Il avait été chargé de surveiller un homme suspecté d’être en relation avec le complot. Pour l’heure, rien de bien exceptionnel ne s’était produit. Il l’avait suivi hors du palais impérial jusqu’à un quartier aisé non loin de la porte occidentale de la ville. Sa cible venait d’entrer dans une cour, et le Chasseur ne pouvait le suivre par le même chemin. Il avisa une ruelle adjacente au mur qui en délimitait l’enceinte. Une treille le couvrait en partie, laissant grimper du lierre le long des pierres. Il s’assura que personne ne venait puis l’escalada et arriva sur le toit. Pour l’instant l’homme était seul et paraissait attendre. Le Chasseur s’installa le plus confortablement possible, adossé dans l’ombre d’une cheminée, et patienta lui aussi. Quelques minutes plus tard une jeune femme rejoignit celui qui se trouvait dans la cour. Son profil interpela l’espion, il lui parut familier. Sans attendre, les deux suspects commencèrent à parler. De là où il se trouvait, le jeune homme ne parvenait pas tout à fait à les entendre. Il analysa les éléments autour de lui pour trouver un moyen d’écouter la conversation sans se faire repérer. À part le lierre qui courait sur le toit et redescendait du côté de la cour, il n’y avait que des tuiles. Rien qui pourrait l’aider. À moins bien sûr qu’il n’utilise sa capacité spéciale. Avec un soupir, il libéra une partie de son pouvoir. Les ondes sonores causées par les voix faisaient imperceptiblement vibrer l’air autour des personnages et étaient arrêtées par les façades jusqu’où elles portaient. Et par le lierre. En étant en contact avec la plante, il pouvait ressentir ces vibrations minimes, que son pouvoir retranscrivait automatiquement par des sons. Il avança la main jusqu’à l’une des tiges et ferma les yeux. Il lui fallait un minimum de concentration, mais il pouvait à présent clairement suivre la discussion.

« Y a-t-il des mesures particulières à prendre ? questionna l’homme.

- On nous a demandé d’être extrêmement prudents. Ils n’arrivent toujours pas à localiser l’espion. » répondit la jeune femme.

Un silence passa. Le Chasseur se rappela l’identité de cette dernière. C’était Lucie, celle avec qui Nikita enquêtait. Il esquissa un sourire. C’est alors qu’une voix juste à côté de lui fit remarquer :

« C’est une mauvaise idée de fermer les yeux quand on est en mission. »

Il sursauta, rouvrit les yeux et voulut dégainer son poignard. Mais une main lui saisit le poignet tandis qu’une autre se plaquait sur sa bouche. Il réalisa alors à qui il avait affaire et se détendit. L’autre retira ses mains avant de lui jeter un regard mi-exaspéré, mi-amusé.

« Pavel ! s’insurgea l’espion, furieux. Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ?

- Moins fort, ou ils vont nous entendre. »

Sergey le fusilla du regard.

« Si j’avais été un conjuré, tu serais déjà mort. Ou pire.

- Que fais-tu ici ? C’était moi qui étais chargé de cette filature.

- Il se trouve que Nikita m’a demandé de surveiller Lucie. Elle lui a dit qu’elle devait parler à un membre du complot, si tu veux savoir. En l’occurrence, le hasard a voulu qu’il s’agisse de l’homme que tu suivais. À présent, cesse de réfléchir à la façon dont tu vas te venger parce que tu es frustré que je t’aie eu par surprise et continue à écouter leur conversation. Ne t’en fais pas, je monte la garde. »

Son frère mit sa fierté de côté pour un moment et centra son attention sur l’échange qui avait lieu en bas.

« Tu es trop confiante, Lucie. Il vaudrait mieux qu’à l’avenir tu évites de révéler les informations que tu détiens à ton coéquipier.

- Mais nous travaillons ensemble, justement. Je sais que tant que nous n’avons pas démasqué le traître il faut rester sur nos gardes. Mais nous avons un lien de confiance réciproque, je ne peux pas m’imaginer seulement qu’il soit suspect.

- Eh bien pour moi, c’est l’inverse. Il ne m’inspire que de la méfiance, ton Mikio.

