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Le ciel bleu s’étendait à perte de vue, parcouru de quelques nuages. Un timide soleil dispensait ses rayons à travers la ramure des arbres renaissants, de multiples perce-neiges recouvraient le sol vert tendre.
« C’est tout de même plus agréable de voyager quand le beau temps revient !
- Tu crains toujours autant la pluie, Gavriil ? le taquina Sergey.
- Oui, confirma celui-ci, et ce n’est pas près de changer. À l’inverse de certains, je n’ai pas grandi dans une région au climat rude, et j’ai donc moins l’habitude des intempéries et des basses températures.
- Pourtant, observa Pavel, ton sud n’est pas non plus connu pour ses vagues de chaleur.
- Ce n’est peut-être pas un désert, mais il y fait tout de même meilleur qu’ici. »
On t’entend rarement te plaindre, fit remarquer Desya, mais quand tu le fais c’est généralement à cause du temps. À l’inverse d’une certaine personne...
Se sentant concerné, Nikita esquissa un sourire. Il prit la parole :
« Je suis à l’épreuve de tout, vous le savez bien. Et puis ce n’est pas comme si je m’arrangeais pour éviter les régions au climat chaud.
- Pas du tout. » acquiesça Sergey.
Un bref silence s’ensuivit. Le Lieutenant reprit :
« Nous allons bientôt nous arrêter, il va être temps de faire une pause.
- Enfin ! soupirèrent les autres.
- Vous êtes fatigués aujourd’hui ? s'étonna-t-il.
- Un peu, fit mine de se plaindre Sergey, tu nous as fait partir avant même le milieu de la nuit.
- La dernière fois que j’ai dormi remonte à hier en début de matinée. » ajouta Pavel dans le même jeu.
Et nous n'avons pas autant que toi l’habitude du manque de sommeil. poursuivit Desya.
« C’est bon, j’ai compris, s’amusa leur chef, mais il est inutile de m’en vouloir. Nous traversons une zone plutôt dangereuse, étant donné que nous nous rapprochons de la capitale, il faut par conséquent redoubler de prudence. Ce qui signifie notamment qu’il faut être prêt à partir à n’importe quel moment.
- Le nombre de patrouilles dans cette région est indécent, commenta Gavriil, mais espérons que nous aurons au moins le temps de nous reposer un peu. Sinon, je me chargerai personnellement d’éliminer les sources de problèmes. »
Les cinq voyageurs arrêtèrent leurs montures et mirent pied à terre. Pendant que Sergey et Desya rassemblaient les chevaux, Gavriil avait récupéré la sacoche d’intendance et cherchait des ingrédients susceptibles de l’inspirer.
« Je m’occupe de cuisiner, annonça-t-il, avez-vous des demandes particulières concernant le plat ?
- De la viande, dit Sergey, s’il nous en reste. »
Et des légumes, proposa Desya, avec de la cébette pour donner du goût.
« D’accord, je vais essayer d’arranger ça. Pavel, pourrais-tu faire un feu pendant que je prépare les aliments ?
- Oui, je vais chercher de quoi l’allumer.
- Merci ! »
Tandis que les autres s’affairaient, il s’éloigna un peu pour ramasser du bois. Il profitait de cette petite marche pour se détendre, car les longues distances parcourues ces derniers jours s’étaient avérées assez éprouvantes. Il ne se lassait pas du voyage, mais se sentait comme d’habitude fatigué après une saison entière de neige et de froid. Il sourit, repensant à son enfance dans les montagnes, où son frère et lui faisaient des concours de dessins sur les vitres embuées, jusqu’à ce que leur père leur propose de partir à la recherche des renards blancs. À nouveau, tous deux étaient en concurrence pour savoir qui en verrait le plus. C'était souvent son jumeau qui gagnait, car il connaissait mieux les endroits où les trouver. Peut-être que Sergey avait raison, finalement, et qu’il aurait pu mettre plus souvent le nez dehors quand il était enfant. Il se serait probablement forgé une santé plus solide.
Il interrompit le cours de ses pensées et revint vers le lieu où ils s’étaient arrêtés. Après avoir posé les branches mortes par terre, là où le sol n’était pas trop humide, il alluma un petit foyer d’une incantation. Les autres le rejoignirent avec diverses affaires pour le déjeuner.
« Au fait, demanda Sergey, dans combien de temps arriverons-nous environ ?
- Exactement deux semaines. » indiqua le Lieutenant.
Toujours aussi précis. commenta Desya.
Tout à coup, un bruit se fit entendre dans le lointain. Des craquements et un pas lourd, pouvant être celui d’un groupe de soldats. Tous les cinq eurent le réflexe de porter la main à la garde de leur épée. Gavriil prit la parole :
« Je requiers la permission d’aller voir de quoi il s’agit, et de régler le problème si possible.
