Un état des lieux pas uniquement Géologique
Chapitre IV
Il resta un certain temps à regarder cette forme noire et agitée, dont les pansde la soutane s’animaient avec la venue d’un vent du sud est qui la rendait comparable au vol décousu d’un corbeau ou d’une corneille. D’ailleurs Simon remarqua, en levant la tête que ces deux espèces étaient particulièrement représentées. Des oiseaux de mauvais augure pensa-t-il ; la conversation qu’il avait eu avec l’ecclésiastique l’avait perturbé en profondeur. C’est en y apposant le visage de Maria qu’il continua sa marche plein Est, longeant le bord du plateau, dont les aspérités du chemin réclamaient une certaine concentration ; le vide étant à quelques mètres à sa droite, plongeant sur plus de cinq cent mètres. L’activité mentale qu’il entretenait était inconfortable car en plus de sa sécurité, les questions ayant trait à Maria se succédaient sans relâche. Pour convenir avec les contradictions qui provenaient de sa rencontre avec le père Marcelin, il en vint même à douter de sa piété ! Mais l’idée fit long feu, car effectivement, exercer son sacerdoce sur ce plateau balayé par les vents, au milieu d’une population de caussenards craintive et peu portée à l’ouverture relevait plus d’une pénitence qu’autre chose. En tous cas c’était l’opinion de Simon. Maria considérée comme hérétique, dépositaire d’une pensée malsaine, évocatrice d’une luxure combattue par toutes les instances morales de ce temps ! Non, décidément il allait trop loin, se dit-il. Les termes même de « luxure » et celui « d’hérétique », ne faisaient pas partie de son vocabulaire et il s’en émut avant de s’en vouloir aussitôt. Il ne voulait absolument pas remettre en question la sincérité, la hauteur de ses sentiments pour la jeune femme. Une fois de plus, il choisit les dociles, réconfortantes et terriblement exaltantes pensées de la symbolique amoureuse.
Sa tension interne s’apaisa au fur et à mesure que le sentier s’éloignait du précipice. Il put enfin laisser vagabonder son regard sur la nature environnante et il constata, qu’en dépit de l’aspect particulièrement aride de celle-ci, une faune bruissante occupait les lieux. Il vit s’envoler un groupe de perdrix, pris de panique à son approche, distingua au loin un renard furtif en quête de son repas et à sa grande stupeur, il crut distinguer vers le levant, le vol imposant de ce qui devait être des vautours. « Encore un mauvais présage ! » Dit-il à haute voix. Lui qui combattait depuis qu’il avait l’âge de raison toute superstition, il se retrouvait dans la position de ceux qu’il combattait… Une fois de plus il subissait ce qui lui advenait, ce qui surgissait dans son âme, plutôt que de maîtriser ces humeurs comme le ferait tout scientifique, garant d’une raison toute puissante. Enfin il entendit au loin l’aboiement d’un chien ainsi que des éclats de voix qu’il rapprochait à ceux d’un homme. Ce lui fut confirmé, quand, après avoir gravit une légère pente, il découvrit le troupeau de moutons effrayés par les aboiements du chien qui tournait autour et rendait de plus en plus compact cette masse fluctuante. Il vit l’homme aussi, debout sur un monticule rocheux, donnant à son compagnon de travail des ordres que seule leur association pouvait comprendre. Il décida, bien que les indications de Maria se confirmaient quant au trajet à prendre, d’utiliser le prétexte de garantir son chemin, pour le demander au berger, voulant seulement partager un soupçon d’humanité avec quelqu’un.
— Bien le bonjour Monsieur !
L’homme l’avait repéré depuis qu’il avait dépassé la crête, il avait largement eu le temps de voir que le jeune homme n’était pas un caussenard, son accoutrement et la pâleur de sa peau lui donnaient raison. Il en profita pour adopter une attitude empruntée, construite avec la même défiance que l’homme sans âge que Simon avait croisé à Machecoul, tout en laissant, par un langage non verbal, une latitude propice au dialogue.
— Adeu !
— Je vais à La Rapière, je suis sur le bon chemin j’espère ?
Peu ou pas du tout habitué à croiser un étranger au milieu de la lande et sur le causse tout entier lui-même, il toisa le jeune homme de haut en bas, pendant qu’il se rapprochait de lui, notant l’élégance de la coupe de sa vareuse, le cintrage de son pantalon et le luxe apparent de ses godillots de marche, se demandant quelle attitude adopter face à ce personnage, de toutes évidences, issu d’une classe sociale sans comparaison avec la sienne. Cette différentiation instinctive étant à son désavantage, elle amenait obligatoirement une défiance qui lui disait : « tiens-toi sur tes gardes ! »
Cependant le visage avenant de Simon atténua grandement une peur presqu' atavique. Il le regarda droit dans les yeux, jaugeant ce qui pourrait être considéré comme une déconsidération de la part de l’homme et conclut qu’il n’y avait aucune raison de ne pas répondre à sa demande. Et avec un fort accent occitan il lui répondit :
— Vous êtes sur le bon cami…chemin Monsieur, d’ici une grosse demi-heure vous y seserez rendu. Son sourire édenté avait valeur d’acquiescement. Vous devrez prendre le passage entre les camp...champs. Vous allez voir qui ?
