Chapitre premier

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Il pleuvait en cette froide nuit d'automne dans la campagne galloise. Une silhouette encapuchonnée cheminait le long de la route, éclairée par intermittence lorsqu'un nuage daignait laisser passer quelques rayons de Lune.

Au loin, le bruit de chevaux au galop se mit à gronder et s'amplifia. L'inconnu en capuchon tendit l'oreille, sorti un objet fin et long de sa manche et disparut dans l'ombre. Lorsque les cavaliers passèrent à côté, ils ne virent personne et continuèrent vers leur destination, lancés à fond de train.

Sous sa pèlerine, l'inconnu reparu un peu plus loin, comme un fantôme. Mais les fantômes ne pestent pas et de sous la capuche s'éleva une voix féminine :

— Foutu cinglés ! pesta-t-elle. Je suis couverte de boue, à présent !

Elle continua néanmoins à avancer, commentant à voix haute qu'il fallait être dingue pour lancer des cheveux à si vive allure sur une route boueuse et en pleine nuit de surcroît ! Chacune de ses imprécations propulsait un petit panache de vapeur qui condensait aussitôt dans l'atmosphère humide.

Soudain, elle s'arrêta, apparemment au milieu de nulle part, comme si elle voyait quelque chose qu'elle seule pouvait percevoir.

– Ce doit-être ici, commenta-t-elle tout haut.

De nouveau, elle fit jaillir de sa manche la même baguette, longue d'environ dix ou onze pouces. La lune éclairait la scène à cet instant sous la bruine galloise et la silhouette sombre se détachait parfaitement contre la campagne marécageuse qui s'étendait devant elle. La femme exécuta une série de mouvements complexes et un chemin se révélât devant elle comme par magie, sur lequel elle s'engagea, confiante. Après son passage, le chemin disparu de nouveau et la silhouette encapuchonnée s’évanouit avec.


***

Dans une chaumière perdue au milieu du marais, dissimilée au reste du monde dans un hallier particulièrement touffu, une jeune femme s'affairait à préparer son dîner. Cette scène, singulièrement banale, relevait pourtant pour un observateur extérieur d'un spectacle tout à fait exceptionnel.

Une marmite suspendue dans l'âtre fumait tranquillement pendant qu'une louche touillait toute seule son contenu. Un couteau de cuisine découpait sur sa planche des légumes en quartiers et la femme s'affairait quant à elle autour de la table. Elle disposa une large tranche de pain, un bol et un gobelet en terre cuite ainsi qu'une cruche d'eau devant sa place habituelle. Sous une coupole transparente au milieu de la table brillait une sphère lumineuse qui donnait à la pièce un éclat irréel. Sur le rebord de la fenêtre, une plante s’agitait mollement dans sa jardinière et pour couronner le tout, une créature apparut soudainement dans un craquement sonore. La chose, haute d’un peu plus de deux pieds, ressemblait à une parodie d’enfant. Les yeux globuleux et larmoyants, le nez trop long fin et pointu, elle s’inclina profondément devant la femme, ses grandes oreilles touchant le sol. Elle portait comme une toge deux torchons cousus grossièrement ensembles.

—Si tu as terminé tes corvées, Doudie, remets donc une bûche ou deux dans la cheminée, je te prie.

— Tout de suite, maîtresse ! Couina la créature.

Elle disparut de nouveau dans un craquement sonore avant de reparaître de la même façon quelques secondes plus tard, chargée d’une bûche aussi longue qu’elle était grande. Il semblait bien difficile pour elle de porter dans ses bras graciles un objet aussi volumineux. Le bout de bois venait tout juste d’atterrir dans l’âtre quand on frappa à la porte.

La femme comme la créature se figèrent en regardant l’entrée. Brandissant sa baguette, elle s’approcha de l’huis.

— Qui est-ce ?

— Elga ? C’est Rowe ! Ouvre donc, il fait un temps de chien là dehors !

Un sourire éclaira aussitôt le visage de la dénommée Elga et elle ouvrit la porte sans plus attendre.

— Rowie ! Ma parole, que fais-tu ici ? Entre, entre donc.

La visiteuse encapuchonnée entra, répandant de l’eau et de la boue dans l’entrée.

— Je viens rendre visite à une vieille amie, que veux-tu que je fasse d’autre dans ce trou perdu ?I Ironisa-t-elle en ôtant sa pèlerine et, la tenant à bout de bras, l’observa avec une expression de lassitude.

—Tergeo! Incanta-t-elle en faisant un moulinet avec sa baguette.

Un peu de boue disparu, mais le résultat n’était pas très concluant.

— Toujours aussi douée pour les sortilèges de nettoyage, à ce que je vois ! s’esclaffa Elga. Laisse donc cela à Doudie, elle va s’en occuper.

La petite créature aux grandes oreilles se précipita en avant pour s’emparer du vêtement.

