13. Ensemble contre l’abruti

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Eliaz

Je regarde ma montre et me dis que j’ai encore un peu de temps à attendre que ma collègue daigne montrer le bout de son nez. Par précaution, je lui ai fixé rendez-vous dix minutes avant le début supposé du cours mais je me demande si c’est suffisant. Si c’est comme ce matin, je vais me retrouver à y aller seul. De toute façon, si c’est pour m’entendre dire encore que je me sens supérieur à elle parce que je suis un mec et qu’elle est une femme, autant qu’elle reste chez elle. La seule supériorité que j’ai sur elle, c’est ma capacité de travail. Je ne suis clairement pas un meilleur reporter qu’elle, elle a vraiment beaucoup plus de talent que moi et un don inné pour l’écriture journalistique, mais s’il y a une chose sur laquelle je la bats à plate couture, c’est sur ma capacité à travailler et à m’investir dans mon travail.

Et puis, si je me suis énervé la semaine dernière, c’est aussi parce qu’elle veut utiliser la gêne que j’ai ressentie lorsque je me suis fait draguer pour donner du piment à l’article. Elle ne se rend pas compte que je peux vite devenir la risée de toute la rédaction, voire de tous les hommes qui comprendront en lisant l’article que le nom masculin associé à l’article est aussi celui du mec qui ne comprend pas qu’une femme le drague lorsqu’elle l’aborde dans la salle de sport. Franchement, si elle avait un minimum de considération pour moi et mon travail, elle arrêterait de toujours revenir à ça. Ou alors, c’est elle qui a raison ? Parce que c’est vrai que c’est un bon angle, que c’est quelque chose qui est vraiment arrivé et que c’est symptomatique d’un phénomène plus large. Peut-être que je devrais lui faire confiance ?

En tout cas, j’ai été mauvaise langue car Adèle arrive juste à l’heure prévue et je dois me faire violence pour ne pas la mater alors qu’elle apparaît au coin de la rue. Déjà qu’elle me prend pour un macho, si en plus elle croit que je suis un pervers, c’en est fini de notre tumultueuse collaboration. Je fais semblant de me concentrer sur un article de presse sur mon téléphone mais m’arrange pour l’avoir dans mon champ de vision lorsque je lève légèrement les yeux. Comme la dernière fois qu’on s’est retrouvés dans une salle de sport, elle a revêtu un legging qui moule ses fesses et ses jambes et qui ne laisse rien à l’imagination. Au-dessus, elle a enfilé un tee-shirt plus moulant et je me dis que le fait qu’on se présente cette fois à deux lui a donné plus confiance pour ne pas mettre d’habits qui dissimulent trop ses formes. Un élément à noter pour l’article.

— Tu es prête ? demandé-je sans la saluer, encore fâché de sa sortie de ce matin en réunion. L’objectif du programme, c’est d’atteindre son poids d’équilibre en fonction de son mode de vie. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais l’idée de base est déjà intéressante en soi car critiquable. Le poids d’équilibre, c’est celui où on se sent bien, non ?

— Oui, un truc dans le genre… Ça doit correspondre au poids qu’on parvient à maintenir sans s’affamer et sans se gaver. On verra ce que le coach pense du mien, tiens.

— Que veux-tu qu’il en pense ? Tu n’as rien de trop ! ne puis-je m’empêcher de dire alors qu’elle relève les yeux vers moi, amusée. Enfin… c’est ce que je disais, l’équilibre, c’est quand tu te sens bien et on ne peut pas dire que tu donnes l’impression de ne pas te sentir bien !

— T’es mignon, sourit-elle en passant son bras sous le mien, mais mon doc voudrait que je passe plus de temps dans ce genre de salles, alors ça veut tout dire. Allez, c’est le moment de jouer le rôle de notre vie, Chéri.

Chéri ? Qu’est-ce qui lui prend ? Elle doit vouloir se rattraper de ce matin, mais bon, je n’aime pas l’hypocrisie. Et puis, quelle idée de faire croire qu’on est un couple, j’avais juste en tête qu’on y aille à deux, entre amis, pas en couple. Bref, je préfère ne rien dire alors qu’elle ne semble pas vouloir me critiquer et nous pénétrons dans la salle de sport où un type aussi grand que moi mais vraiment baraqué nous accueille. Le beau brun doit avoir l’habitude d’être maté par les femmes car il prend un malin plaisir à montrer ses muscles devant Adèle avant de nous accueillir, avec un petit accent toulousain, je dirais.

— Qu’est-ce qui vous amène, les amoureux ?

