74
Il neigeait depuis l’aube. Les petits flocons chutaient lentement, sans parvenir à recouvrir le sol. De sombres nuages s’accumulaient dans le ciel, filtrant les rayons et donnant au paysage une atmosphère crépusculaire. Depuis une hauteur, il observait le terrain qui s’étendait en contrebas. Une plaine assez vaste, quelques groupes d’arbres épars, et non loin du centre un village désert. De l’autre côté attendait l’armée royale.
Il se détourna et rejoignit son unité. L’affrontement allait bientôt commencer. Alors qu’il arrivait à son Ipsa, l’un de ses camarades l’interpela :
« Anton ! »
Il se tourna vers celui qui le rejoignait.
« Arthur ! Je commençais à me demander où tu étais passé.
- J’étais allé aux nouvelles pour les éclaireurs.
- Alors ?
- Ils sont revenus et ont pu confirmer la stratégie prévue. Mais l’un d’eux manque à l’appel, et devine lequel ?
- Ton cousin ?
- Exact.
- Un de ces jours, tu m’expliqueras pourquoi vous vous détestez ?
- Oh, tu sais, les histoires de famille… »
Arthur laissa sa phrase en suspens et haussa les épaules. Les deux soldats échangèrent un regard entendu. La mésentente entre les cousins était un sujet récurrent au sein de leur brigade.
« De toute façon, conclut-il, vu sa chance scandaleuse il va encore trouver le moyen de rester en vie. »
À ce moment retentit le signal du début de la bataille. Ils rejoignirent les autres membres de leur unité auprès de leur capitaine, et celui-ci prit la parole :
« Soldats, il est temps de prouver la supériorité militaire de l’Empire ! Le combat d’aujourd’hui ne sera pas décisif, cependant il s’inscrit dans une certaine stratégie qui comme vous le savez vise à forcer les royaux à se replier sur leurs positions initiales. En tant que membres de la quatrième armée, notre objectif est de prévenir toute incursion vers le centre du territoire, tout en infligeant un maximum de pertes à l’ennemi. Notre détachement va jouer un rôle important au cours de cette confrontation. Nous devons prendre le village qui se trouve entre nos deux armées et le sécuriser. Nous allons laisser ces messieurs d’en face ouvrir les hostilités pour s’assurer de leur stratégie, mais peu après les premiers mouvements nous entrerons en action. Il faudra arriver avant nos adversaires afin de prendre l’avantage. Est-ce bien compris ?
- Oui, capitaine ! répondirent ses subordonnés.
- Bien, alors tenez-vous prêts. Nous partirons à mon commandement. »
Les soldats rejoignirent chacun leur Ipsa et les activèrent. Il s’agissait de modèles Acier, à la structure renforcée particulièrement adaptée au combat. Tous se mirent en selle et attendirent l’ordre de départ.
Avant chaque bataille, Anton se disait qu’il avait de la chance d’appartenir à cet escadron. Il s’agissait d’une unité de fantassins-cavaliers, à la fois mobile et polyvalente, ce qui lui offrait un plus large champ de possibilités et lui permettait d’accomplir fréquemment des coups d’éclat. Rien d’étonnant donc à ce que cette fois encore, une partie importante de la stratégie repose sur eux.
Un roulement de tonnerre parcourut le ciel. Sans s’en émouvoir, le capitaine continua à observer l’avancement des royaux. Arthur, qui se tenait à côté d’Anton, remarqua :
« Il semblerait que le temps ne soit pas avec nous.
- J’espère que l’orage éclatera après notre charge. » répondit son camarade, légèrement soucieux.