— Tu as une elfe, maintenant ? S’étonna Rowe avec une pointe de déception.

— Oui, c’est mon oncle Edouard, qui me l’a léguée. Elle aurait dû revenir à mon père, mais ce vieux fou voulait me faire un dernier cadeau. Alors il lui a ordonné de me servir.

— J’ai toujours trouvé les elfes de maison un peu ridicules. Ils sont tellement… Serviles. Bref, ce n’est pas ce qui m’amène, comment t’es-tu retrouvée dans cette bicoque ?

Tandis que les deux femmes discutaient, l’elfe disparut un moment avant de revenir précipitamment. Elle disposa un couvert supplémentaire sur la table, nettoya l’entrée.

— Et mes travaux avancent bien ! Affirmait Elga avec enthousiasme. Ce marais regorge d’espèces insoupçonnées. J’ai découvert de nouvelles propriétés magiques à de nombreuses herbes que l’on pensait sans grand intérêt jusqu’ici. Cette vieille cahute de famille aura servi à quelque chose, finalement. Et toi, Rowie, qu’est-ce qui t’amène ?

— Je suis venu te voir parce que les moldus m’inquiètent…

— Tiens donc, une grande sorcière comme toi, intimidée par des moldus ?

— Je suis sérieuse, Elga. Peut-être n’as-tu pas remarqué, mais depuis la mort de Merlin et l’arrivée de ces « Prêtes », les choses changent. Les gens se détournent des sorciers, quand ils ne les persécutent pas. J’ai reçu un hibou de la part d’un ami la semaine dernière. Il me racontait qu’il avait sauvé un jeune né-moldu du bucher.

— Pardon ? Ils brûlent des enfants ? Se révolta Elga. Mais c’est… C’est monstrueux !

— Cette fois ci, ils ont échoué. Mais oui, les moldus se livrent à des atrocités depuis que cette nouvelle religion se répand un peu partout. Ils ne se contentent pas de se détourner de la sorcellerie, ils veulent la faire disparaître.

Les deux jeunes femmes échangèrent un moment sur le sujet tandis que la petite elfe s’affairait de ci de là. Lorsqu’elle eut terminé, elle alla se réfugier dans un panier, près de la cheminée, où elle se recroquevilla sous un vieux morceau de couverture et observa les deux femmes assises à table.

Rowe, la nouvelle venue, était grande et fine, naturellement élégante. De longs cheveux noirs encadraient un joli visage. Elle avait les yeux vifs et perçants d’un bleu sombre. Seul son nez dénotait un peu : proéminent et busqué, il évoquait un bec d’oiseau.

Elga ressemblait plus à une jeune et solide campagnarde qu’a une grande sorcière même si elle n’avait rien à envier de ce point de vue à son amie. Elle arborait néanmoins un visage harmonieux que venaient couronner une chevelure dorée.

En somme, malgré un âge similaire et une solide amitié, l’une et l’autre se différenciaient en de nombreux points.

— Si les nés-moldus risquent leur peau au moindre petit incident magique, il faut les aider, affirmait Rowe. C’est l’avenir de notre communauté qui est en jeu.

— Si je peux t’aider, je le ferai ! affirma Elga avec force. Pauvres bambins…

— Justement, tu peux. Cette maison est isolée et impossible à trouver pour un moldu. Je compte rompre avec la tradition du maître et de l’élève. Je pense rassembler plusieurs enfants et les instruire pour qu’ils puissent se défendre face à cette nouvelle folie. Tu pourrais en abriter quelques-uns, le temps que je les rassemble ?

— Tu peux compter sur moi. Mais la maison est petite, je ne pourrais pas en accueillir plus de cinq ou six…

— Ne t’en fais pas, je compte m’installer dans le château familial, en Cornouaille. Mais je dois le protéger et le rénover. Même avec de la magie, ça prend du temps. Et il y a urgence. D’ailleurs, aurais-tu un hibou ou une chouette sous la main ?

— Oh, à cette heure, Brume doit être parti chasser. Mais tu peux confier ton message à Doudie, il arrivera d’autant plus vite, vu comment les elfes se déplacent.

Rowe se mit aussitôt à rédiger un message qu’elle scella à l’aide d’un sortilège, puis confia le rouleau à l’elfe. Celle-ci débordait d’enthousiasme à l’idée de rendre un service à l’amie de sa maîtresse.

— Le destinataire s’appelle Godric. Il se trouve actuellement près de Londres. Ne laisse personne d’autre que lui ouvrir ce parchemin, compris ?

Doudie hocha vigoureusement de la tête pour marquer son acquiescement, faisant dodeliner comiquement ses grandes oreilles, avant de disparaître dans un craquement sonore.

— Il faut vraiment que les sorciers trouvent un moyen de copier ce talent… Commenta Rowe.

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