Je ne peux m’empêcher de dégager mon bras de celui de ma collègue avant de lui expliquer que nous ne sommes pas amoureux et que nous sommes là pour essayer le programme de fitness en couple. Son air entendu me fait comprendre qu’il ne croit pas à mon histoire et je me demande ce qu’il s’imagine.

— On commence par quoi, alors ?

— Eh bien, on dirait que vous n’avez pas l’habitude de venir dans les salles de sport ! On s’échauffe bien entendu, et je crois que vous en avez bien besoin, tous les deux, de vous chauffer mutuellement.

— Oui, alors, on vient pour faire du sport, pas pour des conseils de couple, merci, intervient d’entrée Adèle.

— Oui, beaucoup disent ça. Allez, à vélo et on arrête de parler, les bavardes, elles ne le sont que quand elles arrivent ici. Quand elles repartent, elles utilisent leur souffle pour des choses plus utiles.

Je me marre en voyant le regard ulcéré d’Adèle mais l’entraîne avant qu’elle ne fasse un scandale qui ruine le reste de notre observation. Certes, le gars est un vrai macho, mais c’est aussi ça que nous sommes venus voir. Je m’installe sur un des deux vélos qui se situent devant un écran que le coach allume. Il nous explique que nous allons pouvoir faire la course, si on le désire, mais que nous aurons plus de points si nous parvenons à coordonner nos vitesses.

— C’est plus marrant, je trouve, d’essayer d’obtenir un équilibre entre vous que de voir qui va le plus vite, parce là, clairement, ça sera vous, Monsieur. Il n’y a pas photo. Mais bon, l’objectif du cours que vous avez pris, c’est l’équilibre. Allez, c’est parti. Je reviens vous voir dans dix minutes. N’hésitez pas à appuyer sur la pédale, surtout vous, Madame !

Je me retiens le temps qu’il s’éloigne puis pouffe alors qu’Adèle n’a pas l’air ravie de ce début de session.

— Purée, impossible de le prendre au sérieux avec son accent et ses réflexions ! Tu crois que plus on gonfle les muscles, moins le cerveau est irrigué et que ça se ressent sur leur stupidité ? demandé-je en commençant à pédaler.

— Tout ce que je sais, c’est qu’il a plutôt intérêt à bien maintenir sa serviette sur son épaule ou je risque de la lui faire bouffer. Non mais j’hallucine, tu vois, littéralement ce que je te disais avant d’entrer. Sous prétexte que je ne rentre pas dans un trente-six, trente-huit, forcément je vais finir essoufflée au bout de deux minutes. Finalement, on va peut-être citer le nom de la salle dans l’article, et son nom à lui particulièrement, tiens, ça lui fera les pieds à cet abruti.

— Allez, concentre-toi, je suis obligé de ralentir, là, pour t’attendre. Montrons lui qu’on sait faire du vélo !

Je ne peux m’empêcher de m’amuser de la situation car elle se retrouve là en face de personnes qui se croient vraiment supérieures, juste parce qu’elle est une femme. J’espère que ça va la faire réfléchir un peu à ses réflexions de ce matin. Lorsque les dix minutes sont écoulées, le coach revient et regarde les résultats.

— Eh bien, c’est mieux que ce que je vous croyais capables de faire ! Bon, c’est pas le record de la salle, mais c’est pas mal. Bravo Monsieur. Et vous, Madame, vous n’avez pas trop démérité, c’est bien, ajoute-t-il, condescendant.

Je m’attends au pire concernant la réaction d’Adèle suite à ces propos mais je n’ai pas le temps d’intervenir que déjà, elle le tacle.

— Peut-être que vous devriez l’ouvrir un peu moins et prendre le temps de donner leur chance aux gens, non ? Pour le reste, désolée, je ne suis pas à cent pour cent. Contrairement à vous qui me semblez bien frustré par votre petite vie chiante sans nana, si j’en crois vos réflexions machistes, j’ai passé mon weekend à danser et à baiser, je suis un peu courbaturée.

— Oh mais c’est qu’elle a du caractère, la petite dame ! répond-il avec son accent chantant. Allez, on va passer à l’activité suivante.

Pourquoi ai-je perdu toute motivation à les suivre, tout à coup ? Parce que j’ai appris qu’elle a passé son weekend dans les bras d’un autre ? Ce n’est pas parce que nous sommes ici en “couple” que nous le sommes vraiment, même si je l’avais un peu oublié en faisant du vélo.

— Alors, je vous préviens, cette partie-ci, c’est ce qui fait la spécificité de notre salle. C’est un mélange de Fort Boyard, Koh Lanta et Tournez Manège ! Eh oui, tout ça en un ! Vous voyez, vous entrez par la petite porte, là, et vous avez trente minutes pour ressortir par cette porte-ci, indique-t-il en montrant celle qui se trouve un peu sur notre droite. Pour y arriver, il faut à la fois faire preuve de force, d’agilité, d’ingéniosité, mais surtout de collaboration. Du sport et de la bonne entente, ça ne devrait pas vous faire peur ! Revenez me voir quand vous avez terminé !