— Les champs justement !
— Vous êtes un drôle, vous ! Et qu’est-ce que vous leurs voulez à ces champs ? Répondit spontanément le berger, sa candeur plut à Simon parce qu’elle avait la fraîcheur des questions que posent parfois les enfants et mettent sans le savoir les adultes face à une contradiction ou un non-sens difficile à justifier.
— Je ne suis pas un drôle Monsieur, je suis un géologue.
— Un quoi ?!
— Je suis à Malaterre pour étudier la nature des roches qui le composent, j’essaie de savoir comment il a surgit des profondeurs de la terre, si vous vous voulez, et j’essaie de dater sa formation…vous voyez ?
Peu sûr de ses explications il regarder l’homme, pour le moins dubitatif, cherchant sans doute une raison utile à sa présence quand brusquement ses yeux s’égayèrent et dit :
— Vous êtes un historien ! Un historien des pierres c’est ça ?
Simon fut agréablement surpris par la synthèse tout à fait évocatrice qu’il avait faite de sa fonction, car somme toute, celle-ci ne présentait que peu d’intérêt pour la majorité des gens. La déduction faite par ce berger sans doute illettré prouvait que la connaissance n’allait pas automatiquement de pair avec l’intelligence. C’était une preuve supplémentaire du bon sens des gens qui vivaient dans cette région isolée. Il ne put s’empêcher de le féliciter pour sa sagacité.
— Votre esprit est particulièrement vivace Monsieur le berger !
— Vi…quoi ?
— Je veux dire que vous avez parfaitement résumé la nature de mon emploi, votre comparaison est tout à fait juste !
Il voyait, sur le visage amplement altéré par la vie au grand air, une fierté non dissimulée et un regard plein de reconnaissance, d’affection même envers le jeune homme. Rares avaient dû être les fois où on l’avait loué pour son intelligence, jamais peut-être… Le lien qui rapproche les êtres, au-delà de leurs conditions, leur culture, leur religion aussi, était créé. L’universalisme qui composait un des piliers fondamentaux de la pensée globale de Simon se voyait vérifié.
Il se sentit, pour la première fois, accueilli avec une incontestable gratitude sur ce causse.
La reconnaissance dont l'homme lavait été l’objet, qui provenait d’un scientifique de surcroît et qui rajoutait à la superbe qu’il ressentait, le rendit volubile, il s’adressa au jeune homme :
— Sur le chemin, Monsieur le géo…géo…
— Géologue.
— Oui ! C’est ça ! Monsieur l’historien des pierres si vous permettez ? Simon confirma sa traduction personnelle et plus évocatrice, par un hochement de tête.
— Donc sur le chemin vers La Rapière vous risquez de voir des « tendelles », hé bien n’y touchez pas, elles sont en équilibre, c’est pour les grives vous comprenez ?
— Des « tendelles » ? C’est à vous de m’éclairer Monsieur le berger !
Décidément cette rencontre improbable apportait à l’homme son lot de reconnaissances. De bon élève il devenait, à son tour, enseignant ! Son égo, caressé avec suavité, il prit une posture hiératique, comme porteur d’une connaissance réservée à peu d’élus et lui expliqua :
— Ce sont des pièges, les grives raffolent des baies de genévriers, on les place sous une pierre plate qui tient sur quatre pattes avec des bouts de bois, un peu comme une table, voyez ?
— Oui je crois.
— Quand la grive repère la baie, elle se jette dessus et bouscule les pieds de la table et résultat ?
Sans le savoir cet homme en apparence rustre, simple, faisait avec Simon de la pédagogie interrogative ! Il scrutait le jeune homme, dans l’attente fébrile de sa réponse, espérant de tout son cœur que Simon donnerait la bonne réponse, confirmant par la même son nouveau statut d’homme de savoir dont les compétences avaient été avalisées par un vrai scientifique.
— Je pense que la pierre tombe sur la grive et la tue. C’est un piège ingénieux je trouve !
— Exactement jeune Monsieur ! Y’a qu’à Malaterre que vous trouverez ce genre de piège. Quand on en a plus qu’il n’en faut on les donne à l’Etienne qui les revend pour nous. Et avec les sous il nous remonte ce qu’on a besoin. Du tabac, de l’huile et parfois même du café ! Vous vous rendez compte ! Du café !
Son chien vint caler sa truffe humide et tiède dans une des mains de Simon, reniflant avidement des odeurs encore inconnues et, peut-être, par solidarité pour les bonnes dispositions qu’avait son maître pour lui.
— Voyez ! Yago vous aime bien ! C’est pas souvent qu’il s’approche des étran…heu…des gens qu’il connaît pas !
