07. L’impossible duo

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Eliaz

La première chose que je vois quand j’entre dans les douches de la salle de sport, ce sont tous ces mecs à poil qui, sans gêne, se déplacent entre les cabines et l’endroit où ils se changent. Moi, je suis plutôt pudique et je me demande quelle attitude adopter. Je fais semblant de m’intéresser à mon téléphone, cela me donne le temps d’étudier un peu les comportements des autres. Je ne peux m’empêcher de constater que beaucoup ne sont vraiment pas gâtés par la Nature et que je n’ai rien à leur envier. Finalement, je me décide à faire comme un type qui a l’air de savoir ce qu’il fait, je noue une serviette autour de ma taille et me dirige vers une cabine après m’être déshabillé.

Sous l’eau chaude, je repense à ce qu’il s’est passé quand je me suis fait accoster par la jolie blonde. Franchement, la fille, je l’ai trouvée canon, je me suis vu faire plein de folies avec elle, mais comme d’habitude, j’ai perdu tous mes moyens dès qu’elle m’a adressé la parole. Et puis, vu son attitude, elle avait clairement envie que je la mette dans mon lit et ça, je ne suis pas sûr que je sois prêt à l’accepter. Heureusement qu’Adèle est intervenue…

Je ne vais pas mentir, cela m’a fait tout bizarre quand elle a passé son bras autour de ma taille. Tout de suite, j’ai eu envie de faire de même et, la connaissant, je suis sûr qu’elle n’aurait pas refusé. J’aurais presque pu en profiter et rien qu’à l’idée qu’elle m’aurait laissé l’embrasser, je me retrouve avec une érection comme je n’en ai pas eue depuis un moment. Je me demande si elle est sous sa douche et si elle pense aussi à ce contact. Toute nue, la vue doit valoir le coup. Mais bon, je rêve là, parce que clairement, pour elle, ce n’était rien. Et des mecs qui fantasment sur son corps voluptueux, il doit y en avoir des tonnes. Je ferais mieux de me calmer, surtout que c’est la collègue la plus énervante que j’ai.

Je me dépêche de sortir de la douche et de m’habiller mais je crois que j’ai passé trop de temps à rêvasser sous l’eau car Adèle est déjà là, à l’accueil de la salle à m’attendre.

— Tu m’as attendu ? Je croyais qu’on se retrouvait au bureau.

Je ne peux m’empêcher de constater qu’elle sait mettre en valeur son corps et ses courbes auxquelles je pensais il y a juste quelques instants. Elle a enfilé une robe d’une couleur rouge bordeaux au décolleté vertigineux et je mettrais ma main à couper qu’elle ne porte pas de soutien gorge en dessous. J’avoue que ce côté un peu provocateur me perturbe mais qu’il n’est pas désagréable à regarder.

— Je voulais être présente au cas où il faudrait encore te sauver des griffes d’une blonde entreprenante. Sait-on jamais !

Je ne peux m’empêcher de jeter un oeil derrière mon épaule pour voir si effectivement, la jeune femme s’apprête à revenir à l’assaut, mais constate qu’elle se moque juste de moi quand elle éclate de rire en me voyant faire.

— Bon, ça va, hein ? Je sais me défendre, grommelé-je.

— Peut-être que justement, tu devrais arrêter de te défendre quand une femme te drague, non ? souffle-t-elle en m’offrant un sourire contrit. Enfin bon, ça ne me regarde pas, tu fais bien ce que tu veux.

Eh bien, cette séance de travail s’annonce passionnante si elle passe son temps à me dire d’aller draguer. Je préfère ne pas répondre alors que nous nous dirigeons vers la station de métro et heureusement, elle reste silencieuse pendant le trajet. Il y a du monde sur la ligne cinq et elle se retrouve collée contre moi, ce qui me permet de confirmer qu’effectivement, Adèle est adepte du no bra. Et je ne sais pas quel est son parfum, mais cette petite odeur de vanille est juste parfaite. J’ai connu des trajets en métro plus désagréables.

Lorsque nous arrivons au bureau, Adèle m’entraîne immédiatement vers l’aquarium et s’installe sans sortir aucune de ses affaires. Je la suis et m’assieds sous son regard légèrement moqueur. En effet, je sors mon ordinateur portable et le petit livre que je me suis procuré sur “Les salles de sport pour les Nuls”. Je me suis dit que ça pourrait nous donner un peu d’éléments de fond à ajouter à l’article.

— Tu comptes travailler comme ça, en me regardant faire tout le boulot ?

— J’ai une bonne mémoire, et au pire, je prendrai des notes sur mon téléphone. Ce n’est pas parce que je ne sors pas mon matériel du parfait journaliste appliqué que je compte glander.

— Bien, comme tu veux. En tout cas, les articles, jusqu’à preuve du contraire, il faut quand même les écrire si on veut qu’ils soient lus, la tancé-je, déjà énervé par son attitude nonchalante. Tu veux qu’on commence par quoi ? On fait comme d’habitude ? Je fais l’introduction du thème, on note nos observations et on complètera quand on aura fait une ou deux autres salles ?

— On fait comme tu le sens, Monsieur Control Freak, soupire-t-elle en se levant. Je vais me chercher un café, il me faudra au moins ça pour supporter ton humeur. Je t’en apporte un ?

— Je veux bien, oui.

