Le Cercueil 

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bonjour à tous, voici le premier chapitre d'une idée de roman policier (une sorte de pilote) autour du personnage de ma nouvelle "la fenêtre". C'est inspiré de la vie de mon grand-père. C'est assez long mais pas plus que le chapitre d'un roman publié. Dites moi ce que vous en pensez ! Merci !

Chapitre 1 

Jules retira sa casquette et signa. Il s’accrocha au sommier pour contenir les autres qui s’empressaient derrière lui, le sommant de les laisser passer. Les chuchotements emplissaient la pièce au point de l’agacer. Il n’arrivait plus à réfléchir. Il regarda autour de lui. Il n’eut jamais autant de monde dans la chambre du père Simon. Tous connaissaient ce pauvre homme sans jamais en être proche. Jules l’appréciait. Le type lui semblait sympathique lorsque, d’une main, il lui faisait signe depuis la haie, l’autre fourrée dans un sachet de croissants qui le faisaient maigrir à mesure qu’il en mangeait.

L’enquête de Jules eut commencé après avoir remarqué son absence depuis plusieurs jours. L’intuition. Il avait remonté le chemin et ouvert la porte sans frapper. Mort. Il était mort, étalé sur ce lit. Le village fut prévenu et désormais sur la pointe des pieds, amassé derrière lui.

Ils commencèrent à l’écraser, c’était une petite pièce où l’on étouffait même en hiver. Jules regarda dans le poêle pour y trouver des braises. Derrière la fenêtre, un groupe d’hommes se réchauffait avec du calva. Jules pensait à ces chanteurs qui devenaient célèbres une fois partis. Le père Simon avait fait une sortie remarquée qu’ils n’oubliraient pas, l’inscrivant dans l’Histoire communale. Tout le monde s’agita sans raison, commençant à partager des souvenirs, parfois juste en hochant la tête et en regardant dans le vide.

— Il faut prévenir sa famille, lance-t-on depuis le fond de la chambre.

À cette parole succéda un brouhaha comme le remous d’une vague. Sa famille ne serait pas là se dit Jules. Cet homme avait déjà enterré ses parents. Jules observa le grand lit et chercha dans sa mémoire s’il avait déjà vu cet homme avec quelqu’un. Il était toujours attentionné. Ce geste de la main depuis la haie. Ces compliments sifflés. Cette courbette recroquevillée lorsqu’il ouvrait la porte aux dames. Sa relation aux femmes se dit Jules, était une correspondance d’analphabètes. Pourtant, celle qui n’osait le regarder à travers son mouchoir semblait profondément émue. Quand elle fut arrivée, une des premières, la boulangère n’avait cessé de l’appeler comme on arrose une plante déjà condamnée. Elle devait bien être celle qui le connaissait le plus, se dit Jules en gardant l’idée dans un coin de sa tête.

— Où est le médecin ? lança-t-elle

— Il n’y en a plus besoin ma p’tite dame. Il n’a jamais voulu voir de toubib d’sa vie, respectons une dernière fois son choix. On sait tout ce que l’pauvre avait. Dit-il en aspirant ses joues et brandissant son petit doigt.

Jules était intéressé par ce que tout le monde savait. Il sentit une barrière entre lui et ces villageois. Il voulut interroger cet homme et tira alors légèrement sur sa manche. Peut-être lui donnerait-il des informations ?

— Monsieur ? … Monsieur ?

Les plus curieux avaient poussé Jules pour être aux premières loges. Il n’voyait plus qu’entre deux épaules. La lampe à pétrole s’approcha de son visage pour révéler sa peau violacée et Jules se dit qu’il était mort depuis longtemps déjà. Elle semblait fine. Elle n’était plus ce qui à ses yeux faisait un corps, mais simplement une membrane, un masque de cire sur les os du visage. Il n’était plus qu’un sac d’homme. Sans aucune odeur. Ce type n’avait rien fait et pourtant il était mort, si jeune. Jules ne comprenait pas. Il chercha un suspect autour de lui parmi la masse et regarda les fenêtres dans l’espoir de trouver d’éventuelles traces d’effraction. Il tendit la main. Il semblait y avoir quelque chose dans cette poche.

