Une question de volonté
Doit-on ressentir pour écrire ? C’est là une vaste question, à laquelle de multiples réponses pourraient convenir. Moi-même en y réfléchissant n’étais pas sûr de moi, alors quoi de mieux qu’écrire pour transformer un point d’interrogation en une solide affirmation ?
Tout d’abord, la première réponse qui me vint à l’esprit fut un oui catégorique. L’écriture vient d’une inspiration, elle-même issue d’une émotion, d’un sentiment, d’une impression. Chaque scène et chaque idée doivent être vécues avec la même intensité que nos personnages, sans quoi le résultat serait fade et sans saveur. Puis, alors que la question trottait dans mon crâne, je nuançai peu à peu ma pensée pour arriver à un raisonnement qui me paraît plus juste.
Dans l’énoncé du défi, il est dit “est-ce qu'on doit au moins une fois dans sa vie tomber amoureux pour savoir parler d'amour ?”. Premièrement, quelle horrible injustice cela serait pour ceux qui n’ont jamais eu cette chance ! Aimer est une chose vertigineuse, il faut oser faire le grand saut, et pour certains c’est impossible. Cependant, j’ai bien du mal à imaginer que quelqu’un ne soit jamais tombé amoureux dans une vie, a fortiori un auteur, artiste aux sentiments exaltés. Mais faisons fi de cela et tentons l’impossible, concevons qu’une personne soit cette exception. Est-elle dès lors inapte à rendre un de ces personnages amoureux et le rendre à sa juste valeur ? Je ne crois pas, non. Il y a tant de représentations de l’amour dans l'art, allant de Sappho à Damso en passant par Ronsard et cie, de la littérature au cinéma, etc... L’amour y est dans tous ses états, physiques comme psychiques, physiologiques comme mentaux. Il est donc très facile de se faire une idée de ce qu'est l’amour. Et cela vaut bien sûr pour toute autre émotion, événement, etc...
De plus, l’idée du ressenti peut être facilement balayée. Prenons un exemple tout bête : la mort. Non pas le deuil, mais la mort en elle-même, ce qu’elle constitue, ce qu’elle procure, ce qu’elle fait ressentir. Vous voyez où je veux en venir ? À moins d’être un miraculeux ressuscité ou un fantôme, si l’on s’en tient à l’idée du ressenti nécessaire, aucun auteur ne pourrait faire intervenir la mort dans ses récits. Et pourtant, bon nombre l’ont déjà fait sans autre forme de procès. Car il y a une chose formidable qui s'appelle l’imagination.
La prochaine étape sera alors de se borner à décrire de façon classique ou au contraire tenter d’insuffler notre âme et identité. Sans vécu ni ressenti, ce sera forcément plus difficile, certes, car il faudra jongler entre idées reçues et originalité, et le manque d’expérience pourrait s’avérer cruel. L’imagination intervient alors, et ce n’est dès lors plus une question de ressenti, mais de volonté. La volonté de rendre quelque chose qui nous est propre, avec notre âme et nos convictions, quelque chose qui nous appartient, la volonté de parfaire ses écrits comme un joaillier son diamant. Le désir d’écrire ce que l’on est et ce que l’on pense comme cela nous chante et nous plaît prime sur tout. Un texte sans motivation derrière, écrit pour être écrit, pour plaire à un lectorat, par exemple, sera plat comme un trottoir de rue. J’ai récemment entendu parler d'auteurs écrivant comme ils “allaient au travail”, et j’ai jugé ça d’une tristesse sans nom. Quelle désolation d’écrire car on y est contraint et non pas parce que l’idée nous ravit ! Pourtant, ça n’a pas empêché lesdits auteurs de produire des chefs-d'œuvre. Mais je suis intimement convaincu que la vision qu’ils doivent avoir de leurs textes est sans aucune forme d’affection et de fierté, tout au plus la satisfaction des trente-cinq heures hebdomadaires achevées.
Je dirai donc que le ressenti n’est qu’un bonus bien appréciable et qu'il peut être comblé par bien des choses, mais qu’écrire est une question de volonté. C’est un art qui comble autant les auteurs que les lecteurs, et qui surtout nourrit les premiers dans tous les sens du terme. Cela répond à un besoin et à un désir jamais tari. Et enfin, de toute façon, quelle importance a l'avis des autres quand un texte comble son auteur ? Si ça a réussi à extérioriser quelque chose ou représenter un de ses rêves, alors cela suffit amplement !
Écrire c’est vouloir, vouloir c’est rêver.
“Écrire, c'est capturer quelques souvenirs uniques dans des pochettes immenses
C'est coller ses tympans sur l'enceinte afin d'approcher l'silence
C'est l'insolence du cerveau d'celui qui à l'apogée s'élance
C'est voir défiler sa vie dans l'noir jusqu'à la prochaine séance”
Nekfeu
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