Simon apprécia la correction effectuée, son statut lui aussi changeait, du moins dans les yeux de ce brave homme. Il le remercia du regard, caressa la tête du chien, réajusta son havresac et prit congé de son reconnaissant interlocuteur.
— Un grand merci pour vos informations Monsieur.
— Appelez-moi Jules et n’hésitez pas à dire que vous m’avez vu à La Rapière, comme ça, si vous avez des questions, les gens du coin ils vous répondront plus facilement. On a pas l’habitude de voir de nouvelles personnes par ici.
— Je vous suis très reconnaissant Jules, à ce moment il voulut lui rendre la pareille, chose qu’en aucun cas il se serait permit dans la société montpelliéraine mais céda et se laissa dire : « moi c’est Simon… »
Simon poursuivit donc son chemin, confirmé par l’accueillant berger, vers La Rapière qui n’était pas encore visible à l’horizon. Il put, effectivement, durant le trajet, repérer des « tendelles » astucieusement placées parmi les buis particulièrement présents dans cette zone. Certaines avaient fait leur office et laissaient apparaître les ailes des grives dupées par leur appétence pour le Genévriers. La flore, bien que parcimonieuse à cette altitude et tributaire des sols et d’un climat sans concession, se caractérisait par la prédominance de Panicauts Champêtre, de Carline à feuilles d’Acanthe et, encore nombreuses, des Cheveux d’ange. L’herbe était clairsemée mais le printemps déjà bien avancé, lui donnait une couleur verte affirmée qui devait faire le régal des moutons de Jules. A son grand étonnement il put même distinguer ce qu’il pensait être des orchidées. Il se rappela, ce que l’on pourrait qualifier comme une recommandation, des paroles de Jules qui lui enjoignaient de ne pas hésiter à faire part aux habitants du hameau qu’il l’avait rencontré. Ce passeport pourrait s’avérer utile s’il voulait comprendre la présence de culture dans cette partie du causse si peu propice à l’agriculture en demandant, justement, aux cultivateurs du lieu.
Enfin, au bout d’une quarantaine de minutes il vit se dessiner les premières murettes de pierres sèches qui enserraient les lopins de terre mis à contribution. Une fois à hauteur de l’un d’eux, il constata que le chou-fleur semblait s’accommoder du substrat censé lui apporter les nutriments nécessaires à sa croissance. Il longea la murette sur une trentaine de mètres et repéra une ouverture suffisamment large pour laisser passer une carriole, qui séparait en son milieu cette bande de terres dédiée à la culture. Sur sa gauche l’oignon et la pomme de terre prospéraient, il récolta avec sa main cet intrigant humus, le malaxant avec ses doigts pour constater qu’il contenait un mélange de fumier, d’herbe coupée et désagrégée par l’eau, des restes de pelures, des fragments de Betterave rouge en état de putréfaction et encore beaucoup d’éléments organiques. Il comprit la technique, en faisant un parallèle avec les cultivateurs de l’île D’Ouessant, qui amassaient dans des enclos délimités de la même manière, des algues, qui en se décomposant formaient un ersatz de terre arable. A mi-parcours il vit l’architecture caractéristique du causse, déjà vue à Machecoule, de La Rapière, constituée d’habitations toutes en pierres, toit y compris, le plus souvent sur trois niveaux. Le premier étant destiné aux bêtes, le second, accessible par un escalier extérieur, aux hommes et enfin le dernier dont la fonction était d’engranger la récolte pour l’hiver.
Le hameau était plus petit que Machecoul, mais son ordonnancement était moins chaotique que le bourg. Une placette, grossièrement pavée, au centre de laquelle se dressait un grand Pin noir entouré de bancs de pierres sur lesquelles devisaient trois femmes, dont l’allure suggérait une vie de labeur physique et d’inconfort domestique.
Elles firent silence en même temps lorsqu’elles virent Simon allant à leur rencontre. Une fois de plus il vit la défiance dans leur regard, une fermeture qui refusait la communication avec l’étranger qu’il était, et une peur instinctive que l’on pourrait rapprocher de celle des animaux sauvages quand ils sont confrontés à la présence de l’homme. Simon savait désormais ce que provoquait sa présence, il n’en subit pas les désagréments avec la même intensité que la première fois à Machecoule. Il prit donc les devants, endossant l’habit du voyageur affable, repoussant toute idée de danger par l’expression ouverte et souriante de son visage.
— Bonjour Mesdames, je demeure à Machecoul et je viens en visite chez vous pour comprendre votre façon de mettre en valeur vos champs. Pourriez-vous m’éclairer ?
Un long silence se fit, l’incompréhension, l’étonnement face à cette demande si saugrenue et encore et toujours la peur de l’inconnu en faisaient trois statues qui auraient regardé dans les yeux la Gorgone mythologique. Voyant que la communication serait difficile, il décida de sortir son « atout ».
