Chapitre 1 : Retour à la maison
|Da Hyo|
Rabaissant les lunettes de soleil sur son nez, Kim Da Hyo fixait, avec un mélange d'anxiété et d'agacement assez paradoxal, la petite troupe de journalistes qui attendait son arrivée avec beaucoup d'attention.
En plus de la fatigue causée par le décalage horaire et des treize longues heures de vol sans escales depuis San Francisco, sa patience commençait à être mise à rudes épreuves. À peine venait-elle d'atterrir à l'aéroport international d'Incheon, qu'elle se faisait déjà traquer comme un animal sauvage.
Les nerfs en pelote, la jeune femme rongea un instant ses ongles avant de se jeter littéralement derrière un mur à l'abri des regards de ces rapaces qui étaient devenus depuis peu, ses nouveaux prédateurs naturels. Dangereux, tenaces et imprévisibles, ils étaient en ce moment même au sommet de la chaîne alimentaire. Mais plus pour longtemps. Da Hyo était consciente de ce qui l'attendait chez elle, une fois à la maison familiale ces petits volatils ne seraient qu'un vague souvenir, une bien pâle figure face au Prédateur Suprême - comme aimait à l'appeler Da Hyo en secret. Il était question là d'un prédateur capable de faire retourner à l'état de fœtus n'importe quel colosse d'un simple regard de travers : son père.
Non, son père n'était pas le patron d'un gang ni celui d'une mafia - du moins, pas à la connaissance de sa fille - mais son aura s'en approchait néanmoins dangereusement. Homme froid et extrêmement redoutable, Kim Byung Mo n'était pas une personne à prendre à la légère. Et qu'il s'agisse d'un employé ou de sa fille chérie, le jugement du maître de maison était immédiat et irrévocable, car il mettait la confiance au centre de ses relations. Son père lui avait donné cette confiance en la laissant faire sa vie comme bon lui semblait à l'étranger, n'ayant pour seule condition que celle de faire honneur à son nom. Da Hyo avait échoué à la respecter. Pire encore, après le terrible incident devenu médiatique, le nom auquel son père tenait tant fût jeté dans la boue et ses nombreux ennemis en ont profité pour l'enfoncer davantage.
Un frisson lui parcourut l'échine, la ramenant à l'instant présent. Elle se força à ne plus penser à ce qui l'attendait chez elle, car elle avait un autre problème à régler dans l'immédiat avant d'affronter le boss. Les priorités d'abords. Et dans son cas, Da Hyo devait en premier lieu réussir à se débarrasser des journalistes qui continuaient de camper devant le terminal de l'aéroport. La jeune coréenne grimaça en se passant une main sur son visage fatigué. Comment allait-elle réussir à tromper leur vigilance ? Le découragement commençait à poindre, ajoutant du poids sur ses épaules déjà bien lourdes.
Soudain, son sac à main se mit à vibrer et l'étudiante en psychologie en sortit son téléphone pour lire le message que son frère venait de lui envoyer.
Sortant furtivement la tête de sa cachette, elle regarda aussi discrètement que possible derrière les journalistes, comme lui demandait le message. Da Hyo remarqua alors son frère, de cinq ans son cadet, venir d'un pas rapide dans sa direction en lui faisant signe d'un rapide mouvement de main. Le signal !
Prenant une grande inspiration, la jeune femme attrapa sa valise et alors qu'elle s'apprêtait à se jeter dans la gueule du loup, un couple la dépassa, la faisant sursauter. Et la surprise se transforma rapidement en joie lorsqu'elle se rendit compte que d'autres passagers avaient débarqués pendant qu'elle attendait son frère. Son courage à nouveau retrouvé, elle fondit dans la masse de voyageurs fatigués. Une main sur sa casquette et ses lunettes de soleil bien ajustées, elle pria pour arriver à passer les journalistes sans se faire démasquer.
