Chapitre 7
Je résume la situation. Au début de la journée, j’étais tout content d’aller au FSA pour faire des rencontres et jouer devant plusieurs centaines de personne. Après avoir découvert l’immense site du festival avec mon équipe, j’ai été abordé par une fille mystérieuse, qui n’a vraisemblablement pas hésité à droguer Fleur pour se retrouver « seule à seul » avec moi. Je l’ai ensuite suivi dans une vieille salle de théâtre délabrée pour en savoir plus à son sujet. Il s’est avéré que cette fille, nommée Chiara, savait tout sur mon pouvoir mais également mon vrai prénom. Elle m'a également appris, bien que ce soit toujours à vérifier, que d’autres personnes possédaient des pouvoirs semblables au mien, et que ces pouvoirs se faisaient appeler des Dons. Elle m'a aussi expliqué que les possesseurs des Dons, divisés en deux clans, se livraient une soi-disant bataille pour le contrôle et la domination du monde. Enfin, elle m’a avoué m’avoir emmené ici parce qu’ils – elle et sa faction - voudraient m’enrôler dans leur camp. Et il semblerait qu’elle m’ait à l’œil depuis un bon bout de temps…
Un récit digne d’un thriller. Je me pince le bras pour m’assurer que je ne suis pas dans un rêve. Il faut absolument que j’en parle à Fleur. Les acteurs, si l'on puit dire, sont en train de saluer. Je tourne la tête vers la droite. Enfin. Elle arrive d’un air maussade. Sa façon de bouder que j’aime tant, mais que je ne suis pas d’humeur à apprécier.
- Je sais pas ce que j’ai mangé mais j’avais un de ces mal de ventre… Alors, cette pièce ?
- Pas intéressante au point d’en parler.
- Vraiment ? Elle était si nulle que ça ?
Sur la scène, les spectateurs sont déjà en train de s’en aller. Je ne prends pas la peine de lui répondre et l’entraîne vers la sortie.
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Voilà qui est fait. Je viens de tout lui avouer. Ou plutôt presque tout… Concernant mon appellation, je me suis contenté de lui dire que Sin n'était pas le prénom que mes parents m'avaient donné, sans lui fournir plus de détails.
Nous sommes près du château, assis dans l’herbe. A présent, j’attends sa réponse, mais elle s’obstine à garder le silence. Je fixe le sol. Qu’est-ce que je suis con… Comment puis-je espérer qu’une personne me fasse confiance si je ne lui dis pas toute la vérité à mon sujet ? J'aurais aimé, pour une fois, juste une seule fois dans ma vie, pouvoir tout partager avec une personne, être entier avec elle, sans avoir à me préoccuper de ce qu’elle pense, de l’image qu’elle a de moi ou encore de...
- Et donc ?
Je relève la tête.
- Comment ça et donc ?
- Tu vas les rejoindre ?
Sa question me prend au dépourvu.
- Pour être franc je ne sais pas encore. Je voulais d’abord entendre ton avis, mais je crains que ça ne soit pas le meilleur moment…
Le pire moment même.
- Je vois.
Elle se lève et commence à se rhabiller. Je fais de même et tente de la prendre dans mes bras.
- Est-ce que ça veut dire que tu ne m’en veux pas ?
Elle me repousse illico.
- Du tout. On en reparlera une autre fois. On ne passe que trois jours ici, essayons d’en profiter et de ne pas les gâcher. Allons rejoindre les autres.
Ça a le mérite d’être clair. Nous retrouvons notre groupe à la buvette. Contrairement à Fleur et moi, nos camarades sont de bonne humeur. Nous mangeons un bout tous ensemble avant de repartir. Je dis à Fleur que je rentrerai en tram. Après ce qu’il s’est passé, je ne pense pas que ça soit une bonne idée que l’on fasse un long trajet ensemble.
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Alors que je marche tranquillement vers mon arrêt, voilà qu’il se met à pleuvoir des cordes, de quoi encore plus me déprimer. J’accélère le pas pour me mettre à l’abri. Je le vois apparaitre au loin. Même si quelques dizaines de mètres nous séparent, je sens qu’il va être bondé. Le tram arrive à ma hauteur. Personne ne descend. Je joue des coudes pour entrer. Il redémarre. Je soupire, j’ai l’impression que cette journée ne finira jamais… Après avoir essuyé une pluie venue de je ne sais où, je me retrouve maintenant pris en sandwich entre une jeune femme qui écoute de la musique tellement fort dans ses écouteurs que je peux l’entendre distinctement. Et derrière moi un homme grassouillet qui ne se gêne pas pour manger ses chips juste à côté de mes oreilles, la bouche grande ouverte. Le summum de la pollution sonore. Une carte d’employé tombe sous mes yeux. Je la ramasse et regarde la photo. Elle appartient à l’homme assis derrière moi. Un certain Roger Bort, employé chez Pringles. Ça ne m’étonne même pas. Je me retourne pour lui remettre sa carte. Il m’adresse un « merc’hi » en me postillonnant dessus. Je lui lance un regard noir. Il est vraiment temps que j’arrive chez moi.
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Dehors le ciel est sombre et menaçant. Je suis en transes lorsque je sors du tram. Je manque de tomber sous le vent impétueux. Je ne réalise toujours pas ce qui vient d’arriver. Je marche les 200m qui me séparent de chez moi sous une pluie battante. L’orage gronde et il commence à faire froid. Je dois me dépêcher de rentrer. L’ascenseur est en panne, je me dirige vers les escaliers. Cette journée est définitivement maudite. Dire que je suis resté bloqué une heure et demie à la gare… J’ouvre la porte d’entrée. Mes sœurs sont en train de manger. Ma belle-mère est devant la télé. C’est la chaîne d’infos qui passe. Il y a un flash spécial sur l’épisode de ce soir. Je lui demande de monter le son pour entendre la présentatrice TV.
« … Oui Ophélie, comme on le disait, grave accident sur le tram à destination de la gare ce soir. Il semblerait qu’il y ait eu un mort. Un homme âgé d’une trentaine d’années selon nos informations. Nous ne savons toujours pas si le corps a été déposé dans le tram ou s’il est décédé pendant le trajet. La gendarmerie, déjà sur place, procède à l’interrogatoire de chaque passager présent à bord du tram. Le nom de la victime et la cause du décès sont encore inconnus. Mais la police scientifique vient d’arriver sur les lieux, donc nous devrions bientôt en savoir plus. Ici les passagers sont toujours en état de choc. Une cellule psychologique a été mise en place pour assurer un soutien moral aux personnes dans le besoin. Un numéro vert s’affichant en bas de l’écran est également accessible pour apporter toute information utile dans le cadre de l’enquête. C’est le 0 800… »
Je baisse les yeux, je savais que je n’aurais pas dû commettre un tel acte. Ma belle-mère me parle mais je ne l’entends pas. Je suis dans une autre dimension. Exténué, je vais à la salle de bain me doucher. Peu importe, je suis bien plus malin qu’eux. Avant de fermer la porte, je peux discerner les derniers mots de la présentatrice TV :
« Merci pour ces informations précieuses. Nous allons reprendre le journal du soir. N'hésitez pas à nous interrompre si vous avez du nouveau. C’était Julien Schmitz, en direct de la gare de… »
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