Chapitre 2

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Je ne dévoilerai pas mon nom, mais tout le monde m’appelle Sin, prononcé « Sine ». J’ai seize ans révolus depuis peu. J’ai quelques qualités comme celle de bon danseur, ou bon orateur. J’ai fait plusieurs années de théâtre et de théâtre d’improvisation. Je ne connais pas le trac. Je suis un mec plutôt sportif. Neuf ans de foot et quatre ans de tennis à mon compteur. Et pendant deux ans je me suis également consacré au 100m à l’athlétisme. Je suis aussi doué pour faire rire les gens. Concernant mes défauts, je suis particulièrement narcissique, quelquefois ingrat, et parfois vulgaire. Je mens également très bien. A vous de classer cet aspect de ma personnalité dans les qualités ou les défauts, je vous laisse carte blanche.

Je suis en première scientifique à cause d’un proviseur-adjoint pas très futé qui a refusé mon passage en série littéraire, sans raison apparente. J’ai aussi sauté le CE2. Je vis dans une famille décomposée, ma mère d’un côté, mon père, ma belle-mère, et mes deux demi-sœurs de l’autre. A l’heure actuelle, cela fait quatre mois que je suis parti vivre avec mon père, car j’avais de nombreux soucis avec ma mère. Quand je dis « parti vivre », ce n’est pas par des démarches juridiques ou autres. J’ai pris mes cours, deux ou trois objets auxquels j’accordais de la valeur, et j’ai déguerpi. Point final. Trêves de bavardages inutiles, ce n’est pas ça dont il s’agit.

Je suis spécial. En effet, je suis convaincu que j’ai un pouvoir. N’allez pas me prendre pour un dégénéré. Moi aussi, au début, je n’y croyais pas. Mais ça, c’était avant de commettre un homicide involontaire.

Je ne sais depuis combien de temps ça dure, mais j’ai l’impression que cela fait une éternité, depuis mon plus jeune âge. Je ne sais pas quand je l’obtins ni comment, mais j’ai toujours eu l’impression de l’avoir à côté de moi. Mon précieux mémento. Somptueux carnet. Design élégant. Esthétique remarquable. Doté d’une fastueuse couverture de couleur rouge-sang, avec le mot SIN gravé en lettres d’or. Étonnamment, il n’a jamais été à court de pages, bien que je sois certain de l’avoir depuis tout petit. J’écris, ou plutôt j’écrivais toutes mes notes dessus, tout ce qui me paraissait nécessaire ou utile : des rendez-vous, une adresse, des films à aller voir, une liste de course, ou encore des numéros de téléphone pris en soirée.

**********

La première fois que ça m’est arrivé, c’était au collège. Je devais être en troisième ou quatrième. Cette année-là mon professeur de mathématiques était absent à un quart des cours. Cet enfoiré avait toujours un bon prétexte pour rester une heure de plus au lit. Malade, voyage, raisons familiales, problèmes personnels, il avait plus d’un tour dans son sac et nous avait joué tous les tours. Pour être honnête, on ne peut pas dire que ça nous dérangeait tellement. En revanche, la classe entière voulait qu’il soit absent ce vendredi-là. D’une, parce que la majorité des élèves n’aimait pas les maths, raison simple. De deux, parce qu’on avait un contrôle de deux heures sur la trigonométrie. Et de trois – celui-là ne concernait que moi – parce qu’à par les trois acronymes « CAH - SOH - TOA », que le prof nous conseillait de retenir avec la formule mnémotechnique « Casse-toi », je n’avais rien pigé. Oui, je suis un peu vulgaire, il faut dire que je ne portais pas vraiment mon prof de maths dans mon cœur. Mais quitte à être absent, autant l’être dans les bons moments, non ? Je me souviens, j’étais tellement déprimé que j’avais cherché la dernière page de mon mémento et que j’avais noté : « M.Humez, si seulement vous pouviez être absent vendredi. ». Et j’avais fermé les yeux en pensant profondément à mon professeur, comme si je faisais un vœu.

Je n’oublierai jamais ce vendredi-là. J’étais l’une des personnes les plus heureuses de mon établissement. Quel formidable sourire j’affichais ! C'était une véritable surprise de voir le nom de mon enseignant marqué sur le tableau des absents, alors que ce dernier nous avait assuré être présent. J’étais donc allé en permanence à la place de l’heure de maths. C’est là que je me rappelai ce que j’avais marqué sur le mémento. Je le saisis dans mon sac et rouvris à ladite page. Je me souvins m’être longtemps demandé si ce que j’avais inscris sur mon mémento était la cause de l’absence de mon prof, puis je m’étais dis que ça devait être une coïncidence et l’avais juste remis à sa place. L’envie d’écrire quelque chose de nouveau sur mon mémento pour vérifier ma théorie me démangeait, mais je me retins et jugeai que c’était plus sage de le remettre à sa place.