— Déguerpit gamin, siffla le cordonnier en écrasant la casquette de Jules sur son front, ce n’est pas pour toi ce genre de choses.

Jules se vexa. Il enquêtait, il n’était pas comme lui à faire du lèche-vitrines devant les yeux vitreux du pauvre homme. Il claqua la porte et le silence de la campagne le soulagea dès qu’il mit le pied dehors. Il se mouilla le cul contre le siège de sa bicyclette, songea un instant, descendit, puis renversa celle du cordonnier. Après la descente et un virage, il se dirigea vers la ville. Un détour vers l’épicerie dans l’angle. Il n’était pas très aimé là-bas. Discrètement, il regarda au travers de la fenêtre. Elle n’était pas là. Il suffisait de quelques coups de pédales pour que le paysage change. Du béton à la pierre et des jardins aux champs. La liberté. Jules courrait dans sur ces plaines et lorsqu’il reprenait son souffle, il criait à s’époumoner. Des loups lui répondaient. T’es con lui disait son père. Il distingua la fumée de la ferme de ses parents. Elle devenait de plus en plus petite à mesure qu’il s’en approchait.

Il n’eut pas besoin d’ouvrir la porte pour savoir quoi faire. On lui avait fait comprendre l’autre soir, après qu’il eut fait cette connerie. Ce qu’il avait découvert valait bien un aménagement de peine. C’était le héros du village après tout. Il souffla. Aucun de ses amis n’avait été là pour le voir. Il sortit la vache de l’étable avant de constater les dégâts. « Allez ma belle ». Il prit la pelle et une grande inspiration. C’était bien la pire chose qu’il avait vu ce jour-ci. Il pensa au cordonnier et se dit que ce n’était pas pour lui ce genre de chose. Il s’essuya le front. « Regarde-moi cette litière, ma belle, c’est plus propre que mon lit ! ». Il se lava le visage dans l’abreuvoir. Il sentit l’odeur de la soupe avant d’entrer et s’assit à côté de son père qui l’aspirait bruyamment. La sienne était déjà froide. Sa mère les regardait avec tendresse. Elle brisa le silence avec les événements du jour.

— C’est pas nos affaires, la coupa-t-il.

Jules avait du respect pour son père, pas ce respect qu’on impose non, il était naturel. Il pensa que jamais son père n’avait un jour haussé le ton. Le bruit des sabots en sa direction lui suffisait. L’idée même du bruit des sabots lui suffisait. En y repensant, après avoir fait la connerie l’autre soir, c’est lui qui avait choisi sa punition.

Un de ses frères était de vaisselle ce soir alors avant d’aller au lit, Jules porta son livre à la maigre lumière de la pièce principale. Un livre de détective. L’enquête, à son âge, était de réussir à le lire. Il passa de l’autre côté après quelques pages. La pièce était appelée « derrière la porte » et c’était là que tout le monde dormait.

Puisque le père Simon portait toujours ses plus beaux habits alors le corps du pauvre homme fut placé tel quel dans son cercueil, dès le lendemain. Jules s’était réveillé avec le soleil. Il attendait à l’extérieur et ajusta l’étole de son ami qui faisait semblant de fumer avec la vapeur. Charles et lui étaient amis depuis qu’ils s’en souvenaient. Il se dégageait de lui une confiance calme que Jules cherchait sans cesse à impressionner. Ses bêtises se déroulaient sous son regard distrait et la fumée de cigarette.

— Il gèle, regarde mes mains, je vais devenir de la même couleur que l’autre.

