Chapitre I L'Ascension

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L’Ascension

Le Causse de Malaterre est un vaste plateau rocailleux, battu par les vents du Nord et de l'Ouest. Le climat y est aussi rude que sa géographie : un été torride et un hiver glacial où la neige et le grésil succèdent à une pluie lourde et pénétrante. A part quelques étendues de bruyère et une herbe maigre et clairsemée, sa communauté humaine est tout aussi rare, concentrée dans deux hameaux misérables : Puyfonsac et La Rapière ainsi que dans un semblant de village du nom de Machecoul. L’économie, essentiellement d’élevage a connu des heures meilleures lors de la foire au ovins de Machecoul car, à part son sol aride, sa seule richesse provient du mouton et de quelques chèvres. Jadis la production de laine était florissante, mais cette dernière, devenue quasi industrielle a plongé dans la léthargie une activité qui rapportait quelque argent aux tisserands ainsi qu’aux éleveurs. Ces derniers tentent aujourd’hui de subsister désespérément malgré la rigueur du climat et la pauvreté de son sol.

L’été est aussi intransigeant par sa chaleur brulante que l’hiver pétrifie les âmes par sa gelure et sa rudesse. Les habitants du Causse ont la réputation d’être à l’image de leur environnement, sans ambigüité, parcimonieux tant en parole qu’en acte et entiers dans leurs choix.

Pour le visiteur cet abord peut rebuter mais, comme dans toutes les contrées qui réclament leur dû par une pénitence, cette réticence à l’autre s’estompe une fois passé l’examen des premiers jours. L’examen lui, par contre, demande beaucoup plus d’abnégation. Il faut proscrire toute superficialité et oublier les subtilités qui régissent les rapports humains qui ont cours dans les bourgs, les villes et les grandes villes de la plaine. L’homme doit être franc et sans ambage.

Mais dans le fond, la nature humaine y est régie par les même forces qui nous animent tous, simplement plus brut, pour ne pas dire plus proche du sol.

Le Causse surplombe la vallée de l’Aussou, un affluent de l’Hérault, qui abrite la petite ville de Froyssac. Une ville petite par sa taille et ses cinq mille habitants, mais importante par ces fonctions, car Préfecture du département. Elle fédère de par sa position toutes les voies, chemins et autres sentiers du département.

C’est une étape obligée pour le traverser du Nord au Sud comme d’Est en Ouest.

Un mince sentier contourne la ville et monte régulièrement en une pente assez raide, entrecoupée de lacis parfois extrêmes, jusqu’à Malaterre. Le trajet est périlleux car il domine d’un côté le précipice qui donne sur Froyssac et laisse peu de latitude de l’autre pour la manœuvre.

Les charretiers qui s’y aventurent sont tous des gens confirmés dans leur métier et un bon charretier ne met pas moins de six heures pour se rendre sur le plateau. Cette difficulté d’accès rend plus évident encore l’isolement du lieu.

C’est justement ce lacet sinueux qu’emprunta en cette belle matinée de mai Simon Destac assis aux côtés d’un charretier de Froyssac pour se rendre sur le Causse de Malaterre.

Avec lui, entreposées sur le chariot, une grande malle et une besace en cuir. L’homme s’y rendait en tant que géologue, tout juste diplômé de l’université de Montpellier, pour effectuer une étude d’environ six mois, mandatée par l’institut de géologie de Paris.

Il avait vingt-cinq ans et c’était sa première mission et pas des plus simple si l’on songeait au mode de vie rigoureux qui l’attendait.

Les rayons vifs de ce soleil de printemps atteignaient la paroi jusqu’alors plongée dans l’ombre du versant opposé et rendaient plus net encore la mince bordure pierreuse qui séparait le sentier cahoteux et imprécis du vide.

Cependant le jeune géologue préférait se laisser submerger par le plaisir radieux que lui procurait cette soudaine luminosité plutôt que de céder à l’angoisse d’un écart malencontreux que, le solide animal qui tirait le chariot d’un pas de métronome depuis plusieurs heures, aurait pu faire.