Pas si sage que ça apparemment, puisque si j’avais découvert mon don plus tôt, j’aurai pu sauver une vie, mon amour, et encore des milliers de vies.

**********

C’est arrivé l’été dernier. Ou plutôt tout a commencé l’été dernier. J’étais très proche de la fille que j’aimais, Jade. Enfin je l’aime toujours, mais c’est compliqué… Bref, celle que j’ai croisée dans le couloir aujourd’hui. Une blonde éclatante au visage d’ange. Des yeux couleur noisette étincelants et ténébreux à la fois. Ils pouvaient sonder votre esprit en un seul instant. Son sourire… dès qu’elle affichait ses risettes elle faisait fondre votre cœur en miettes, et vous étiez contraints de céder à toutes ses avances. Et puis son rire… Le plus beau son, la plus belle mélodie que j’ai jamais entendue. La fille idéale pur moi.

Sa sœur s’appelait Ambre. Elle avait un an de plus que Jade. Elle était au courant que j’étais épris de sa sœur, ou plutôt elle l’avait deviné. Je ne sais comment, ça doit être son instinct féminin. Et depuis, elle me pressait d’avouer mes sentiments.

Mercredi après-midi. Dernier avant les vacances d’été. Je suis arrivé chez Jade en avance. Trop impatient de la voir, encore une fois. Seule sa sœur est là, je m’installe avec elle sur le sofa du salon. Elle regarde Gossip Girl. C’est une série télévisée américaine particulièrement destinée aux filles, on le constate rien qu’au titre. Elle m’ennuie d'ailleurs profondément. Je prends mon mémento, toujours dans mon sac. Puis je saisis un stylo sur la table et commence à faire une esquisse. Comme à son habitude, Ambre ne tarde pas à ressasser sa disquette préférée :

- Sin ?

- Hum ?

- Il serait temps que tu passes à l’action.

- Quoi ?

Elle baisse le son de la télé.

- Je dis qu’il serait temps que tu passes à l’action.

- Comment ça ?

- Tu sais très bien de quoi je parle.

- Éclaire-moi.

- Quel incapable... Il serait temps que tu passes à l’action. Ma sœur n’attend que ça. Elle est folle amoureuse de toi. Et même si tu ne veux pas l’avouer, je sais que c’est réciproque. Elle va finir par se lasser tu sais… Et si tu ne tentes pas ta chance, quelqu’un d’autre la tentera pour toi.

Le plus souvent, la caresser dans le sens du poil suffit à mettre un terme à la discussion. Sans broncher, je réponds de mon ton le plus ironique possible :

- C’est compris. Merci beaucoup de ton conseil Ambre. Je tâcherai d’en prendre compte à l’aven…

J’ai à peine fini ma phrase qu’Ambre se lève soudainement.

- Mais bon sang réveille-toi enfin ! Je m’en fiche de ce que tu ressens ! C’est pas mon problème. Mais que tu fasses souffrir Jade, ça, je le supporte pas ! C’est ma sœur et t’as intérêt à en prendre soin comme un homme digne !

Décidément elle m’exaspère… Qui est-elle pour me donner des ordres ? Ma mère ? Je veux juste prendre mon temps. C’est tout. Est-ce si mal ? A l’entendre parler j’ai l’impression que j’ai tué quelqu’un. Les mots me manquent pour lui dire ses quatre vérités avec politesse, mais je m’efforce de garder mon calme. Je me redresse pour la regarder droit dans les yeux.

- Ecoute-moi bien Ambre. Tu me casses les couilles, je ne suis pas sous tes ordres. Je ferai comme je l’entends, rien de plus.. Parce qu’honnêtement, je n’en ai rien à foutre de tes conseils. Si tu n’es pas contente, c’est la même chose. Compris ?

- Espèce de… Je le savais. Tous des putains d’égoïstes.

La colère monte en moi. Entendre des clichés fait partie de ces choses qui me lassent terriblement. Depuis la nuit des temps les femmes pensent que nous sommes pareils. Mais c’est juste qu’elles n’essaient même pas d’ouvrir leurs yeux ! Je tente de me contrôler. Ambre part d’un pas précipité hors du salon. Elle claque la porte derrière elle. J’ai dû la vexer. Aucune importance. Il fallait que je lui dise ce que je ressentais. Je suis tellement frustré par ce que je viens d’entendre que je ressens le besoin d’écrire mes pensées. Je me lève pour ramasser mon mémento, que j’ai jeté lors de notre altercation. Tout en bas de la page, j’écris une petite note avec une forte pensée pour la sœur de Jade. Je force tellement sur le stylo que je déchire légèrement la feuille.

« Ambre, si seulement tu pouvais crever et fermer ta putain de gueule. »

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