— J’ai rencontré Jules sur le chemin, il m’a dit de vous dire que je l’avais vu…
L’évocation sembla faire son effet, elles relâchèrent la crispation de leur visage, s’interrogeant l’une l’autre sans mot dire, puis, celle qui paraissait la plus âgée dit avec un accent occitan toujours aussi accentué :
— Pour ça, faut voir avec les hommes.
— Mais vous Mesdames, vous ne travaillez jamais aux champs ?
La réaction fut sans ambages, toutes trois réagirent à l’unisson, hochant la tête avec une véhémente affirmation, et ce fut la plus jeune qui prit la parole.
— Pour ça oui qu’on y travaille, même plus que nos hommes, ces fainéants qui préfèrent poser des pièges et rester assis pendant des heures à surveiller les troupeaux !
— Donc vous êtes toutes qualifiées pour répondre à mes questions ! Non ?
La sacro-sainte convenance de déléguer aux hommes la fonction de parler au nom de la communauté, était remise en question par la remarque de Simon. Cette intervention donna à ces trois femmes l’illusion libératrice de parler en leur propre nom ! Simon vit qu’il avait secoué un édifice culturel et moral, qu’il avait semé une petite graine de « révolution » dans leurs esprits. Et cela joua en sa faveur. La plus jeune qui semblait plus affirmée que les deux autres lui confirma ce que Simon avait déjà déduit, c’est-à-dire le principe d’une putréfaction volontaire sur un espace délimité. Puis elle le regarda comme si elle attendait une approbation qualitative de cet homme assurément issu d’un milieu éduqué et socialement incomparable avec leur biblique condition.
— Je vous remercie fort bien mademoiselle…
— Madame !
— Pardon Madame, n’y voyez pas d’offense, merci pour vos précieuses informations, je dois convenir qu’il n’est pas toujours facile d’assurer sa subsistance sur ce causse toute l’année. Vous avez toutes trois ma considération.
La flatterie avait fait son effet, elles se détendirent d’autant plus, et la plus âgée l’observa avec une concentration soutenue, qui sortait même de la bienséance, déstabilisant presque le jeune homme, et demanda :
— Vous êtes bien jeune pour être l’érudit que les gens de la ville nous envoient Monsieur. Puis elle regarda ses compagnes avec un air complotiste, chargé de non-dits… Les autres lui rendirent implicitement l’idée qu’elle avait soulevée.
Voyant qu’il était l’objet d’une éventuelle coterie, Simon précisa une question qui avait valeur de défi:
— On dirait que cela vous gêne Mesdames, pourtant je suis bien celui que je prétends être, c’est-à-dire un géologue diplômé.
Elles n’eurent pas le temps de répondre car un petit garçon, en haillons, le visage recouvert de crasse surgit au milieu du groupe, il prit la main de la plus jeune et regarda Simon sans aucun filtre, ignorant encore de la logique de classe, simplement animé par l’ingénuité de l’enfance. Simon lui sourit. L’enfant continuait à l’observer « consciencieusement » pourrait-on dire, et finit par dire, ses prunelles rivées dans celle du géologue :
— C’est toi qui viens remplacer Sébastien ?
Aussitôt la main de la plus jeune et qui devait-être sa mère, vint se plaquer sur la bouche de l’enfant pour l’empêcher de parler. De toute évidence l’allusion à ce Sébastien était malvenue. De plus Simon fut étonné que l’enfant s’adressa à lui en français et non en occitan. Il s’avait que la langue utilisée dans l’éducation des enfants était avant tout l’occitan, ils acquerraient des notions de français bien plus tard en fréquentant l’école publique devenue obligatoire. Il se demandait néanmoins si les enfants originaires des lieux étaient réellement scolarisés à Froyssac ou bien si le gouvernement avait tenu ses engagements et de ce fait délégué un instituteur sur cette île minérale. Cependant il voulait savoir qu’elle était la raison du malaise qu’il lisait sur le visage des trois femmes.
— Sébastien ? Qui est ce Sébastien ? Un scientifique comme moi ? Il instilla dans le ton de sa question une autorité qui ne faisait pas illusion, sachant que le rapport entre les sexes était dûment accentué dans la société paysanne, a fortiori sur ce causse où les traditions ancestrales n’avaient pas eu le temps, apparemment, d’être touchées par les bienfaits des valeurs laïques.
L’apparente autorité dont il fit preuve s’avéra payante et celle qui n’avait pas encore ouvert la bouche répondit : « Es lo mèstre sénhor. »
— Mèstre…ah oui le maître, l’instituteur ! Il y a donc une école sur ce plateau ! Très bonne chose ! Cela fait longtemps que vous attendez son remplaçant ?
La question jeta un froid glacial parmi ces femmes. Comme si quelque chose d’inavouable avait été évoquée. Et de nouveau le silence lourd et profond se substitua à la parole délivrée précédemment. Cela expliquait le français utilisé par l’enfant, bien qu’il paraissa encore jeune pour être scolarisé. Celui-ci, profitant du relâchement de sa mère, se dégagea de son emprise et répondit tout de go :
— Il est malade, il est descendu avec Etienne hier pour se faire soigner à la ville !
