« Tu me manques. Tellement… Jade, comment me faire pardonner ? Si je pouvais décrocher la Lune pour récupérer ma Vénus je m’exécuterais sur-le-champ. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais plus quoi faire. Je mange pour calmer ma tristesse. Je cours pour apaiser ma tristesse. J’écoute de la musique pour soulager ma tristesse. Je sors pour alléger ma tristesse. Même moi qui avais toujours dit que je ne toucherais jamais à la drogue, j’enchaîne les joints pour calmer ma tristesse. Mais rien à faire. Rien n’apaise ma détresse. Si seulement je pouvais revenir en arrière… Si seulement ! Nous serions tellement plus heureux aujourd’hui ! J’ai foiré, maintenant il faut que j’assume, je sais… On m’a répété tant de fois ce refrain… Mais je voulais quand même tenter ma chance dans l’espoir que tu me pardonnes… Après tout, je n’ai plus rien à perdre non ? Ma fierté ? Foutaises ! Je ferai tout ce qui est possible pour te récupérer ! Mon temps ? Peu importe, je pourrai te courir après la vie entière pour une minute de bonheur à tes côtés. Si seulement c’était si facile… Si seulement… »

Je pose mon stylo avant de me lever. Encore une lettre que je n’enverrai surement jamais. Mais ça me détend d’écrire, c’est le principal.

Mercredi matin. Grasse matinée. Coup de bol, cette année je suis dans la seule classe qui n’a pas cours le mercredi matin. Il faut dire que ça m’arrange bien. Je me fais un petit-déjeuner gourmand avant de rejoindre mon lit pour un ultime épisode de la saison 4 de Game of Thrones. Une fois fini, il ne faut pas que je traîne. Le FSA commence bientôt.

Aujourd’hui c’est le grand jour. Le jour J comme on dit. Moi et mes camarades de l’atelier d’improvisation partons pour le FSA. Nous attendions ce moment depuis tellement longtemps. Le FSA, sigle de Festival of Students and Apprentices, un événement magique, unique, mythique, qui a lieu une fois par an. Dans un complexe de plus de 10 000m2 se rejoignent des centaines de lycéens pour faire des rencontres et partager leur univers artistique et leur passion. Jeunes scientifiques, mannequins, comédiens, musiciens, danseurs, photographes, on y trouve de tout. Il y a même des espaces pour débattre des sujets actuels de la société. Par ailleurs, je ne vous cache pas que ce sont les mannequins qui suscitent le plus mon intérêt... Enfin bon, j’ai la chance d’y participer pour la première fois cette année pour l’attraction phare du FSA, en tant que comédiens pour les matchs d’improvisation ! Et à ce qu’on dit, je ne risque pas d’être déçu !

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Déjà 15h15. Toujours à la bourre comme d’habitude. Il faut que je me dépêche, Fleur vient me chercher dans un quart d’heure. Direction la salle de bain. Dix minutes plus tard je suis prêt. Bien coiffé, bien habillé. Je suis sur mon trente-et-un. Il vaut mieux être présentable quand on joue devant plus de 700 personnes.

Fleur, c’est comme ma meilleure amie. On ne se l’est jamais dit, mais on est tous les deux d’accord sur le fait que nous n’avons nul besoin d’étiquette pour savoir ce que l’on ressent l’un pour l’autre. Ça fait maintenant six ans qu’on se connaît, depuis la sixième. Elle a toujours été là pour moi, que ce soit pour le divorce de mes parents, la mort de mon grand-père, ou encore mes quelques déceptions amoureuses, et j’essaye d’en faire autant pour elle, même si ce n’est pas toujours évident. Hormis Jade, c’est sans aucun doute la personne à qui je tiens le plus au monde. Je ne saurais comment vous décrire son caractère. Disons qu’elle… déborde d’énergie. Petite brune au caractère inénarrable, elle est toujours joyeuse et optimiste. Elle apporte souvent la bonne humeur dans un groupe, et est également très ouverte. On peut également rajouter qu’elle n’a pas la langue dans sa poche ! Elle n’hésite pas à exprimer publiquement ses opinions, et à démentir quiconque parlerait avec une langue de bois. D’ailleurs elle vient tout juste d’arriver, le temps de prendre mon sac et c’est parti pour une journée de folie.