- Premièrement, tu manques de subtilité, et deuxièmement, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas des nôtres au même titre que toi. Il a fait ses preuves. Souviens-toi, il a lui-même exécuté l’espion qu’il avait trouvé. Et pourtant tous deux étaient originaires de l’Empire. »

À ces mots, Sergey ne put réprimer une réaction de surprise. Nikita avait tué l’un de leurs alliés ? Son pouvoir lui échappa une fraction de seconde et une vibration parcourut les tiges du lierre. Il pria pour que cela ne se remarque pas ou soit mis sur le compte du vent. Mais pas une brise ne soufflait. Alerté, l’homme réalisa :

« Il y a quelqu’un là-haut !

- Comment le sais-tu ? s’inquiéta Lucie.

-J’ai détecté un pouvoir. »

Pavel analysa rapidement la situation afin de déterminer la meilleure façon de réagir.

« C’est pas possible, grogna son frère, ils ont une armée d’aristoï ? »

À ce moment une attaque paralysante partit dans leur direction. Pavel la para et répliqua. Les jumeaux quittèrent leur abri pour sauter du mur, atterrissant devant les conjurés.

« Lucie ! s’écria l’homme. Pars ! Ces informations doivent parvenir aux autres ! »

Elle hésita, puis s’enfuit. Sergey voulut l’arrêter d’une incantation, mais l’aristoï annula son pouvoir. Le jeune homme jura.

« Sergey, le réprimanda Pavel, ton langage !

- Si tu crois que c’est le moment ! Occupe-toi de celui-là, je me charge de Lucie. »

Et il partit à la poursuite de la jeune femme. Il ne mit pas longtemps à la rattraper. Un seul élément l’empêchait de lui régler son compte. Les rues étaient pleines de monde. Il lui laissa volontairement un peu d’avance tout en ne la perdant pas de vue. Avec un peu de chance, elle le mènerait à un repaire de conjurés. Les gens s’écartaient sur son passage en reconnaissant son uniforme.

« Regarde, Maman ! s’exclama un enfant. Un Chasseur ! »

Super, pensa Sergey, la moitié de la ville m’aura vu en difficulté face à une frêle jeune fille. Nikita va encore me tuer si l’image des Chasseurs en prend un coup à cause de moi.

Il remarqua qu’elle se dirigeait vers le palais impérial. Qu’avait-elle en tête ? Elle passa les grilles sans ralentir, remonta l’allée centrale, et entra dans la bâtisse. À voir la façon dont elle s’orientait, elle connaissait les passages moins fréquentés. Ils arrivèrent à une partie où peu de gens passaient d’ordinaire. Elle avait de moins en moins d’avance. Alors qu’il approchait de l’angle d’un couloir, il entendit deux personnes discuter. À l’écho de leurs pas, elles venaient dans cette direction et ils risquaient de se croiser. Il n’eut pas le temps de ralentir et percuta l’un de ceux qui arrivaient. Tous deux tombèrent. Il se releva en s’excusant et constata l’identité des deux personnes.

« Votre Majesté, Desya, que faites-vous ici ? »

Il aida son cadet à se relever.

« Nous rejoignons Nikita. expliqua l’Empereur. Et toi ? »

Sergey s’aperçut que la jeune femme allait lui échapper. Il étendit la main et des lianes en partirent pour l’immobiliser.

« J’aurais dû y penser plus tôt. » murmura-t-il pour lui-même.

Tous trois la rejoignirent. Le Chasseur fit disparaître les plantes et employa une incantation de paralysie.

« Mais c’est Lucie. la reconnut le souverain.

- Elle détiendrait des informations potentiellement intéressantes, exposa-t-il, et à mon avis cherchait à rejoindre Mikio. Je vais en référer à Nikita. »

Il remarqua le regard que lui lançaient les deux autres.

« Qu’y a-t-il ?

- Je crois que c’est la première fois depuis longtemps que je te vois utiliser ta capacité spéciale. »

Exception faite de l’entretien du jardin. ajouta Desya.

L’ëar soupira.