L’information était lâchée, la mère abdiqua et les deux autres aussi, l’expression de leur visage exprimait tant l’embarra qu’une peur sourde, profonde et intense. Mais face aux mots de l’enfant, Simon voyait bien qu’elles n’avaient pas d’autres choix que de justifier. Simon, quant à lui avait fait aussitôt le rapprochement avec le corps squelettique aperçu, ou plutôt déduit, qui gisait sous cette couverture infâme lors de la manœuvre sur la « déclave ».
— Oui, je pense l’avoir croisé avec Emile près de la petite chapelle, pas loin de la porte de la « Première Union ». C’était à dessein qu’il employait cette toponymie espérant délier leur langue tout en leur faisant savoir qu’il en connaissait, plus qu’il le laisser entendre, sur les coutumes du lieu.
La dernière à lui avoir répondu, se sentit obligée de rajouter des détails avec l’arrière pensé de clôturer au plus vite le débat. Cette volonté masquée n’échappa aucunement à Simon.
— oui, lo metge n’a pas pu le guérir, il a dit que seules les pratiques d’en bas pouvaient l’aider. Mais sa phrase suintait le fatalisme, elle savait, comme les autres, qu’il était condamné. Désireux d’en savoir plus, Simon induisit une constatation qui avait valeur de question. Cependant il regarda l’enfant et fit comprendre à sa mère par un mouvement des yeux, universellement compris, de l’écarter de la conversation. Le message fut aussitôt saisi.
— Vas jouer avec los conilhs tonino ! Ils ont besoin d’être nourris. Simon comprit qu’elle parlait de lapins.
Une fois l’enfant mis à l’écart, Simon se fit direct.
— J’ai cru comprendre qu’il était perdu, n’est-ce pas ?
Il savait, par une logique qu’il ne maîtrisait pas encore, qu’il avait choisi le bon terme : “perdu".
La tension monta d’un cran parmi les trois femmes, elles semblaient chercher des yeux leur mari ou bien une quelconque instance masculine trop habituée à déléguer la parole, surtout quand celle-ci relevait d’un secret qui conditionnait la communauté. Simon fit mine de chercher, avec théâtralité, à droite et à gauche cette autorité, qui seule aurait pu les sortir de ce mauvais pas, mais les hommes étaient avec leur troupeau. On entendait le son lourd et métallique d’un marteau de forgeron qui provenait de l’autre côté du hameau. Il les sonda du regard et s’imposa, avec une expression de contentement, non dénuée d’ironie, leurs faisant comprendre que sa question méritait plus, du fait de cet autorité abstraite entre toutes, comme il aimait le faire dans les salons où il avait été convié, à son corps non défendant, la certitude de recevoir la réponse prévue.
Pourtant le silence persistait et il se dit que seule sa curiosité impérieuse pouvait donner à sa volonté l’apparence d’une contrainte dont on ne se dérobe pas.
— Il enseignait depuis longtemps à La Rapière ? Et pourquoi ne s’est-il pas établi à Machecoule, le bourg est plus important.
— Il est resté une petite année, à Machecoule il y a pas assez d’enfants, c’était plus pratique pour lui de vivre ici. Répondit la plus âgée en baissant les yeux comme si un mensonge lui pesait.
Ce scrupule qui accentuait une culpabilité évidente, mettait son esprit en révolution. Balançant son corps nerveux d’un côté à l’autre, compulsivement, elle exprimait, sans le vouloir, le fait que sa réponse était un mensonge par omission. Exaspéré par cette attitude fuyante et surtout excité par sa curiosité, parfois excessive, Simon savait pertinemment que le même mystère, le même secret reliait ces femmes. Il les dévisagea, l’une après l’autre avec l’autorité d’un homme de lois face à trois suspects tentant de masquer la vérité de leur forfait, il monta d’un ton et, de toute évidence, offusqué, il lâcha :
— Ecoutez Mesdames, je n’ai pas l’habitude d’être pris pour un benêt, je suis ici pour la moitié d’une année et je pense être en droit de connaître, pour ma stabilité mais avant tout pour ma sécurité, ce que vous me cachez depuis que je vous ai abordées !
L’argument de la sécurité les fit sursauter. Elles échangèrent silencieusement quelques secondes, puis la plus jeune, se sentant peut-être plus concernée lui confia :
— Lo mestre, après que son mal a empiré il a fait comme un écrit. Il était pas idiot le bougre, il savait qu’il pourrait pas guérir sur le causse, il s’est rapproché de sa famille à lui, j’ai de la peine pour lui, c’était un bon homme !
— Comment le savez-vous, je veux parler de cet écrit ?