Là, on est mal. Pour le sport, encore, Adèle est surprenante et, même si elle ne fait pas autant d’exercice physique que moi, elle est en forme. Faut croire que le sexe à outrance, ça conserve. Mais pour la bonne entente, c’est mort.

— Bonne entente, hein ? Tu crois que tu vas savoir faire ça avec un macho comme moi ?

— A ce propos, maintenant que j’ai vu l’autre abruti, et même si j’y pense depuis ce matin, je suis désolée, mes propos ont dépassé ma pensée. Je n’aurais pas dû dire ça, d’autant plus que même si on passe notre temps à se chamailler, de ce que j’ai vu, tu n’es pas un misogyne, juste un peu jugeant et condescendant, quoi…

— Ouais, je sais… Je m’excuse aussi car, même avec tes méthodes, tu arrives à des trucs bien, c’est pas cool d’avoir critiqué ta façon de faire… On oublie tout et on repart sur de bonnes bases ? demandé-je en espérant qu’elle accepte.

— On peut toujours essayer, et si on pouvait lui faire fermer sa tronche, à lui… ce serait pas mal.

— Tu crois qu’il pense qu’on ne va pas y arriver ? Même s’il a bien compris que ce n’était pas avec moi que tu avais baisé tout le weekend, on doit réussir à bosser ensemble pour franchir les obstacles, non ?

— Je pense qu’il a les muscles, et que si nous ne sommes pas gonflés comme lui, nous, on a le cerveau. Alors, tout est possible. On arrive bien à faire des articles qui plaisent alors qu’on se chamaille tout le temps ! Pourquoi ça ne marcherait pas maintenant ?

— Oui, tu as raison. Essayons !

Et sans un mot de plus, nous nous lançons dans le parcours qui lui a été conçu par quelqu’un qui n’a pas que des muscles. Nous sommes obligés à plusieurs reprises de nous arrêter et échanger sur les façons de faire. Contrairement à quand nous écrivons, nous parvenons à nous écouter et je crois que c’est parce que ni elle, ni moi, ne nous positionnons en situation de supériorité. Nous travaillons ensemble et nous parvenons sans trop de difficulté à réaliser les différentes épreuves jusqu’à la fin. Finalement, ce n’était pas si désagréable que ça, mais l’attitude du coach à notre retour nous donne encore des éléments pour enrichir notre article, notamment sur le sexisme de certains.

— Eh bien, mazette ! Vingt-trois minutes ! Moi, j’aurais pas parié là-dessus ! Comment vous avez fait ? Madame, vous n’avez quand même pas triché auprès de mon collègue en utilisant vos charmes ?

— Eh bien, non, interviens-je. Madame et moi avons collaboré et utilisé nos forces pour y arriver ! Vous savez, ce n’est pas parce qu’elle a une jolie poitrine et un cul d’enfer qu’elle n’a que ça pour s’en sortir !

Je réalise ce que je viens de sortir et m’interromps dans mes propos immédiatement, en me tournant vers elle pour savoir comment elle va réagir, parce que je n’ai pas été beaucoup mieux que le coach sur ce coup-là.

— Je n’aurais pas dit mieux, souffle-t-elle en me jetant un regard et un petit sourire. La couverture ne fait pas le livre, Monsieur. Et je vous conseille d’arrêter ce genre de remarques, vous savez, nous, les femmes, nous sommes plutôt casse-couilles, et l’idée de porter plainte pour harcèlement sexuel me titille les neurones, là, tout de suite. On y va, Eliaz ? J’en ai ma claque de cet abruti.

— Oui, allons-y, Chérie, on a vu ce qu’on avait à voir ici.

Purée, qui aurait cru que notre séance d’essai dans cette salle de sport aurait cet effet sur nous ? Je n’en reviens pas de la façon dont ça s’est passé avec Adèle, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu ce type de rapports avec une femme. Est-ce que c’est parce que je sais que mon amour d’enfance s’est marié ? Ou alors, est-ce que c’est Adèle qui a permis ce miracle ? Je ne sais pas, mais ce qui est bien, c’est que pour la première fois depuis qu’on bosse ensemble, on a fait équipe. Même si le gars est un abruti, son cours n’est pas si mal que ça, au final, s’il nous a permis à Adèle et moi de nous réconcilier un peu. Oh, ça ne durera pas, mais c’est déjà un miracle que ça se soit produit !

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