Larguer les amarres
Une pelleté, puis une autre.
Une pelleté, puis une autre.
Encore une pelleté, et puis une autre encore.
Il se répétait ce mantra à chaque fois que la spatule s’enfonçait dans la terre humide de son jardin.
Les pluies apocalyptiques de ces derniers jours avaient rendu les sols meubles, presque fondants comme un gâteau au chocolat. A cette pensée, une image mentale du dernier gâteau d’anniversaire de Lucas lui envahit l’esprit. Il eut un haut le cœur et arrêta son entreprise d’excavation. Du coin de l’œil, il le voyait, là, juste derrière lui. Il se remit au travail.
Une pelleté, puis une autre.
Une pelleté, puis une autre.
Une pelleté…c’était le prix de sa liberté.
Une pelleté…c’est tout ce qu’il avait trouvé dans le garage quand, paniqué, il avait cherché de quoi creuser : la pelle de plage de Lucas. Un simple jouet qui le ramenait à ces dernières vacances en bord de mer. Sans elle. Sans la mère…il avait perdu le cap, avait échoué, s’était noyé puis avait coulé. Définitivement. En ce soir de printemps. Sa vie avait sombré. Il avait perdu pied face à la tempête qui s’annonçait.
Lorsqu’il jugea le trou assez grand et assez profond, il se retourna. De ses yeux rougis et exorbités il contempla le petit corps. Puis, le prenant délicatement, il le posa au creux de ce qui serait la dernière demeure de Lucas. Sans réfléchir, il jeta la pelle de plage de son fils dans la tombe puis ramena la terre avec ses mains jusqu’à ce que le sol soit de nouveau aplani.
Son travail terminé, il resta quelques minutes immobile. Il s’avança juste à l’endroit où il venait d’enterrer Lucas puis regarda les étoiles dans le ciel funeste.
Il devait désormais mettre les voiles, libre de toute attache.
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