— Il l’a dit au metge, une fois qu’il délirait par la fièvre, mais je sais pas s’il l’a donnée à Etienne…ou au metge…
Simon saisit tout de suite ou bien interpréta une finesse chez la femme qui, en définitive se déresponsabilisait ainsi que les deux autres, en lui suggérant, selon lui, de prendre toutes les dispositions possibles face à ce semblant de confession. Pourtant la chose était loin d’être établie, beaucoup de paramètres méritaient un éclaircissement, la connivence volontaire qu’il avait construite avec cette femme n’avait de valeur que parce qu’il voulait bien lui convenir. Il décida d’approfondir, tiraillé par le batelage incessant de ce questionnement qui semblait ne plus lui appartenir. Cette option lui convenait en définitive et il choisit de la considérer comme acquise. Il s’accrocha à cet aspect concret, aspect seul capable d’avaliser ses extrapolations pour focaliser, et favoriser, sa pensée en une et une seule information : l’écrit devenait la source informative qui pourrait répondre à la brume de ses questions. Il se hasarda :
— Ce courrier a été confirmé par la gendarmerie ?
La peur déjà présente ne fit que croitre, il se rendit compte qu’il ne pouvait plus avoir qu’une infime révélation avant de devenir suspect.
Une négation, à peine esquissée, surtout due à l’autorité de son statut, put émerger du visage des trois femmes. En tout cas il avait pu les réunir dans un même secret.
A ce moment, Tonino revint vers le groupe accompagné d’une petite fille un peu plus âgée que lui mais toute aussi sale et dépenaillée. Simon regarda les femmes qui venaient de se dédouaner par une sorte de connivence floue et ambigüe comme une sorte de lâcher-prise, une responsabilité qui leur pesait. En d’autres termes, rien ne l’empêchait de récolter, lui-même, les informations qu’il envisageait, telles une tempête mentale qu’il s’efforçait de dominer ; quitte à enfreindre une morale ou un sens commun qui existait même, et malgré tout, sur ce causse.
Puis il se tourna vers Tonino, cette fois sûr de parvenir à ses fins et l’interpella :
— Tonino, mon garçon, tu veux bien me montrer ton école ?
Simon avait choisi de transgresser, de prendre connaissance d’un courrier hypothétique qui ne lui était pas adressé. Mais depuis son arrivée sur le plateau, trop d’insinuations, de demi-vérités, de sentiments troublants patentaient son acte, ou plutôt son “désir” irrépressible de savoir. Mais savoir quoi ? Pourquoi se mettre en porte-à-faux avec l’éducation de gens de biens ce qui ne cautionnait absolument pas moralement et par reflexe sa curiosité indiscrète et toute puissante ?!
Comme débarrassées d’un poids, sans pour autant pouvoir pleinement goûter à cette libération, car la présence toujours vivace d’une pesanteur sur leur conscience continuait son travail insidieux, elles voyaient Simon, les deux mains prises par celles des enfants, s’engager dans le lacis étroit et austère des ruelles du petit village.
— Com t’aperas ? Lui demanda la petite fille.
— Simon, et toi jeune enfant ?
— Moi c’est Anaïs, lui répondit-elle d’une voix claire et avec des yeux azurs rendus encore plus expressifs par son teint noirci par la saleté. C’est toi qui va nous faire la classe ?
Pris, un instant, au dépourvu, Simon se dit qu’il était inconséquent de mentir à cette toute jeune âme. Tonino, interpelé par la question d’Anaïs, le regardait avec le secret espoir que ce serait le cas. Le jeune homme lui plaisait, son jugement dépourvu des calculs qui entravaient celui des adultes, l’ému. Simon pris un air désolé, accentuant sa moue pour éviter de rentrer trop loin dans les détails, sincèrement malheureux de ne pouvoir apporter l’éducation à ces deux enfants qui avaient acquis, en l’espace d’une année, le cadre nécessaire à l’élaboration du citoyen, porté par l’école de la République, et qui véhiculait, semblait-il, une sécurisante ouverture d’esprit. Le rôle symbolique de l’instituteur qui incarnait en cette fin de siècle la référence morale, la discipline égale pour tous, et surtout le savoir qui pourrait les libérer de leur triste condition, avait créé, dans leur personnalité en devenir, le besoin encore inconscient, de sa présence au sein de cette micro société.
— Malheureusement, les enfants, je ne suis pas le maître qui va remplacer Monsieur Sébastien…
— Reboul, c’est monsieur Reboul qu’on l’appelait ! Lui lança le petit garçon, visiblement touché et profondément attristé par la réponse de Simon. Mais alors pourquoi tu veux qu’on te montre l’école ?
Une fois de plus, la logique naïve et implacable de l’enfance fragilisait les intentions de l’adulte.
— Parce que je suis curieux, et comme vous le savez, Sébastien, Monsieur Reboul plutôt, est descendu à la ville pour se faire soigner.
Il assumait cette fois-ci la mystification en omettant volontairement la fatale conclusion qui déterminerait l’avenir de cet homme. :
— Il faut que je m’occupe de ses obligations, de ses importantes responsabilités.
