Omo Touristus Simplex.
Avant que je parte on me disait : "Tu verras la Croatie c'est magnifique.
- Ah bon ? Je répondais, t'es allé ?
- Non, mais on m'a dit !
- Ha..."
Bon. Je suis allé. Vacances. 15 jours. Je confirme : c'est magnifique ! La Croatie, tu te mets n'importe où, tu fais un tour sur toi à 360° et bien c'est beau partout ! Une merveille. Partis à 2 en amoureux. Dernière semaine de juin, 1ère de juillet. Avion. Atterrit à Split. Voiture de location. Petite tente 2 places dans le coffre et baroudage à la va comme j'te pousse. Rien réservé. Pas de programme. On bouge tous les 2 jours, si on veut. Camping au bord de la mer. Pique-nique en criques. Plages. C'est beau, beau et rebeau. Personne ne parle français. On se débrouille. Finit toujours par se comprendre. Gens accueillants et gentils. On visite plein d'endroits selon les envies. On s'éclate mais tranquille. Ça passe vite, bientôt la fin. Trois deniers jours : Dubrovnik. Devinez quoi... c'est magnifique ! On veut loger chez l'habitant. Le Routard nous dit : très difficile à trouver si pas réservé. On verra bien. Vieille ville. Je sonne au hasard. A la deuxième porte, une dame. J'me colle un grand sourire. Je dis : "Hello, aïe am désolède. I spique no goude engliche. I cherchède une sobe (c'est chambre en croate). It's possibeule, plise ?"... Me regarde... Je la regarde (grand sourire). "Vous parlez français ?" Elle me répond. Miracle de la vie ! "Ouiiiiiiiiii, je parle français !" Monstre coup de bol. Elle nous loue une chambre. On échange et discute. Très sympa. Travaille à la bibliothèque. A la troisième phrase elle nous dit : "J'aime pas les touristes !" Bon... Voilà, voilà, voilà... Ça ne l'empêche pas de nous accueillir. Chaleureusement. On doit pas ressembler à des touristes. J'sais pas. Bref. C'est plus tard qu'on comprendra... On part en visite de ville. Émerveillés. Le vieux Dubrovnik c'est une grande rue principale. Très belle. Et plein de petites ruelles transversales ou parallèles. Très belles aussi. Le tout en calcaire blanc patiné. Avec des escaliers et des chats partout. On aime. Jusque-là tout va bien. On flâne en disant "C'est beau !" toutes les 6 minutes environ. Puis tout à coup y'a du monde, beaucoup de monde. Trop. Tout juste si on circule. Puis en fin de journée, ça se vide. Vers 17h00. Quel est ce mystère ? On finit par comprendre : La ville est une étape de croisières. Vers 10h les paquebots accostent. Vers 10h30 les croisiéristes arrivent à la ville. Vers 17h00 ils repartent aux bateaux. Des milliers en vagues humaines. Tsunami. Ils débarquent. D'un coup. La plupart sont stressés. Pas tous, mais presque. Veulent faire le maximum de trucs en minimum de temps. Faut rentabiliser le crédit croisière : Arriver, faire du change, apéro, déjeuner, visite guidée, manger une glace, prendre des selfies, visite pas guidée, profiter de la plage, flâner, faire du kayak en mer, prendre un petit bateau pour faire le tour des îles, faire du parachute ascensionnel, acheter un souvenir, faire les boutiques, caresser les chats, marcher à l'ombre, faire des photos de groupe, aller sur les remparts, profiter, boire un cocktail, aller aux toilettes payantes sans payer, visiter un musée, trouver son chemin, ne pas se perdre, faire la grande rue, faire les petites rues, faire du shopping, trouver un restau pour souper avant 16h30, souper avant 16h30, partir. Bateau à 17h00. Tu m'étonnes qu'ils soient stressés, la plupart. On comprend vite ce qu'il se passe. Du coup on s'arrange. Mais alors toujours l'impression d'être en décalage ou à l'envers. Ils vont vite, on va lentement. Z'ont pas l'temps, on prend le temps. Ils arrivent, on part. Ils partent, on arrive. Ils sortent, on rentre. Ils rentrent, on sort. Ce qui fait qu'on est toujours à contresens d'un torrent humain. Sentiment de ne jamais aller dans la même direction que les autres. Donc dans la bonne. Ni à la bonne vitesse. Sûr que vous voyez de quoi je parle, sauf si vous êtes croisiéristes... Comme ils sont pressés, ils stressent tout le monde. La caissière du supermarché, la dame pipi, le serveur au restau, le guide, la mamy au stand du marché, le marchand de glaces, le loueur de petits bateaux, les chats... et aussi ceux qui marchent lentement et à contresens. Nous quoi.