- Accordée, répondit son chef, mais sois prudent.
- Toujours. À tout de suite ! »
Et il partit dans la direction du son. Pendant quelques minutes, il suivit un petit sentier jusqu’à être hors de vue des autres. Ses pas le menèrent à une petite clairière où se trouvait ce qu’il cherchait. Il sentit une pointe de lassitude en identifiant le problème.
Un loup géant... soupira-t-il intérieurement. Il fallait que je tombe sur la créature la plus imprévisible qui soit.
Il demeura dissimulé à la limite des arbres, observant l’animal pour déterminer sa direction, et s’il serait un danger pour eux. Malheureusement pour lui, le carnassier s’arrêta et se tourna vers lui, crocs dévoilés. Avec un soupir, Gavriil sortit du couvert des arbres et dégaina son épée. Il savait qu’il avait plus de chances de s’en sortir indemne s’il l’affrontait. La bête le fixa un instant de ses yeux luisants, puis passa à l’attaque. Il affermit sa prise sur sa lame et se campa résolument pour recevoir sa charge. Le choc fut plus rude qu’il ne l’avait imaginé. Il faillit reculer, mais contra de côté. Tout en maintenant la tête du loup du plat de son épée, il sortit une dague de la main droite et en frappa son l’œil. Celui-ci hurla, furieux, et recula. Le combattant se remit en garde. Il considéra ses armes et décida d’égayer son ennui en changeant de style. Lorsque le prédateur attaqua de nouveau, il esquiva et lui porta un double coup. Il constata avec satisfaction que la combinaison estoc et taille fonctionnait plutôt bien. Il s’écarta avant d’infliger un enchaînement rapide à l’animal.
Il comprenait tout à coup pourquoi son grand frère lui avait conseillé d’apprendre l’escrime avec une épée à une main : celle-ci se combinait aisément avec d’autres armes. Cela lui procurait un certain avantage, mais plutôt contre un adversaire humain.
Il revint à la réalité quand le loup bondit vers lui. Il recula par réflexe, mais pas assez. La bête le plaqua au sol. Ses griffes commencèrent à s’enfoncer dans son bras droit. L'épéiste cria de douleur. Il porta un coup au côté du prédateur puis lâcha sa dague. Il saignait de l’épaule au coude et des larmes lui brouillaient la vue. Il parvint à dégager son bras gauche et opposa son épée à la tête de l’animal pour éviter ses morsures. Le loup géant redoubla d’énergie, faisant pression sur la lame sans craindre les entailles qu’elle lui causait. Le Chasseur avait beau résister de son mieux la situation paraissait sans issue. L'adrénaline lui donnait des forces mais les éclairs qui traversaient son bras l’empêchaient de réfléchir.
C’est alors qu’une épée lourde intervint. La bête recula pour l’éviter et un nouveau combattant s’opposa à elle. Gavriil s’assit et cligna des yeux pour éclaircir sa vision. Il identifia sans peine celui qui l’avait sauvé.
« Sergey ! Comment as-tu fait pour être ici au bon moment ?
- Tu mettais du temps à revenir, on se demandait si les soldats d’en face ne t’avaient pas invité à déjeuner. Et comme on t’attendait pour manger et que j’avais faim, j’ai décidé d’aller te chercher.
- Merci.
- Pas de quoi. » dit son camarade avant de porter un coup critique.
Pendant que Sergey s’occupait du loup, Gavriil se remit debout et commença à comprimer sa plaie. Elle était moyennement profonde en apparence, sans mettre sa vie en danger pour autant, mais la douleur le lançait si fort qu’il avait du mal à se concentrer pour commencer une incantation.
« Attention ! »
Il vit le loup s’élancer vers lui. Il ramassa son épée juste à temps pour arrêter sa course, mais le prédateur la lui arracha de la main d’un coup de crocs pour l’envoyer au loin.
Génial, pensa-t-il, de toutes les situations convenues il a fallu que ce soit celle de l’arme hors de portée. Ça ne pouvait pas être celle du héros vainqueur in extremis ?
Il ne perdit pas de temps et invoqua une créature d’ombre qui s’attaqua à l’animal. Vu son état, il pouvait la maintenir juste le temps que son frère d’armes tente quelque chose. En effet, celui-ci profita de cet instant pour porter un coup fatal à la bête. La forme créée par Gavriil se dématérialisa au moment où le loup géant s’effondrait. Une fois le danger éliminé avec certitude, Sergey alla ramasser l’épée à une main et la rendit à son camarade.
« Tu m’étonnes que tu aies eu du mal, commença-t-il, les armes des nobles ne valent rien.