Le mensonge était avéré et n’appelait plus d’hypocrites justifications, Simon espérait seulement que ce tour ne serait pas perçu par l’instinct dénué de tout artifice des enfants. Il se rassura en voyant que leur logique n’avait pas été malmenée, par l’expression accomplie, malgré tout, de leur yeux, il concevait néanmoins le remord du manipulateur consciencieux.
Ils se retrouvèrent rapidement de l’autre côté du village, leur cheminement ne les avait pas mené sous l’attention du forgeron, ce qui soulagea Simon, dispensé, cette fois-ci, de justifications qui nécessiteraient des arguments plus élaborés.
Une étendue plane, sans végétation, s’ouvrait sur une légère colline sur laquelle avait été édifiée ce qui avait tout lieu d’être une église. Anaïs et Tonino lui montrèrent du doigt la bâtisse, et le géologue comprit qu’elle faisait office d’école. Relativement petite, elle offrait néanmoins toutes les caractéristiques des édifices dédiés au culte : une nef qui ne débouchait pas sur une croisée mais le chœur se distinguait par la présence d’un clocher rudimentaire qui s’élevait de quelque mètres au deux tiers de celle-ci, coté Est. La toiture dont l’inclinaison était forte, pour palier au poids de la neige durant l’hiver, avait, comme l’auberge de Machecoule, nécessité l’emploi du bois. Le clocher rendu à sa plus simple expression, possédait quatre ouvertures correspondant aux quatre faces d’un carré. Simon n’y devina pas la présence de cloche et, plus intriguant encore, aucun symbole chrétien n’était visible, pas même une simple croix. La face sud, celle qui s’offrait au visiteur proposait deux ouvertures en arc brisé et un quadrillage de bois servait d’armature au verre incolore qui protégeait l’intérieur du froid et du vent toujours capricieux à cette altitude. C’était la première fois que Simon voyait du verre à Malaterre. L’édifice avait donc eu une certaine valeur dans le passé, il devait d’ailleurs être dédié à la fonction pour laquelle il avait été construit. Encore un mystère qu’il faudra éclaircir avec le père Marcelin. Mais les enfants étaient là, eux, il pouvait tabler sur leur sincérité désintéressée pour lui apporter une réponse convaincante. Il tourna sa question de telle sorte qu’elle englobait plusieurs interrogations, elle était, à la différence des enfants, nullement innocente et volontairement orientée.
— Qu’a dit le père Marcelin quand son église a été utilisée pour devenir une école ?
— Oh, vous savez Senhor Simon, notre curé n’a jamais dit la messe dans l’église, pour sûr je l’ai jamais vu ! Répondit Anaïs. Tonino confirmait sa réponse d’un hochement de tête.
— Mais vos parents ne trouvent pas ça bizarre ?
— Y’en a que ça dérange mais ils sont pas nombreux…ma mère et mon père y sont d’accord avec le curé. Intervint Tonino.
— Et toi Anaïs, ils en pensent quoi tes parents ?
— C’est surtout ma grand-mère que ça énerve, mes parents eux, y fréquentent pas le curé…
Cette réponse laissa Simon totalement confondu, la région, plus particulièrement le département, était connu pour son cléricalisme assumé, souvent en désaccord avec les préceptes de la République. Ne l’appelait-on pas d’ailleurs « la petite Vendée » !
— Ils ne croient pas en Dieux tes parents, jeune fille ?
— Si ils croient ! Mais c’est lo metge qui les instruits…
Ainsi le clivage évoqué par Auguste la nuit précédente se confirmait par la bouche de ces enfants. Simon aurait voulu approfondir mais il fallait éviter d’éveiller un quelconque trouble dans l’esprit des enfants et a fortiori dans celui des parents qui entendront le récit inhabituel de leurs enfants au repas du soir. Tonino accéléra le pas, suivi aussitôt par Anaïs, ils se dirigeaient, par une habitude acquise durant ces mois d’éducation salvateurs, vers l’entrée du bâtiment. Ils se retrouvèrent devant la haute porte, en arc brisée, elle aussi, rendue massive par l’apparente solidité du bois de chêne qui la constituait. Une porte bien imposante, voire impressionnante et qui devait, assurément, intimider les élèves de Monsieur Reboul. Sans attendre Simon, les enfants ployant sous l’effort pour entrouvrir celle-ci disparurent à l’intérieur.
