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Le lac s’étendait, scintillant de givre. Les arbres autour étaient couverts de neige et renvoyaient la lumière du soleil, malgré les intempéries de la nuit le ciel était à présent dégagé et clair. L’armée impériale s’était arrêtée au bord de ce plan d’eau quelques jours auparavant, pour refaire ses forces avant de s’aventurer dans les montagnes.

Les deux Chasseurs observaient le paysage en silence, perdus dans leurs pensées. Le plus jeune remarqua que son aîné paraissait vouloir parler, sans cependant oser le faire. Intrigué, il s’apprêtait à lui poser une question quand il se décida.

« Desya, as-tu revu ma sœur ? »

Le jeune homme hésita avant d’acquiescer.

Il y a quelques nuits de cela, lorsque tu étais avec l’Empereur, elle est venue.

Un temps passa puis il reprit :

Elle se fait du souci pour toi, Nikita. Pour nous aussi, bien sûr, mais elle m’a dit… qu’elle pressentait un danger te concernant. C’est pour ça qu’elle m’a rejoint.

« T’a-t-elle donné plus de précisions ? »

C’était assez confus. Elle sait que la menace vient de quelqu’un que tu connais, et elle m’a demandé de veiller sur toi, car elle pense que je pourrai te protéger.

« C’est étrange, je ne vois pas qui dans mon entourage pourrait l’inquiéter. »

Elle est repartie après ça, donc je n’en sais pas plus.

« Peut-être que les événements à venir nous donneront des indices. »

Un silence s’installa. Au bout d’un moment, Nikita prit à nouveau la parole :

« Desya ? »

Oui ?

« M’autoriseras-tu à revoir Alisa ? »

Bien sûr !

« Je ne te le demande pas dans l’immédiat, précisa le Lieutenant avec l’air de s’excuser, je ne voudrais pas te contraindre à utiliser ta capacité spéciale. Mais préviens-moi juste si elle revient et que je suis dans les parages. »

Ne t’en fais pas, sourit Desya, j’y penserai. Elle aussi a envie de te revoir.

Le sigao se fit la réflexion que les rôles s’inversaient. Il lui semblait qu’étrangement, c’était lui qui veillait sur son supérieur, ce qui était rare. Cependant ce n’était pas la première fois que Nikita révélait ses failles, et il était heureux de pouvoir le réconforter.

Un bruit attira leur attention. Ils se tournèrent vers les tentes et remarquèrent des silhouettes qui venaient dans leur direction. Deux chevaux faits d’ombre approchèrent et s’arrêtèrent devant eux. Les Chasseurs échangèrent un regard, alertés.

C’est Gavriil ! comprit Desya.

« Partons avec eux. répondit Nikita. Pour qu’il les ait matérialisés et faits venir à nous, c’est que quelque chose est arrivé. »

Ils montèrent sur les créatures et elles partirent au galop. Alors qu’ils filaient à travers le camp, tous deux essayaient de deviner ce qui se passait et où ils allaient. Ils quittèrent les cantonnements et s’enfoncèrent dans la forêt. Après quelques instants, ils parvinrent à un lieu où se déroulait un combat. Leurs trois camarades et l’Empereur se défendaient contre un groupe de neuf épéistes vêtus de gris. Ils mirent pied à terre, les montures se dématérialisèrent et ils rejoignirent la lutte.

« La cavalerie est arrivée, on dirait. » observa Sergey.

Nikita para un coup avant de demander :

« Gavriil, pourquoi n’as-tu pas demandé de renforts au camp ? Nous étions à l’autre bout, et ce litige se règlerait plus vite avec d’autres impériaux pour nous aider.

- Premièrement, répondit l’intéressé, c’était un peu compliqué de s’en aller en plein duel.

- Et deuxièmement, continua Sergey, c’est bien connu que les soldats normaux se font toujours tuer dans ce genre de cas. »

Il esquiva une série d’attaques avant d’ajouter :

« Et puis c’est l’occasion de récolter un peu de gloire. »

Le combat se poursuivit en silence. Bien que certains aient à affronter plusieurs ennemis à la fois, ils s’en sortaient sans trop de difficultés. Pavel demeurait auprès de leur souverain, il avait déjà tué un épéiste. L’Empereur se battait avec le plus grand sérieux, faisant armes égales avec son adversaire. Nikita employait un style brutal, il semblait pressé d’en finir. Desya se servait d’enchaînements uniques qu’il avait lui-même mis au point ; il était probablement le seul combattant de l’Armée à manier un estoc. Gavriil paraissait manquer d’énergie, il laissait presque son adversaire prendre l’ascendant. Sergey quant à lui utilisait tout son répertoire de feintes et coups fourbes. Il s’amusait avec le style conventionnel de son ennemi, qui finit par s’agacer :

« Tu ne suis pas les règles d’un duel loyal.