De toute façon il avait toute confiance dans le cocher, son apparent détachement, sa décontraction, l’intonation de sa voix lorsqu’il encourageait sa bête faisaient qu’il remettait sa vie entre ses mains avec réalisme et objectivité.

C’était un homme tout en largeur, au cou imposant dont les bras étaient aussi larges sinon plus que les deux jambes réunies du jeune homme. Une force comme on les voit parfois dans ces contrées où seuls les plus forts survivent et qui sont dépositaires d’une sagesse ancestrale. Peu disert cependant, ils n’avaient échangé que le minimum de paroles, mais cette économie, loin de déstabiliser Simon, le confortait dans la confiance qu’il ressentait à son égard.

Après une manœuvre périlleuse qui obligea le véhicule à aborder un virage particulièrement aigüe, où l’homme fit preuve de toute sa maîtrise, Simon se laissa aller à une amorce de conversation. D’ailleurs sa tête bourdonnait de questions sur ce qui l’attendait loin, là-haut.

Il prit sur lui, pour masquer son excitation et, d’un ton qui se voulait inexpressif, mais qui ne faisait pas illusion chez cet homme qui aurait pu être son père, il essaya de formuler une question qui aurait pu réunir les nombreuses autres qu’il se posait déjà : « C’est comment là-bas ? Enfin je veux dire à Malaterre… »

Déçu par son imprécision mais surtout sincèrement impressionné par l’autorité naturelle du charretier, il eut tout d’abord pour réponse un regard bienveillant qui mêlait néanmoins un soupçon d’inquiétude toute paternelle. Cet aspect infime de cette expression remettait en question l’enthousiasme qui avait précédé son départ. Il mit cela sur le compte de sa sensiblerie, expédient aisé pour se rassurer.

— Là-haut ! Jeune monsieur c’est pas comme par chez nous dans la vallée, y’a pas le confort qu’attendent les gens de la ville, enfin j’veux dire, des grandes villes, à part des cailloux y’a peu d’amusement…

— Vous savez je ne m’y rends pas pour me distraire, je m’y rends pour effectuer une étude.

Il regrettait déjà sa répartie, mais la nature débonnaire, pour ne pas dire sans vice de l’homme, se traduisit par un grand sourire et ce dernier enchaîna : « Oui ! Je sais que vous montez pour étudier les pierres, on le sait tous à Froyssac, mais un jeune homme comme vous, bien mis et éduqué, vous risquez de vous ennuyer le soir quand vous n’aurez plus qu’une chandelle pour vous éclairer. Bon, on avance vers l’été, les jours vont rallonger, c’est déjà ça, mais les gens de votre âge sont pas nombreux sur le plateau ! »

— Je vais bien loger chez Monsieur Reboul, l’aubergiste, sa clientèle me fera office de société… n’est-ce pas ?

— Ah oui Auguste ! C’est un bonhomme, mais voyez-vous….il est comme tous les gens du causse… c’est-à-dire… heu…

— Oui ?

— Ben… que c’est un taiseux, un peu comme tout le monde par là-haut… y s’attachent pas facilement, vous voyez ce que je veux dire ?

—  Vous voulez dire qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des étrangers comme moi arriver tous les  jours ?

— A part la maréchaussée qui vient tous les trois mois et l’Etienne qui leur apporte ce qui leurs fait défaut ainsi que l’courrier toutes les trois semaines, y z’ont pas coutume de voir des gens bien apprêtés comme vous…y sont…comment dire…heu…

— Sauvages ? C’est ce que vous voulez dire ?

— Oui ! C’est ça…enfin en quelque sorte…

— En quelque sorte ?

Simon s’attendait déjà à ne pas être accueilli à bras ouverts, les gens de ces régions reculées n’avaient pas la réputation d’être particulièrement hospitaliers, habitués à vivre en autarcie depuis des générations, mais il percevait, dans le vacillement du charretier, que son intégration, pour ne pas dire son acceptation, serait particulièrement difficile.

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