Le jeune homme se tenait sur un misérable parvis, grossièrement délimité par la juxtaposition de pierres plates inharmonieusement jointes entre elles. Il leva les yeux pour englober la façade comme le ferait tout chrétien avant de pénétrer dans la maison du seigneur, bien que la culpabilisante morale entretenue par la religion lui ait fait délaisser, très tôt, la soi-disant vérité portée par le catéchisme, gorgée de miracles propres à émerveiller les naïfs, les superstitieux et les gens sans éducation. Pourtant il avait marqué le pas, comme conduit par une culture judéo-chrétienne qu’il ne pouvait pas réfuter car encore intrinsèquement présente dans les rouages sociaux, dans l’imaginaire symbolique et inconscient de ce qui faisait la civilisation. Du moins telle que la voyait la plupart de ses congénères. Il fut étonné de voir gravée, de manière hâtive, bâclée et sans Art mais néanmoins suffisamment lisible une phrase, incrustée au fronton et en latin : Christiane, quid fecisti baptismo tuo ! La phrase ne posa pas de problème de traduction à Simon, mais il ressentit comme un déséquilibre à l’intérieur de lui, comme si une faute remettait en question tout ce qu’il avait accompli jusque-là, une douleur qui le ramenait avec force à cette culpabilité justement ! « Chrétien, qu’as-tu fait de ton Baptême ! » Elle était, en plus déclamatoire, nullement interrogative, elle partait d’un constat qui ébranlait l’édifice de raison qu’il s’était patiemment construit, et elle résonnait d’autant plus qu’il se croyait affranchi de cette dépendance emprisonnante !
L’anxiété qu’il éprouva un instant, fut vite contrecarrée par ses génuflexions mentales, construites, elles aussi, pour justifier l’athéisme dont il se prévalait. Cependant c’est comme un fraudeur pris sur le fait qu’il pénétra dans l’église devenue école. Il avait éprouvé du remord, de la déconsidération vis-à-vis de lui-même sans même avoir intellectualisé quoique ce soit. Il en ressentait une honte, une honte à double tranchant. Justement parce qu’il ne maitrisait absolument rien.
Sa vision s’acclimata rapidement à la relative obscurité qui régnait à l’intérieur, les fenêtres latérales y diffusaient une lumière suffisante pour cette heure de la journée. Les enfants divaguaient de droite à gauche entre les deux longues planches de bois polies, dont les tréteaux qui les supportaient s’adaptaient à leur petit gabarit. Quelques tabourets à trois pieds parsemaient les deux rangées. Dans le fond, un tableau noir masquait au trois-quarts un christ en croix dont seules les mains martyrisées et le visage chargé d’une souffrance qui se définissait comme universelle le dépassait. Il semblait affirmer, au-dessus de cet outil incontournable à la connaissance, la mise en garde biblique du péché originel !
Devant ce paravent noir, une simple table, dédiée au maître, deux encriers, un porte-plume contenant plusieurs stylets et quelques ouvrages de pédagogie généraliste, un cahier ouvert qui attira l’attention de Simon. Il longea rapidement ce qui faisait fonction de collatéral, présent dans toute église, pour se diriger vers le bureau et nourrir sa curiosité. Le cahier, ouvert en son milieu, offrait à l’indiscret visiteur une page et demi, noircie d’une élégante écriture, celle esthétiquement normée, avec ses pleins et ses déliés, propre à tous les enseignants du primaire, qui concernait le programme d’un cours sur l’empire colonial français. Autour de ce plan de travail il y avait deux chevalets qui supportaient de minces panneaux de bois sur lesquels étaient punaisées des cartes de géographie et un tableau de grammaire concernant les groupes de verbes. Rien que de normal, rien en tous cas qui intéressait le jeune homme. Il se résolut à se rendre vers l’autel qui, en tout état de cause, devait se trouver derrière le tableau noir. Le Christ « pardonneur » et moribond se dévoila de toute sa hauteur, de toute sa grandeur éloquente avec son regard qui semblait se poser sur celui qui le contemple où qu’il se trouve. C’était pour Simon, ce qu’il avait toujours ressenti depuis ses premiers souvenirs religieux, quand il allait avec sa mère à l’église Sainte Anne à Montpellier, qui demandait humblement une faveur au bon Dieu pour qu’il intercède dans la réussite d’un projet ou qu’il donne satisfaction à un désir, une requête plutôt, qui la poussait à adopter une attitude de totale humilité contrite pour monnayer sa demande. Il avait très tôt compris la théâtralité hypocrite, le commerce non érigé en une valeur véritable, la discrétion contenue dont elle faisait preuve face à cette représentation de stuc. Pourtant, lorsqu’avec ses yeux d’enfant il croisait le regard de cette vision de souffrance, où qu’il se trouve dans ce lieux sacré, un échange unilatéral se créait entre lui et cette évocation du repentir universel. Il donnait foi, avec sa raison bourgeonnante, à l’ubiquité que l’on attribue à la présence divine. A nouveau il vacillait, mais les cris et les rires des enfants apparemment insensibles à la sacralité du lieu, lui rendirent la tension nerveuse nécessaire à la réappropriation de sa dignité pour un temps perdu. Du moins c’est ainsi qu’il concevait l’émoi déstabilisant dont il avait été, un temps, la victime désarmée. Il savait, à ce moment précis, que ce trop-plein de sensibilité deviendrait très vite une entrave s’il ne parvenait pas à la juguler, la discipliner. Il se dit, tout de même, que les alea de la vie lui permettraient d’y parvenir.
Enfin, il distinguât une porte basse sur le mur Nord du bâtiment, elle ouvrait sans aucun doute sur le logement de Sébastien Reboul…
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