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Après deux heures de route, nous venons tout juste d’arriver, et je n’ai qu’un seul mot à dire. Waouh. C’est encore plus impressionnant que ce que je pensais. L’ambiance est incroyable. Et puis il y a tellement de gens. On se croirait en plein centre-ville d’une métropole. Le temps de franchir le portail de sécurité et ça y est nous y sommes ! La seizième édition du Festival Of Students And Apprentices ! A l’entrée, une jeune femme nous remet des livrets contenant le programme des journées de mercredi, jeudi et vendredi, ainsi que des bracelets du FSA. En m’apercevant, elle hausse le sourcil :

- Fais bien attention à ne pas t’égarer mon garçon. Les occasions de se perdre sont nombreuses ici… surtout pour des gens comme toi, me lance-t-elle avec un sourire mystique.

Ne saisissant aucunement ses allusions, je m’efforce de lui répondre en lui adressant un sourire à mon tour.

Mes camarades et moi ne perdons pas de temps. Nous partons immédiatement à la découverte du site. Sur notre gauche nous apercevons un château entièrement consacré au théâtre. De l’autre côté, on discerne un édifice renfermant deux salles de concerts. Une petite, la salle 13. Et la faramineuse salle 750, nommée ainsi d’après son nombre de places, avec une scène de plus de 100m2 si on en croit les rumeurs. C’est ici que nous allons voir notre premier spectacle, sans savoir de quoi il s’agit.

La salle 750 est incontestablement à la hauteur de mes attentes. C’est sans aucun doute la plus grande pièce que j’ai jamais vu. Fleur et moi se mettons quelques rangs au-dessus de nos camarades. Ça nous offre une vue plus plongeante sur la scène, et plus d’intimité. Je m’installe confortablement dans mon siège. Des lycéens viennent de monter sur scène. Ils font l’annonce du spectacle qui va suivre. Une tragédie, paraît-il, un bon moyen de s’émouvoir donc, si je ne m’endors pas avant la fin de la pièce... Au même moment Fleur se retourne vers moi :

- Sin, il faut absolument que j’aille aux toilettes avant que ça commence, je ne me sens pas très bien. Tu peux garder mon sac quelques secondes ?

- Oui mais reviens vite. Je crois que ça va bientôt commencer.

Je la regarde s’éloigner au loin et disparaître dans la pénombre. A peine l’ai-je quitté des yeux que je sens une main m’agripper fermement le bras. Je me retourne vivement et j’aperçois une fille assise à ma gauche qui observe le plateau comme si de rien n’était. Elle n’était pas présente quand nous nous sommes assis. A l’observer elle doit avoir le même âge que moi et doit être là en tant que mannequin, si j’en juge par son physique avantageux… C’est une brune métisse plutôt charmante, à la silhouette élancée, si bien que j’ai du mal à croire qu’elle ait autant de force pour m’empêcher de me dégager. Elle contemple le plateau comme si de rien n’était.

- Je suis vraiment étonnée par la grandeur de cette salle, elle est plus grande que je ne l’imaginais.

Silence. Elle se retourne et me caresse du regard. Je délivre mon bras de son emprise. Elle me pose une question qui est plus une affirmation qu’autre chose.

- Alors comme ça c’est toi qu’on appelle…

J’effectue un mouvement de recul. J’ai l’impression d’encaisser une onde de choc. Cette question a fait l’effet d’une bombe dans ma tête. Personne au monde mis à part mon père et ma mère ne sait quel est mon vrai prénom. Même au lycée, tout le monde croit dur comme fer que je m’appelle vraiment Sin. Cette fille me trouble avec son air énigmatique. Elle a réussi l’exploit de me mettre à bout avec une seule phrase. Je lui lance un regard foudroyant :

- Qui es-tu ?

- On a tous nos petits secrets tu sais. Mais un jour tout finit par se savoir…

Je la saisis à mon tour.

- Qui es-tu ? Et qu’est-ce que tu sais sur moi ?

Elle lâche doucement mon bras et commence à se lever. Je suis tellement stupéfié que je ne peux la retenir. Elle commence à faire quelques pas en direction de la sortie.

- Si tu tiens vraiment à le savoir, suis-moi.

Je regarde derrière moi et me lève, hésitant… Inquiet au sujet de Fleur qui va bientôt revenir, je reste immobilisé devant son sac à main. Que pensera-t-elle si elle trouve ma place vide ?

Aussitôt, la brune se retourne vers moi :

- Ne t’inquiète pas pour Fleur, nous nous sommes bien occupés d’elle... Nous avons mis tout ce qu’il faut dans son verre pour qu’elle ne sorte pas des toilettes avant la fin du spectacle. Et si tu joues le jeu, tu seras de retour à sa sortie, me lance-t-elle avec un sourire mystique.

Exactement le même sourire qu’avait la femme à l’accueil…