Ils reportèrent leur attention sur leur chef. Celui-ci prit une inspiration et dit d’une voix forte :
« Soldats, en avant ! »
D’un seul mouvement, les cavaliers s’élancèrent, pour dévaler la pente vers la plaine. Leurs montures mécaniques filaient à pleine vitesse, leurs jambes d’engrenages frappaient le sol avec force. Le vent sifflait autour d’eux, faisant danser les flocons. Face à eux arrivait l’armée royale, tandis qu’ils précédaient de peu les troupes alliées. Un autre grondement secoua le paysage. Des éclairs illuminèrent le ciel. Mais cela ne perturba pas le galop des automates, qui accélérèrent encore. L’air froid se chargeait d’électricité, grisant les soldats. Un détachement de cavalerie chargeait face à eux, légèrement moins nombreux. Le choc se produisit à la sortie du village. Les sabres tirés s’entrechoquèrent. Le givre reflétait l’éclat du métal ; les premiers cris résonnèrent, le sang jaillit sur la neige fraîche. Rapidement, l’unité impériale vint à bout de ses adversaires. Déjà un nouveau bataillon royal arrivait, l’heure était au combat de fantassins.
« Rassemblez les Ipsa ! ordonna le capitaine. Et préparez-vous à tenir les positions ! »
Les soldats laissèrent leurs montures en retrait, sous la garde de certains de leurs camarades, avant de se répartir pour accueillir leurs ennemis. Toutes ces manœuvres avaient été effectuées avec rapidité et une parfaite organisation, la guerre leur était une opération aussi familière que leur entraînement. Les premiers échanges furent rudes. Les impériaux avaient beau avoir la totale maîtrise du village, ils durent bientôt céder du terrain.
« Reprenez-vous ! les exhorta leur chef. Il faut résister jusqu’à ce que l’infanterie arrive ! »
Ses hommes eurent un regain d’énergie et répliquèrent avec une vigueur nouvelle. Les combattants formaient une masse indistincte d’où émergeaient éclairs d’acier et incantations. Anton et Arthur combattaient côte à côte, dos à un mur pour éviter de se retrouver encerclés. Le premier portait de dangereux coups de sa lame tandis que le second privilégiait son pouvoir.
« Rien de tel qu’une mêlée pour se mettre en forme le matin ! plaisanta Anton.
- Je suis d’accord. Fais attention à droite ! »
L’épéiste para une frappe qui aurait pu lui coûter la vie.
« Merci. Au fait, ce n’est pas lassant de pouvoir prévoir toutes leurs attaques ?
- La vie de mantis n’est pas facile tous les jours. » confirma Arthur avec un air exagérément dramatique.
Ils poursuivirent le combat, leur duo causant de sérieux dégâts à leurs opposants. Mais il en arrivait toujours de nouveaux, et ils devaient tenir le rythme. Alors qu’Anton peinait à repousser un ennemi, celui-ci s’effondra. Surpris, le soldat impérial eut un instant d’hésitation. Face à lui se tenait un lancier allié qui lui adressa un signe de tête.
« Sira ?! s’exclama Arthur sans cesser de se battre.
- Quoi ? sourit celui-ci. Tu n’avais pas pressenti mon arrivée ?
- J’étais occupé à prédire autre chose.
- C’est ton cousin ? comprit le troisième soldat.
- Oui, confirmèrent-ils tous deux, malheureusement. »
Le camarade d’Anton tua un adversaire avant de reprendre :
« Que fais-tu ici ?
- Embuscade. indiqua Sira laconiquement. Mon Ipsa a été détruit sur le chemin du retour. Je me suis abrité dans le coin et je vous ai rejoints.
- En tant qu’éclaireur, tu devrais retourner au camp.
- J’aimerais pouvoir. Mais j’ai parlé à votre capitaine. Il m’a dit d’attendre que l’infanterie prenne la relève. Et ensuite, quand votre unité partira pour un autre point du champ de bataille, il te détachera momentanément de son commandement pour m’escorter.
- Quoi ?!
- Je ne lui ai rien demandé ! Il a dit que ça resserrerait nos liens familiaux.
- Je peux vous accompagner, proposa Anton pour désamorcer le conflit, s’il le permet.