Malgré ma volonté de me concentrer sur l’article à écrire, mon attention est attirée par le mouvement qu’elle crée partout où elle passe. Au sein de la publication, elle donne vraiment l’impression d’être l’élément de folie qui perturbe toute l’organisation bien agencée. Et puis, je ne sais pas si elle s’en rend compte, elle a un cul d’enfer, cette femme. Bref, avec tout ça, quand elle revient, je n’ai pas écrit une ligne et ça, ça ne me ressemble pas.

— Vu notre expérience ce matin, indiqué-je en essayant de reporter ma concentration sur l’écran de mon ordinateur, je crois qu’il faut qu’on parle des attitudes déplacées des personnes qui fréquentent ou qui travaillent dans les salles, non ? Tu as vu comment le coach t’a parlé ? Comme si tu avais besoin de ce type d’exercices !

— Hum… J’aurais adoré qu’il me propose un cours de self-défense pour lui broyer les couilles, à celui-là, marmonne-t-elle. On peut partir sur ça, oui, mais il ne faut pas oublier de raccrocher tout ça au sujet du numéro spécial.

— Parce que tu crois que ce n’est pas ce que j’ai en tête ? J’ai fait une liste de tous les équipements qu’il y avait dans la salle ainsi que de la proportion d’hommes et de femmes qui les utilisaient. Et bien entendu, il y a plus de femmes qui courent et plus de mecs qui portent des poids. Pas surprenant, mais c’est bien de voir que nos observations rejoignent les clichés qu’on peut avoir. Et toi, tu en retires quoi de ce matin, alors ?

— Que vu le nombre de miroirs et de salles vitrées, ceux qui vont à la salle sont soit égocentriques, soit adeptes du voyeurisme. Peut-être même les deux à la fois, d’ailleurs.

— Ah oui, niveau voyeurisme, je pense que tu n'aurais pas été déçue dans les vestiaires des hommes ! Mais bon, on ne peut pas résumer le fitness au voyeurisme, si ?

— Non, certes. As-tu remarqué le cours de step uniquement composé de femmes ? J’ai regardé le planning à l’accueil, beaucoup de cours ne sont pas mixtes, dans cette salle. Tu crois que selon si on a un service trois pièces ou non, on fait du step différemment ?

— Ça va être un article super recherché, dis-je un peu amèrement. Cela ne m'enthousiasme pas du tout, surtout qu'on fait les mêmes constats, qu'on soit un homme ou une femme…

— Ok. Bon… je te propose de faire un état des lieux de la salle pour commencer, histoire d’avoir une trame, parce que tes ronchonnements me fatiguent un petit peu et j’imagine que toi comme moi avons autre chose à faire. Ce serait intéressant de réussir à choper les statistiques de la salle, niveau hommes/femmes, avec ou sans coach. Et puis, je pense qu’on peut faire une partie sur toi qui te fais draguer, histoire de bouleverser un peu les codes. Pour une fois qu’on peut mettre en avant autre chose que les mecs lourds qui draguent n’importe où et n’importe comment.

— Tu veux qu'on fasse venir tous les mecs du coin à cette salle de sport ? S'ils savent qu'il y a des nymphos qui sautent sur tout ce qui bouge… Mais pour le reste, pourquoi pas.

— On ne va pas citer la salle pour éviter d’avoir des ennuis. Et ce n’est pas parce qu’une femme te drague que tout de suite c’est une nympho. Bonjour les stéréotypes, Monsieur le coincé du bulbe !

— Pourquoi faut-il que tu ramènes toujours tout à moi ? Tu sais que pour être un bon pro, il faut savoir prendre un peu de distance avec ses sujets ?

— Allez, ça suffit, tu as gagné, aujourd’hui tu as réussi l’exploit de me foutre de mauvais poil, explose-t-elle en se levant. Excusez-moi de ne pas voir le journalisme et les infos dans le prisme de vos petits yeux étriqués, Monsieur Kerouaec ! La mauvaise pro t’emmerde et te suggère gentiment d’aller te faire foutre pour aujourd’hui.

Je n’ai pas le temps de répondre que la furie est déjà sortie de l’aquarium et je me retrouve seul, comme un con? Je surprends les sourires goguenards de certains de mes collègues qui baissent les yeux dès que je les capte. A chaque fois que nous devons écrire ensemble, Adèle et moi, c’est la même histoire. On passe la préparation à s’engueuler, l’écriture à se disputer et pourtant, le résultat plaît toujours à Véronique et aux lecteurs ensuite. Je pourrais dire que c’est parce que c’est moi qui fais tout le boulot, que je suis le plus consciencieux, mais ce serait mentir. Adèle a sa façon de faire et ça fonctionne aussi bien que la mienne. C’est juste exaspérant de devoir collaborer alors que nous sommes si différents.

Je me lève et retourne à mon petit espace personnel où je prends un temps pour mettre en forme mes notes et mes pensées. Adèle a juste pris ses affaires et est partie en weekend, et je ne vais pas tarder à faire de même. Avant de partir, je dépose sur son bureau mes notes pour qu’elle sache où j’en suis. Je lui envoie aussi un petit message pour lui dire que lundi après-midi, après le comité de rédaction, je nous ai réservé une petite séance de coaching où nous pourrons aller à deux. Je sais que je suis fou de réitérer l’expérience, mais il faut bien que l’article se fasse. Heureusement, ce weekend, je vais pouvoir me ressourcer avec mon père. L’air breton, il n’y a que ça de bon !

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