- Oui mais moi, au moins, je survis. » répondit le Chasseur.

Il faucha son opposant et l’élimina. Un autre vint le remplacer. Alors que Desya achevait son adversaire, il remarqua une silhouette derrière un arbre. Elle arma une arbalète, visa et tira vers l’Empereur. Sans même réfléchir, il s’interposa pour arrêter le carreau d’une incantation. L’ombre s’enfuit et il partit à sa poursuite. Ils coururent longtemps à travers la forêt enneigée, jusqu’à ce que l’écho du combat s’évanouisse. L’inconnu finit par s’arrêter et lui faire face. Il portait d’amples vêtements blancs tandis qu’une pièce de tissu noire lui couvrait la tête. Il dégaina un glaive. Tous deux se mirent en garde. Le royal engagea le duel. Il se battait avec des coups vifs, ce qui convenait à Desya. Après un enchaînement rapide, il parvint à repousser l’ennemi. Celui-ci répliqua par une série de frappes qu’il esquiva. Il trouvait le style de l’inconnu intéressant, car inhabituel. Apparemment, l’escrime du royaume misait beaucoup sur l’offensive et les combinaisons de coups. Il appréciait cette vision des choses, sa façon de manier l’estoc était similaire. Il prit cependant rapidement l’avantage, repoussant l’autre jusqu’à un arbre. Son opposant tenta une feinte et lui érafla la joue. Alors qu’il terminait son geste, le Chasseur attrapa sa large manche, retenant son bras, et lui porta un coup au thorax. La voix qui cria n’était pas masculine. Surpris, Desya lâcha son adversaire et recula. L’autre s’appuya contre l’arbre en pressant sa blessure. Le sang commençait à couler. L’inconnue fit un effort pour brandir sa lame, mais elle lui échappa des mains. D’un ton amer, elle s’adressa au vainqueur :

« Eh bien, tu ne m’achèves pas ? »

Il lui semblait qu’il connaissait cette voix. Il rengaina et répondit :

Non, ce serait déloyal.

« Parce que je suis une femme ? »

Parce que tu n’es plus en état de te battre.

La vaincue soupira et baissa la tête. Elle se laissa glisser à terre, adossée au tronc, et retira le tissu qui occultait son identité.

Lucie ?! la reconnut-il.

« De toute façon, dit-elle avec résignation, la plaie est mortelle. »

Alors laisse-moi te soigner tant qu’il est encore temps.

Il fit un pas vers elle, mais elle saisit son glaive pour le pointer vers lui.

« Ne t’approche pas. »

Il s’immobilisa.

Essaye au moins de tenir jusqu’à l’arrivée de Nikita. répliqua-t-il.

Elle lui jeta un regard chargé d’animosité. Un vertige la saisit et elle lâcha de nouveau son arme. Elle renonça à comprimer son hémorragie, la laissant s’étendre. Le temps sembla s’éterniser, chacun évitait le regard de l’autre et l’air était chargé de tension. Après un moment, le silence fut brisé par des pas dans la neige. Desya se tourna vers celui qui arrivait.

Nikita, où sont les autres ?

« Une milice de l’armée a fini par arriver, expliqua-t-il, et tous les ennemis ont été éliminés. J’ai laissé les autres éclaircir la situation pour voir ce que tu devenais. »

Il s’arrêta auprès des deux combattants et identifia la jeune femme.

« Lucie ! Mais que fais-tu ici ? »

Celle-ci pâlit encore. Sa respiration, déjà difficile, devint saccadée. Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues.

« J’ai été chargée d’organiser l’assassinat de l’Empereur, dit-elle d’une voix sourde, mais les directives n’avaient visiblement pas tout prévu.

- Quelles directives ? Qui t’a donné ces instructions ? »

Elle fit un signe négatif de la tête. Le Lieutenant mit un genou à terre pour se mettre à sa hauteur et reprit :

« Tu es blessée, permets-moi de te guérir, et en échange de ces informations je t’autoriserai à partir.

- Laisse-moi au moins le privilège de mourir pour ma cause. » refusa-t-elle.

Dans son regard, la colère céda la place à la tristesse. Elle ajouta avec douleur :

« Pourquoi m’as-tu trahie ? »

Après une hésitation, elle lui prit la main et la serra. Elle baissa le regard et un soupir lui échappa. Les deux hommes comprirent que c’était fini. Nikita lui ferma les yeux avant de conclure comme pour lui-même :

« C’est un départ bien regrettable… »

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