Au fil des informations glanées, ils avaient pu retrouver l’itinéraire de leur cible. Dives paraissait se diriger aléatoirement, probablement pour semer d’éventuels poursuivants. Les Chasseurs se trouvaient à présent dans une région des montagnes qui leur était familière, au sud de la ligne de front. Alors qu’ils entraient dans une forêt, Pavel fit remarquer :

« Si le destin existait, je dirais qu’il a tendance à nous ramener aux mêmes endroits.

- Ce n’est pas pour me déplaire, continua Sergey, et je pense que nous devrions en profiter. »

Il s’adressa à leur chef :

« Nikita, et si nous faisions à nouveau étape dans notre village ?

- J’y ai pensé, mais j’hésitais. Nous arriverions plusieurs heures avant le coucher du soleil, ce qui nous ferait prendre du retard sur notre route.

- S’il te plaît ! » plaidèrent les jumeaux.

Le Lieutenant hésita. Il considéra la piste qu’ils étaient en train de suivre, comme si elle pouvait l’éclairer dans sa décision. Finalement, il déclara :

« C’est d’accord, mais nous ne partirons pas tard demain.

- Merci ! dit Pavel.

- Je me charge d’ouvrir la voie ! » ajouta Sergey.

Il fit avancer son Ipsa un peu plus vite afin de précéder ses camarades.

La prochaine fois, plaisanta Desya, on ne pourrait pas chasser les criminels dans la Mer Intérieure ?

« Ou dans la forêt du Sud ? ajouta Gavriil.

- Si vous avez suffisamment de chance, repartit leur guide, car pour le moment c’est le privilège des montagnes d’accueillir les traîtres. »

Les autres sourirent. Après avoir légèrement dévié de leur parcours initial, ils sortirent de la forêt et parvinrent sur un vaste plateau. Un ruisseau traçait des méandres sur leur droite, de nombreux champs s’étendaient tout autour, couverts de neige, et devant eux s’ouvrait le sentier qui menait au village. Ils suivirent un chemin qu’ils connaissaient désormais, pour parvenir près de la maison des jumeaux. Leur mère était justement en train d’y arriver, un panier de provisions sous le bras. Elle faillit le lâcher en les apercevant. Les voyageurs s’arrêtèrent et ses fils mirent pied à terre pour la rejoindre.

« Mes enfants ! Mais que faites-vous ici ?

- Nous nous sommes dit que c’était le moment idéal pour te rendre visite. plaisanta Sergey.

- Plus sérieusement, compléta Pavel, notre mission nous a amenés dans les parages, et nous avons insisté auprès de notre chef pour passer par ici.

- Il y aurait de la place pour nous héberger tous les cinq ? conclut son frère.

- Oui, bien sûr ! Laissez-moi juste m’organiser.

- Excuse-nous d’arriver de façon si soudaine. ajouta l’aîné des jumeaux.

- Tant que ça ne devient pas une habitude... » sourit-elle.

Après qu’ils eurent laissé les Ipsa à l’étable, elle les invita chez elle. À peine avaient-ils tous pris place dans le salon que Sergey demandait :

« Ça pose problème si je m’absente un instant ?

- Où voudrais-tu aller ? s'enquit Nikita.

- Je dois retrouver quelqu’un, je ne serai pas long.

- Shynar ? » demanda Pavel.

Son frère ne répondit pas, il était déjà en train de partir.

« Sergey, attends ! » l’appela sa mère.

Mais il était déjà sorti. Il marcha d’un pas vif le long des petites rues du village, jusqu’à une maison de taille moyenne contiguë à un atelier. Il hésita, puis toqua à la porte. Un temps passa et on lui ouvrit. Il se retrouva face à un garçon âgé d’une dizaine d’années, qui le considéra avec méfiance.

« Bonjour, commença le jeune homme, tu es Rimsky, n’est-ce pas ?

- Vous êtes de l’armée ? répliqua l’enfant, regardant son épée.

- Plus ou moins. confirma-t-il, légèrement déconcerté.

- C’est-à-dire ?

- J’appartiens aux Chasseurs. Je suis Sergey Kessikbayev. précisa-t-il.

- Ah. »

Le garçon marqua un temps, puis déclara brusquement :

« Elle n’est plus là.

- Shynar ? »

L’enfant hocha la tête. À ce moment, une voix appela de l’intérieur :

« Rimsky, laisse-le entrer. »

Celui-ci se détourna et s’en alla vers l’étage. Troublé, le soldat franchit le seuil. Alors qu’il refermait la porte il fut rejoint par le père de Shynar. Malgré son air fatigué et soucieux, il tenta un sourire en le saluant :

« Bonjour, Sergey, cela faisait longtemps. J’imagine que tu as pu revenir grâce à une mission ?

- En effet, Pavel et les autres sont là aussi. Mais comment allez-vous depuis la dernière fois ? »

Le soigneur sembla vouloir parler, puis soupira.

« Viens, ce sera mieux que je t’explique une fois que nous serons installés. »

Il le conduisit à la pièce principale et l’invita à prendre place sur un siège près de la cheminée. Lui-même resta debout, l’air mal à l’aise. Après quelques instants, il prit enfin la parole :

« Je pense que tu t’en doutes, mais j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer.

- C’est à propos de Shynar ? s'inquiéta le jeune homme.

- Oui. Cela fait plusieurs jours qu’elle a disparu.

- Quoi ?! »

Sergey se leva sous le coup de l’émotion.

« Comment est-ce arrivé ? Depuis combien de temps exactement ? A-t-elle laissé des indices pour l’expliquer ? »

Le père fit un signe négatif de la tête. La même consternation se lisait sur les traits des deux hommes.

« Malheureusement, personne ne sait rien. Tout ce que je peux te dire est qu’elle est partie se promener il y a six jours, en début d’après-midi, et... qu’elle n’est pas revenue. Elle s’en était allée vers la cascade, mais malgré les recherches nous n’avons rien retrouvé sur son itinéraire. »

Le soldat ne sut que dire. Pendant un moment, un lourd silence régna.

« Pourquoi n’ai-je pas été prévenu ? finit-il par demander.

- Nous ne voulions pas t’inquiéter, et tu étais difficilement joignable. »

Il soupira. À nouveau, aucun des deux ne parla. Le père remarqua Rimsky, assis sur les escaliers près de la porte ouverte. Il lui fit signe d’approcher. L'enfant hésita, puis les rejoignit. Il leva le regard vers Sergey et lui demanda d’un air insistant :

« Vous allez la sauver, n’est-ce pas ?»