- Tout dépend du style, corrigea l’aîné en rengainant, personnellement je préfère manier une arme plus légère qu’une épée à deux mains.
- Oui, enfin... »
Sergey laissa sa phrase en suspens et jeta un regard appuyé au bras de son compagnon.
« De plus, précisa ce dernier, ma lame a l’avantage d’être pratique quand on est ambidextre.
- Une claymore aussi. » affirma son cadet avec un sourire.
Gavriil acquiesça vaguement avant de récupérer sa dague. Sans y penser, il voulut se servir de son bras droit mais un éclair de douleur lui rappela la réalité. À la fois amusé et compatissant, Sergey s’approcha et utilisa une incantation de soin pour tenir le temps qu’ils reviennent sur leurs pas.
« Merci. dit son camarade. Et si nous rejoignions les autres à présent ?
- Excellente idée, ils doivent se poser de sérieuses questions. »
Tous deux quittèrent la clairière, et après un moment de marche en silence retournèrent à l’endroit où les attendaient leurs frères d’armes.
« Je meurs de faim ! annonça Sergey en arrivant. Et j’en connais un qui a besoin de reprendre des forces !
- Gavriil, qu’est-ce qui t'est arrivé ? s'inquiéta Nikita.
- Un loup géant. » indiqua celui-ci laconiquement.
Le Lieutenant se leva pour aller chercher une trousse médicale. Il fit signe à son subordonné de s’assoir et commença à le soigner. Pendant ce temps, Sergey rejoignit Pavel et Desya et prit place à côté de son frère. Il jeta un coup d’œil au plat qui finissait de chauffer avant de remarquer :
« Ça a l’air bon, qui s’est chargé du déjeuner au final ?
- J’ai cuisiné. » répondit Nikita.
Gavriil le considéra avec surprise et s’excusa :
« Désolé, je t’ai rajouté du travail.
- Ce n’est pas grave, ça ne m’a pas dérangé. »
Il désinfecta la plaie, tirant une grimace de douleur au blessé.
« Pardon, je t’ai fait mal ?
- Non, ça va. »
Alors, plaisanta Desya, il va survivre ?
« Ça devrait aller, répondit Nikita dans le même jeu, il faudra juste trouver un médecin à la première ville que nous traverserons et le faire passer pour un ressortissant du royaume pour éviter les problèmes. Cependant, très estimé Chevalier Andreï, il me semblait vous avoir engagé pour me seconder, et pas pour montrer le mauvais exemple aux plus jeunes.
- Recevez mes plus sincères excuses, mon Lieutenant, s’amusa l’intéressé, je promets de ne pas recommencer avant la prochaine occasion. »
Les trois autres rirent. Tous profitaient de ce moment de complicité, devinant que derrière les mots de leur chef se cachait une réelle inquiétude, signe qu’il tenait à eux.
« Bon, reprit Sergey, sans vouloir presser notre infirmier, quand passons-nous à table ?
- Tu n’as qu’à les aider, répliqua son frère, c’est toi qui as le plus de connaissances en médecine, ici, avec ta capacité spéciale.
- Encore une fois, je préfère éviter. Nikita, ajouta-t-il avec l’air de se plaindre, tu n’aurais pas pu nous trouver un pharmakon ? Ça m’aurait évité d’être nommé phytothérapeute à temps partiel.
- J’y ai pensé, sourit son chef, mais j’ai vite renoncé. Il en aurait eu assez de prendre des vies au lieu de les sauver. »
Ses frères d’armes échangèrent des regards à la fois perplexes et amusés.
Il ne nous reste plus qu’à nous remettre aux bons soins de la chance. conclut Desya.
« Facile à dire pour toi, le taquina Sergey, tu es assez mignon pour qu’elle te sourie. »
Pris de court, le benjamin rougit, incapable de trouver une réplique.
« Je suis sûr que même Sakura ne te complimente pas comme ça. » continua Pavel dans le même jeu.
Desya se composa un air détaché et demanda :
Tu dis ça parce que Tsering t’a donné de meilleurs exemples ?
« Ça, commenta Gavriil, c’est bien envoyé. »
Voyant que son jumeau ne répondait pas Sergey prit la parole :
« Nous ferions mieux de nous arrêter là, sinon nos deux aînés vont finir par nous annoncer qu’ils ont eux aussi trouvé quelqu’un. »
Nikita et Gavriil eurent la même expression surprise, puis tous les cinq éclatèrent de rire.
« Nous ferions mieux de déjeuner, observa Pavel, ça éviterait à mon frère de raconter des absurdités. »
Ce dernier ne chercha même pas à protester et déclara :
« Motion approuvée à l’unanimité ! »
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