- Je veux bien, accepta Arthur, ça m’évitera de le tuer en cours de route. »
Il bloqua un coup avant de repousser son adversaire. Il ajouta pour lui-même :
« Non mais je rêve, détruire un Ipsa… »
Le combat se poursuivit un moment, tous trois s’en sortaient plutôt bien. Anton hésitait entre l’amusement et l’embarras, coincé entre ces cousins qui ne décochaient pas un mot. Il entendit avec une sorte de soulagement l’ordre de repli. L’infanterie prenait la relève.
« Ils ont mis un moment à venir. fit-il remarquer.
- Ils étaient bloqués à l’entrée du village, expliqua Sira, certaines troupes ennemies avaient réussi à faire le tour. »
Le trio commença à rejoindre le lieu où attendaient les Ipsa. Les royaux tentaient de profiter de ce changement pour prendre l’avantage avant de se retrouver confrontés à des bataillons plus frais qu’eux. Arthur leur ouvrait la voie tandis qu’Anton s’occupait des soldats des côtés et que Sira fermait la marche. Dans les rues livrées au chaos, progresser se révélait un vrai défi. Ils parvinrent finalement à l’endroit où se rassemblaient les fantassins-cavaliers. Le capitaine donnait des ordres pour coordonner ses troupes avec les renforts. Après avoir obtenu son accord, les trois soldats se mirent en selle et partirent. On avait donné à l’éclaireur la monture d’un officier tombé au combat.
Alors qu’ils quittaient le village, un groupe de quatre adversaires les arrêta. Arthur en tua un après quelques passes. Son cousin s’en sortait comme il pouvait, peu habitué au combat équestre. Leur camarade quant à lui faisait face à deux opposants. Il se débarrassa de l’un d’eux et voulut aider l’éclaireur mais le second le fit tomber. Le souffle coupé, il mit un temps à réagir. Une lame lui transperça le côté. Il cria. Arthur se précipita et élimina l’ennemi. Il laissa Sira assurer leur défense et mit pied à terre pour aider son ami à se relever. Remarquant son air soucieux, Anton voulut le rassurer :
« Aucun point vital n’a été touché, je devrais m’en sortir.
- Ce n’était pas nécessaire de secourir mon cousin, tu sais.
- Il m’avait sauvé, je n’allais pas le laisser. »
Il tenta en sourire et ajouta :
« Et puis, donner ma vie pour mes camarades fait partie du contrat.
- Comment fais-tu pour plaisanter en toutes circonstances ?
- C’est la légendaire bonne humeur des Kessikbayev. »
Un éclair de douleur l’interrompit. Il fut pris d’un vertige et dut s’appuyer sur son compagnon. Arthur considéra son côté entaché de sombre avec inquiétude.
« Quand vous aurez fini de discuter, intervint Sira, vous pourrez vous préparer à partir ? Je fatigue moi !
- Tu penses être en état de continuer avec ton Ipsa ? s’enquit son cousin.
- Je n’ai pas vraiment le choix, répondit le blessé avec un rictus, mais ça devrait aller. »
Ils se remirent en selle et s’en allèrent à vive allure. Anton dirigeait sa monture d’une main et comprimait l’hémorragie de l’autre. Chaque foulée de l’automate lui causait une souffrance grandissante. Ils traversèrent ainsi une partie du champ de bataille. Les combats faisaient rage, la mort se déchaînait partout. Heureusement pour eux les autres ennemis qu’ils croisèrent étaient trop occupés pour les attaquer. Quand ils sortirent enfin de la zone de conflit la pluie se mit à tomber. Ils franchirent plusieurs collines avant d’arriver en vue du camp impérial. Anton sentait le sang goutter entre ses doigts. Il avait de plus en plus mal. La réalité autour de lui se faisait distante. Il fit un effort pour se reprendre, mais sa vision s’assombrissait. Encore quelques dizaines de mètres, et ils seraient en lieu sûr. Il tenta de réprimer un vertige. Ce n’est qu’en entendant l’exclamation d’Arthur qu’il comprit qu’il était tombé.
Annotations
Versions