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Les accords s’élevaient, légers, emportant la mélodie par la fenêtre ouverte. Depuis le balcon, il regardait les jardins plongés dans la nuit. À la faveur de l’obscurité de multiples fleurs s’épanouissaient et exhalaient leur doux parfum en silence. Ce tableau tranquille contrastait avec l’ambiance joyeuse de la salle de bal derrière lui. Il profitait de ce double décor, qui lui rappelait le bonheur qu’il avait d’être ici. Légèrement songeur cependant, il se demandait ce que faisaient ses camarades en ce moment même. Nul doute qu’ils profitaient eux aussi d’un repos bien mérité, même s’il suspectait que certains continuaient à travailler. Dans quelques jours, ils seraient à nouveau réunis.

Il remarqua un mouvement dans les jardins en bas. Un chat blanc chassait une luciole dans les allées de sable. Il la poursuivit quelques instants avant qu’elle ne s’envole hors de sa portée. Puis il rejoignit un arbre non loin de la façade, y grimpa agilement et parvint sur la rambarde du balcon. Après un coup d’œil presque perplexe au noble qui se trouvait là, l’animal s’approcha de lui pour réclamer des caresses. En passant sa main dans sa fourrure soyeuse, le jeune homme s’étonna comme à chaque fois de sa douceur. Mis à part Gingko, son cheval, il n’avait jamais eu d’animal de compagnie. Ce chat était celui de sa nièce, le jour même de son retour Sitora avait absolument tenu à le lui présenter. Ils s’étaient souvent croisés depuis et le félin semblait l’apprécier, ce qui était réciproque. Il se demanda un instant ce que ses camarades diraient d’avoir un animal dans leur maison. La pensée que chacun en voudrait un différent le fit sourire et il s’imagina leur jardin rempli de créatures toutes plus extravagantes les unes que les autres.

Le chat, qui avait commencé à ronronner, s’arrêta et se releva avant de s’en aller.

« Tu ne profites pas de la fête, Gavriil ? »

Il se retourna et fut rejoint par deux de ses amis. Celui qui avait parlé, un jeune homme assez grand aux cheveux noirs, arborait un air sérieux quoique avenant. Il était accompagné d’une demoiselle dont l’expression réservée contrastait avec l’étincelle dans ses yeux sombres. Tous deux étaient vêtus dans des teintes similaires, alliage de jais et d’argent.

« Je me repose un peu, cela faisait longtemps que je n’avais pas été dans une telle ambiance.

- Tu n’as pas assisté aux célébrations de la victoire ?

- Si, mais elles sont arrivées avant le contrecoup de la fatigue.

- Tu as perdu en endurance, le taquina son ami, serait-ce les premiers signes de la vieillesse ?

- J’ai sauvé l’Empire, moi ! se défendit-il.

- Moi aussi.

- Oui mais tes missions étaient toutes nocturnes. À ce propos, tu ne fais pas danser Esther ?

- Nous avons déjà bien valsé, sourit celle-ci, et il semblerait que Kuro fatigue plus vite que moi.

- Ah, tu vois. » releva le Chasseur.

Son ami esquissa un sourire. À ce moment quelqu’un l’appela :

« Kuro ! C’est donc là que tu t’étais caché ! »

Deux autres convives venaient d’arriver sur le balcon. Le premier était un noble au regard vert espiègle et à l’allure fière. À ses côtés se trouvait une jeune femme d’apparence déterminée, impression renforcée par ses courts cheveux châtains. Eux aussi portaient des tenues assorties, mêlant tons de vert et motifs dorés.

« Tu me cherchais, Keiji ? répondit le jeune homme.

- Apparemment, déclara sa compagne, vous aviez un débat en cours sur la moralité des assassinats, il me semble.

- Eh bien, quel sujet ! commenta Gavriil.

- Je ne vous le fais pas dire. À qui ai-je l’honneur ? s’enquit-elle avec un sourire.

- Je me charge des présentations, proposa Kuro, puisque Keiji semble faire fi de la bienséance. »

Il lança un regard appuyé à celui-ci, qui répondit par un haussement d’épaules désinvolte.

« Commençons par les nouveaux arrivants. Voici Keiji Shimada, grand voyageur et maître philosophe en sarcasme. Quant à sa partenaire, il s’agit de sa fiancée, Fleur Rags, héritière de la branche von Grimbergen, l’aînée de la famille régnante de son royaume.

- Tous ces titres sont bien inutiles, sourit-elle, mon nom simplement aurait suffi.

- C’est sûr, fit remarquer son fiancé, étant donné que tu y as renoncé.

- Apprenez le tact, jeune homme. »

Elle fit mine de s’offusquer et lui donna un petit coup d’éventail sur l’épaule. Kuro soupira avant de reprendre :

« Keiji, Fleur, vous avez l’honneur de rencontrer Gavriil Andreï, troisième enfant de la famille qui nous accueille tous ce soir.

- Tu aimes bien faire les choses dans les formes, s’amusa celui-ci, au moins m’as-tu fait grâce du titre de Chevalier.

- Cette noblesse qui ne tient plus à ses distinctions… plaisanta Esther.

- En même temps, répondit-il dans le même ton, la légende dit que ce titre nous a été donné par le roi, au temps où le sud appartenait encore à nos voisins.

- Et que dit la réalité ?

- Ma lignée l’a obtenu deux fois, une dans l’Empire et une dans le royaume.

- Pas mal ! apprécia Keiji. C’est vrai que cette région a souvent changé d’affiliation. Vous avez dû vous amuser à jouer un double rôle pour le camp de votre choix.

- Mes prédécesseurs ont plutôt ouvertement pris des risques, cela n’aurait pas été très moral.

- Oui, mais ça aurait été drôle.

- En parlant de morale, intervint Fleur, que diriez-vous de reprendre ensemble la discussion de Keiji et Kuro ?

- Excellente idée, approuva son fiancé, quoique personne ne puisse te tenir tête dans un débat.

- Vraiment ? s’étonna Gavriil.

- Oui, rares sont ceux capables de rivaliser avec elle.

- En ce cas, je relève le défi ! »

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