Une idée illumina soudainement son esprit. Le cœur battant la chamade, Da Hyo accéléra le pas pour gagner un groupe de voyageurs qui riaient aux éclats. Elle se colla littéralement à un étranger, sûrement européen en vue de sa chevelure blonde ondulée.
Stupéfait, le jeune homme la dévisagea en essayant de se détacher de son contact, visiblement très mal à l'aise. Ravalant sa fierté, Da Hyo le supplia du regard tout en indiquant le groupe de journalistes qui s'impatientait à quelques pas d'eux. L'étranger parut d'abord surpris, mais demanda tout de même à son groupe de faire comme si de rien n'était et d'avancer. Da Hyo l'aurait bien embrassé si elle le pouvait puisqu'il venait tout de même de lui sauver la mise en lui évitant un autre scandale.
Faire ses études à l'étranger l'avait visiblement bien changée. Jamais auparavant, elle n'aurait eu ce genre de pensée, elle qui n'avait pas été habituée à un tel laisser-aller. Il était bien vrai que les habitudes s'attrapent plus facilement que la grippe. Elle bénit intérieurement le jeune homme et se promit de lui rendre sa générosité si jamais leur route venait à se recroiser.
Grâce à l'aide de ces étrangers, l'étudiante pût passer aisément sous la vigilance des journalistes puisqu'ils la dépassaient quasiment tous d'une bonne tête ou presque.
Voyant que l'avancée de sa sœur s'annonçait bien, Kim Joon recula doucement dans l'intention de se faire plus discret, ajustant sa veste par-dessus son uniforme scolaire. Et lorsque le groupe d'étrangers passa devant lui, il les remercia vivement avant d'attraper Da Hyo par le bras, lui prenant la valise dans un même mouvement, pour s'enfuir à toute allure.
— Elle est là ! hurla une voix au loin.
Les enfants Kim ne prirent même pas la peine de regarder en arrière pour comprendre que la horde de vautours s'était lancée à leurs trousses.
Ils coururent aussi vite que leurs jambes leur permettaient pour traverser le grand hall et arriver enfin à la voiture qui les attendait à l'extérieur et que leur père avait envoyée pour venir les chercher. Ne prenant pas le temps de déposer la valise de Da Hyo dans le coffre, Joon se contenta de la balancer sur le siège passager avec sa sœur et de se précipiter sur le siège avant.
La voiture démarra en trombe juste avant que les journalistes ne puissent faire barrage de leurs corps. À quel point étaient-ils fous de mettre leur vie ainsi en danger uniquement pour un bon scoop !? Ce n'est que lorsque la voiture atteignit rapidement l'autoroute que les deux jeunes Kim réussirent à reprendre leur souffle.
Joon se mit subitement à rire, réussissant à apporter un léger sourire sur le visage de Da Hyo. Elle avait l'impression que cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas ressenti un peu de bien-être. Dans d'autres conditions, elle lui aurait ébouriffé les cheveux, heureuse de pouvoir le voir autrement qu'au travers d'une webcam.
Elle adorait son petit frère, qui savait toujours la détendre avec sa constante bonne humeur, même alors que presque six ans les séparaient. Et il fallait l'avouer, cette petite course poursuite lui avait fait un bien fou. Elle avait l'impression qu'elle s'était libérée d'une partie du poids qui lui pesait depuis plus d'une semaine. Ce scandale avait été la goutte de trop après de longues semaines de calvaire et Da Hyo savait qu'un autre, dès son retour au pays, allait lui coûter très cher. Elle ne pouvait d'ailleurs plus en supporter aucun.
Secouant la tête afin de faire sortir les mauvais souvenirs de son esprit, la jeune femme se laissa aller contre le dossier, la tête entre deux repose-têtes. Fixer le plafond, même celui de la belle voiture noir, ne changeait rien à la situation dans laquelle elle se retrouvait, mais Da Hyo avait pris cette habitude qui lui donnait l'illusion de s'isoler du monde et elle ne comptait pas s'en débarrasser de sitôt.