Jules se dit qu’au moins leurs robes ne seraient pas tachées pour la procession. Il posa son pied sur la terre qui craquait comme la crème brûlée de sa grand-mère. Les autres étaient arrivés pour faire des glissades, sans Arthur qui faisait le guet. Jules se retourna lui aussi. Il était aisé de le reconnaitre à travers la campagne givrée. Il ressemblait à un merle, se dit Jules, entouré de ses oisillons qui piaillaient dans leur aube blanche. En réalité, depuis qu’il avait regardé à travers le tronc, il savait que des oisillons ressemblaient davantage au type dans la boite derrière eux. Le prêtre fut suivi de porteurs triés à la volée, des fermiers qui devaient avoir moins à faire pendant l’hiver. Jules reconnut son oncle Alfred et en conclut que les autres devaient être ces compagnons de belote. À moins qu’ils n’eurent été un mensonge pour boire. Sans doute qu’il buvait avec eux. Ils semblaient pressés, il serait au fond du trou avant midi.

La porte s’ouvrit en silence. Jules attendait un chant, plus amusant que les liturgies qu’il allait réciter, comme un joyeux anniversaire pour les morts. Après tout, ils aillent bien allumer ses bougies. Le cercueil faisait bien deux fois son poids se dit-il en le voyant passer la porte comme une commode. Le prêtre attaché aux traditions solanelles, confia la croix à Jules et le bénitier à son ami qui lorsque ils se retournèrent, l’aspergea. Il se rappella l’importance de sa fonction sans vraiment la comprendre, bien que tout ceci semblait important. Lorsque la boite reposait au bout de la nef et que résonnaient les chants, Jules sentait en lui la tristesse de la famille. Requiem aeternam dona ei Domine... Ils seraient seuls cette fois. C’était une locomotive sans wagons. Il regardait droit devant comme si sa mère le suivait, elle qui avait fait des pieds et des mains pour le faire servant d’autel. Être enfant de chœur était une fierté, même sans cesse comparée à son frère. Il entreprendrait le séminaire. Une voie similaire semblait tracé à Jules, au moins dans le crâne de sa mère. Lui s’en fichait et voulait juste monter sur Caen, dans une automobile, une belle veste et des gants.

A en voir le bénitier qui tremblait, son ami devait en rêver plus que lui de cette veste.

— Tu l’as vu le type ? demanda t-il dans un frisson.

— C’est moi qui l’ai trouvé, c’est pas de chance la maladie. Ce gars n’a jamais vu d’toubib.

— Il n’était pas malade Jules, c’est l’monstre, dit il avec une grimace.

Son ami lui décrit une bête aforme qui dans l’esprit de Jules, prie les formes les plus terrifiantes. Un monstre qui entre dans les personnes pour les détruire. Plausible. Quand sa mère eut vidé un lapin une fois et bien il y avait un tas de choses à l’intérieur. Il essuya son nez congestionné. Il sentait son cerveau oppressé dans sa tête. Son ami lui proposa un mouchoir. Il dit non. Et si cela lui sortait par le nez ?

— Par où passe t-il ?

— N’importe où.

Jule serra les fesses.

— Ils sont plusieurs ?

— Sans doute.

— Ça te fait peur ?

— Terrifié.

Jules se dit que la chose était enfermée dans le cercueil avec son hôte, il avait entendu les coups de marteaux sur les clous. Ils arrivèrent sur la grande route, celle qu’il avait empruntée la veille à bicyclette. Elle était parsemée de crottins givrés et les porteurs marchaient dessus avec assurance. Trop d’assurance. Une plaque de glace. Les pieds de son oncle allèrent plus vite que son buste. La boite fila. Elle renversa le prêtre. Plus vite que sa luge et peut être même la bicyclette. Si le gars à l’intérieur fut vivant, il aurait pris son pied. Pas un cri. Jules et son ami se continrent. Le prêtre était effaré, deux yeux ronds, et Jules se dit qu’intérieurement, il devait bénir la solitude de cet homme et l’absence de famille. Quant à lui, la seule chose qui lui importait était que la boite était toujours cloutée. Ils y avaient échappé de peu. Les adultes signèrent un accord tacite d’un simple regard et se mirent en marche. Ils pourraient tous rentrer plus tôt. Il pensa à ce qu’il raconterait à Mylène.

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