma vie la réponse à cette question, pour la simple et bonne raison que je ne pensais pas un jour me poser la question. Pourquoi s'assoit-on sur une chaise ? Je sais désormais pourquoi. Parce qu'une table, c'est l'inverse même du confortable. Littéralement, c'est le confortable amputé du confor(t).
Ce qui m'amène à pareille réflexion ? C'est bien simple. Je reviens de deux heures d'un cours de philosophie somme toute passionnant, mais cependant subi dans une position peu propice à l'étude, à défaut d'avoir un siège sur lequel me tenir.
Et pourquoi cela ? Ça aussi, évidemment, je peux y répondre. Même si je doute que ma réponse offre quelque satisfaction. Ça ressemble au genre de problèmes mathématiques épineux que l'on vous pose en CE2...
60 étudiants ont le choix entre le cours de philosophie de Madame Machin, et celui de Madame Bidule. Le cours de Madame Bidule se déroule en salle 138, laquelle compte 32 chaises. 48 étudiants souhaitent suivrent le cours de Madame Bidule. Combien d'étudiants devront rester debout ?
Un problème épineux également, semble-t-il, pour l'administration de l'Université, laquelle a dû naïvement penser que les étudiants, pleinement libres de leur choix, se répartieraient naturellement en une trentaine sur chacun des deux cours.
Je sais ce que vous vous demandez. Et, une fois n'est pas coûtume, je vais vous décevoir. Car je ne peux pas vous expliquer avec certitude pourquoi seulement 12 personnes désirent suivre le cours de Madame Machin. Tout ce que je peux affirmer avec un minimum d'assurance, c'est que le naturel donne rarement dans l'équité. C'est qu'il y a plus souvent des favoris que des ex æquo. C'est que Madame Machin a failli à séduire, sinon la majorité, une part égale, mais c'était prévisible. Et je ne dis pas cela parce que Madame Machin s'est forgé, l'année passée, une drôle de réputation : barrée, perchée, à l'ouest, pas du tout à l'écoute, incompréhensible, etc.
J'aimerais même vous donner une illustration concrète de ce que peut être un cours de Madame Machin, empiré à l'époque par les aléas de l'informatique — merci le distanciel ! Mais ça non plus, je ne le peux pas. Parce que, passé le premier cours, mes acouphènes gonflés à bloc par le son d'une dizaines de micros restés ouverts ; au terme d'une bataille féroce au gré de laquelle quarante-deux étudiants se disputèrent dix malheureux sujets d'exposés, en espérant en tenir un qui les intéresserait un minimum, sur un document Google ouvert à toutes les mesquineries ; et consternée enfin que Madame Machin ait pu sérieusement croire qu'un type s'appelait Chocobon, je me suis volatilisée derrière l'écran noir de ma caméra coupée, et j'ai préféré regarder un film indien ridicule avec des sous-titres décalés plutôt que d'assister à la Fête du Slip édition performing & pédance que se révélait le cours.
Bref. Nous ne saurons jamais pourquoi la liberté de choisir a voulu que seize personnes préfèrent rester debout au cours de Madame Bidule plutôt que d'assister à celui de Madame Machin. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il ne faut jamais tenir l'équité pour aquise, surtout lorsqu'il s'agit d'attribuer une salle de classe.
J'ajouterai que, pour ma part, si j'ai choisi d'assister, même sans assise, au cours de Madame Bidule, c'est avant tout par intérêt. Un intérêt profond que je n'éprouvais en aucun cas pour le sujet soumis par Madame Machin. Mais doit-on vraiment se justifier ? N'a-t-on pas le droit, après tout, de suivre de son plein gré la majorité ? De faire ce que l'on croit bon, et pas ce qu'on attend de nous.
Je terminerai par conclure, parce que cela est commode. Quoi que c'est de chaises et de tables qu'il est ici question. J'ai retourné le problème dans tous les sens. Enfin, dans tous les sens possibles en quarante secondes de temps. Puis j'ai retourné une table qui se trouvait par terre, parce que c'était tout ce qu'il y avait sous la main. Et j'ai collé cette table au mur pour la travestir en siège, la cloison en dossier, et me donner l'illusion, pour les deux heures à venir, que je suivais un cours dans les conditions les plus normales et les plus saines qui soient.
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