On loge chez l'habitant. Du coup on sort de chez l'habitant. Du coup on me prend pour un habitant. Je dois avoir une gueule Croate. Ça me va. Petite ruelle transversale en escaliers. Un croisiériste me tombe dessus. Me vocifère un truc genre : « WHERE CAN I RENT KAYAK ? » En majuscules. Pas « bonjour », pas « s'il vous plaît », pas « excusez-moi ». Rien. Je comprends ce qu'il veut. Enfin, je comprends kayak. Ce gars veut louer un kayak. Je sais où il peut, mais surpris par l'agression soudaine, désemparé, je dis : « Heuuu... Aï jame désolède, aï spique no goude engliche, beutte... » Mais il me laisse pas beutter. Y s'tire en montant les escaliers. Pas content. Il a pas le temps de prendre le temps qu'on s'comprenne. Bateau à 17h00. Dommage. J'aurais bien aimé lui expliquer à cet Omo Touristus Simplex de paquebot que malgré ce qu'il peut croire, il n'est pas arrivé en pays sous-développé chez des sauvages dégénérés et que les autochtones apprécient la politesse qu'ils connaissent et pratiquent couramment, eux. Qu'ici le respect a été découvert avant la préhistoire et a été en constante évolution depuis, ce qui ne doit pas être le cas de son pays à lui où visiblement ils cherchent encore. Que s'il supporte pas le stess même en vacances, faut pas faire croisière, faut faire thérapie.
J'aurai aimé lui dire que même si tu as un QI d'huitre avariée tu cherches pas un kayak en plein centre-ville dans une ruelle en escalier. Mais au bord de l'eau. En l'occurrence, ici, l'Adriatique. Tu dois connaître, t'es arrivé en flottant dessus comme un étron qui veut pas couler quand on tire la chasse. J'aurai aimé lui expliquer que le niveau de la mer c'est zéro, comme le sien, et que si tu montes les escaliers tu t'éloignes du zéro. Pas du tiens, hein, de la mer. Irrémédiablement. Et que tu ferais mieux de descendre, con. J'aurai aimé lui transmettre l'expression de mes sentiments offusqués dans une phrase qui lui dirait que ah, tu cherches un kayak... T'as r'gardé dans ton cul ? Ou alors j'aurai apprécié pouvoir l'informer qu'il trouverait des kayak en montant les 350 marches pour arriver au sommet de la ville et que là, en prenant à gauche dans la rue Touristalacon, il y a un loueur de kayak. Pas pratique, pis fait chaud, pénibles les escaliers, c'est vrai, ferait mieux de se mettre au bord de l'eau les loueurs, t'as raison, mais bon, qu'est-ce tu veux, nous les autochtones on est pas intelligent comme toi. Fait ce qu'on peut... Bref, dommage qu'il n'avait pas le temps, on aurait pu échanger. Mais voilà, y'a bateau à 17h00. Vivement que t'y retournes et bon vent.
Puis bon, je parle pas engliche et j'aurai tout juste pu lui dire un lamentable « fuck » en joignant des deux mains le geste à la parole pour être sûr qu'il comprenne bien, malgré mon accent. Je vais suivre des cours, j'crois.
« Je n'aime pas les touristes ! » Nous avait dit notre sympathique logeuse. T'inquiète, on comprend, nous non plus on n'aime pas. Pas les comme ça en tout cas. Heureusement, y'en a des biens qui débarquent, polis et respectueux, pas que beaux. J'espère...
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