— Ça va ? voulut s'assurer Joon, le regard inquiet.
— Le Prédateur avait l'air énervé quand tu es sorti de la maison ?
Joon grimaça, désolé de ne pas pouvoir aider sa sœur sur ce coup-là.
— Je n'en sais rien, je n'ai pas dormi à la maison hier soir. J'imagine que oui. Tu as fait un grand scandale, la presse n'a pas arrêté d'en parler en t'associant à lui.
Le teint de Da Hyo devint blafard. C'en était fini pour elle ! L'angoisse et la culpabilité se mélangeaient, lui donnant une impression de nausée. Elle n'avait pourtant jamais eu le mal de voiture, mais elle aurait tout donné en cet instant pour que le véhicule s'arrête et retarde le moment des retrouvailles. Faute de pouvoir le faire, la jeune étudiante en psychologie se contenta d'ouvrir la fenêtre et de respirer goulûment l'air frais, sachant pertinemment que son père avait donné ordre au chauffeur de ne pas faire d'escale avant d'arriver à la maison.
Peu à peu, le décor changea, Séoul était bien grande après tout. L'autoroute laissa place à de larges boulevards ou de petites rues surplombés par d'immenses buildings au style moderne couverts d'écrans publicitaires. Les villas apparurent ensuite à l'horizon après presque une heure de route et enfin, la maison familiale se dessina en contrebas. Le cœur de Da Hyo se serra dans sa poitrine. Son père lui avait manqué, pourtant, c'était horrible pour elle de le revoir dans ces conditions. Ses yeux commencèrent à s'embuer mais elle retint ses larmes, ne voulant pas énerver davantage l'homme qui lui avait tout donné.
La lumière à l'extérieur était allumée et quand Joon et Da Hyo passèrent la porte d'entrée, avec sa valise, ils découvrirent leur père, au milieu du couloir, qui les attendait. Sa posture était stricte, il croisait les bras et ne fixait que Da Hyo, la rendant directement mal à l'aise. Une tristesse et une angoisse infinies lui torturaient le cœur. Elle avait l'envie de se jeter dans ses bras et en même temps, elle ressentait le besoin de s'agenouiller pour lui demander pardon. Elle choisit de s'incliner à nonante degrés, le cœur au bord des lèvres.
Le silence pesait lourd et semblait durer une éternité. Elle n'osait pas se redresser et son frère garda le silence, mesurant la tension qui surplombait l'habitat tout entier.
— Abeoji {père}... osa murmurer Da Hyo, le souffle court, le corps toujours incliné vers son géniteur.
Il ne disait rien, ce qui poussa la jeune femme à gémir intérieurement de frustration. Le silence de son père la blessa plus qu'elle ne voulut se l'avouer. Elle se sentait honteuse.
— Je pars pour une semaine en Thaïlande, ne fais rien qui nuise encore à ta famille.
Ce furent les seuls mots qu'il prononça. Et les plus froids que Da Hyo n'eut jamais entendus venant de son père. Certes, elle l'avait toujours surnommé "Prédateur Suprême" à cause de son comportement calculateur et froid, mais jamais il ne lui avait montré aussi peu de considération. Le cœur blessé, la jeune étudiante continua tout de même de s'incliner jusqu'à ce qu'il sorte de la maison sans un regard en arrière. Elle n'avait pas voulu lever les yeux pour le regarder partir, la peur d'y apercevoir du dégoût était bien trop forte. Si tel avait été son regard, cela aurait achevé de la briser entièrement.
Les larmes menacèrent de couler et cette fois-ci, elle n'eût pas la force de les contenir.
— Noona {Grande-sœur} ... l'appela doucement son frère en l'aidant à se redresser. Ne t'inquiète pas, ça lui passera. Il est juste énervé.
Balayant les paroles de Joon d'un mouvement de main, Da Hyo prit sa valise et monta à l'étage pour regagner sa chambre et y pleurer toutes les larmes de son corps. .
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