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« Lieutenant, je vous cherchais. »
Il se retourna et ne fut qu’à moitié surpris de constater l’identité de son interlocutrice.
« Eriko, je commençais à me demander quand vous daigneriez revenir. plaisanta-t-il.
- Cela ne fait que vingt-neuf jours, sourit-elle en retour, mais dois-je déduire de votre accueil que je vous ai manqué ?
- Sincèrement, je ne me suis pas même posé la question. »
Ils échangèrent le même regard. Tous deux avaient un mode de penser similaire, ce qui expliquait leur entente assez spéciale. Toutefois, il n’était pas dans les habitudes du Lieutenant de sociabiliser, tandis qu’Eriko s’évertuait à ne se lier qu’à un minimum de personnes.
« Me feriez-vous l’honneur de m’accorder un peu de votre précieux temps ? reprit-elle, légèrement espiègle.
- Pourquoi pas, après tout il se trouve que j’ai quelques heures devant moi. »
Ils avaient remarqué une personne qui paraissait les épier. Ils sortirent du palais pas l’une des imposantes portes en verre, traversèrent la terrasse qui donnait sur les jardins et descendirent les quelques marches de pierre blanche menant à l’allée centrale. D’autres groupes évoluaient entre les bosquets, aussi décidèrent-ils tacitement de poursuivre leur marche plus loin, vers des endroits moins fréquentés, avant de continuer leur discussion. Une fois arrivés aux abords de la pièce d’eau elle déclara :
« À présent, nous pouvons parler sans risques.
- Avez-vous des nouvelles du complot ?
- En effet, et je vais enfin pouvoir vous donner de plus amples informations. Le chef du complot n’est autre que l’Assassin royal, et, vous vous en doutez, il se trouve dans son pays, plus précisément dans sa demeure proche de la capitale. La plupart du temps. Cependant, il est en lien avec un éminent membre du gouvernement impérial.
- En l’occurrence ?
- Nömi Dives.
- Le second ministre, rien que ça ? Remarquez, cela fait longtemps que je cherche un moyen de le faire chuter, et vous venez de m’en fournir enfin l’occasion.
- C’est votre passe-temps, d’éliminer vos ennemis ?
- Dans tous les sens du terme. » confirma-t-il.
Il y eut un silence, pendant lequel il réfléchissait à ce qu’il venait d’entendre tandis qu’elle se questionnait à son sujet.
« Le jeu politique vous passionne donc à ce point ? finit-elle par lui demander.
- Pas tant que cela, à vrai dire. Mais j’y prends part lorsque j’ai le loisir. Ou quand les circonstances l’exigent.
- Ça fait beaucoup de cas. En résumé, vous faites cela en permanence.
- Oui. »
Elle laissa passer un temps avant de reprendre :
« Je dispose d’une information d’une importance que vous pourriez qualifier de vitale.
- Ah ?
- L’Empereur va être assassiné.
- Pouvez-vous répéter ?
- Et il est fort possible que l’Impératrice soit menacée elle aussi. continua-t-elle.
- Pourriez-vous m’expliquer ?
- Ce n’est que l’un des projets des conjurés. Et si je puis vous conseiller une chose, c’est d’accompagner l’Empereur lorsqu’il se rendra au front. Les traîtres ont infiltré l’Armée. Si vous voulez déjouer leur tentative, c’est là-bas qu’il vous faudra aller. Cependant ne négligez pas la protection de l’Impératrice. Je peux affirmer avec certitude que personne n’attentera à sa vie, mais ils ne se sont pas encore entendus sur leur façon de procéder. Ils ont l’intention de l’utiliser pour prendre le pouvoir, puisqu’on ne peut remettre en question son autorité. Sachant qu’une fois l’Empereur mort elle assurera la régence, elle est un personnage central de leur stratégie.
- Savez-vous tout cela grâce à votre capacité spéciale ou parce que vous avez encore joué à l’espionne ?
- Je me suis amusée. Vous savez, mon pouvoir n’est pas d’une puissance sans limites.
- À ce propos, allez-vous enfin m’expliquer comment vous l’avez obtenu ?
- L’explication ne va pas vous plaire. » avertit-elle.
Elle laissa passer un temps. Il était assez intrigué, et pressentait une nouvelle surprise de sa part. elle commença :
« Je vais d’abord préciser un détail à propos de ma vie. Il y a deux ans et demi, je me suis convertie à l’eggelisme.
- La religion des anges, se souvint-il, mais quel est le rapport ?
- Eh bien, hésita-t-elle, six mois après, lors de mon baptême, j’ai acquis la maîtrise des incantations. »
Surpris et incrédule, il ne répondit rien pendant un temps. Puis il énonça :
« Il doit y avoir une explication scientifique à cela.
- Je savais que vous diriez ça. sourit-elle. Mais ce n’est pas en demeurant aussi catégorique que vous comprendrez quoi que ce soit. Et d’ailleurs, n’étiez-vous pas croyant avant ?
- C’est une excellente question, éluda-t-il, mais si j’ai adhéré à une religion dans mon enfance, c’était parce que certains de mes proches étaient dans le même cas. Cependant ces croyances n’ont pas tenu longtemps.
- Vous ne vous remettez jamais en question, n’est-ce pas ?
- Pas quand j’ai des certitudes. »
Elle soupira avec amusement. Il reprit :
« De plus, sauf votre respect et celui de votre dévotion, l’eggelisme a des allures de religion à mystères, ce qui incite plutôt à la méfiance.
- Je ne suis pas de cet avis. Nous prions les trois anges des vertus, foi, espérance et charité, je ne vois pas ce qu’il y a d’obscur à cela.
- Et votre Dieu ? insista-t-il.
- Sous-entendriez-vous : existe-il ?
- Oui.
- Si c’était le cas, seriez-vous prêt à l’entendre ? »
Il ne répondit rien. Il avait beau être curieux quant à ses arguments, il ne voulait pas se lancer dans une joute verbale maintenant. Un long silence suivit. Tous deux marchaient pensivement, sans chercher à reprendre la conversation. Finalement, il sortit l’anneau d’or blanc de sa poche et le lui rendit. Elle lui sourit. Elle passa la bague à son doigt, puis s’arrêta et il fit de même. Elle le considéra un instant avec douceur. Puis elle déclara :
« Je dois partir.
- En ce cas, nous reparlerons une prochaine fois. »
Elle acquiesça en silence, puis commença à s’éloigner vers le fond du parc. Il se détourna et revint vers le palais, perdu dans ses pensées.
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