Une ombre ou un reflet

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Son point de vue embrassait toute la pente, celle qui terminait le bois jusqu’aux rochers, celle indiquant la source.

La lumière sans concession de ce soleil au plus haut de sa courbe rendait les contours particulièrement nets, il n’y avait plus d’ombres portées, aucun recoin qui puisse faire illusion à celui qui se cache, et à celui qui cherche : seul le mouvement pouvait le révéler.

Il se figea, lui aussi, par mimétisme, avec le seul instinct qui puisse justifier son désir d'être celui qui domine la situatuion.

Mais rien de notable, juste l’impression diffuse d’avoir été dupé… Quel étrange sentiment !

Il décida de s’approcher de cette source, pleine d’interrogations, avec l’espoir instinctif d’y trouver le responsable de ce manque de réponse tangible.

Un bruissement, un murmure ensuite, un souffle se firent entendre.

Pas de doute, cette respiration était bien humaine.

Au travers des buissons abreuvés par cette eau miraculeuse, et cette garrigue terriblement odorante, il perçut quelque chose, un mouvement inutile et terriblement là… Il savait, désormais, que quelqu’un se dérobait à sa vue.

Il en était sûr, une personne, quoi d’autre ?

Ses sens n’étaient pas là pour l’accabler, il le savait, et à quoi bon…

Il se tapit, recommanda à son âme un je-ne-sais-quoi de superstition, particulièrement sophistiqué, qu’il avait construite, abstraitement depuis toujours et qui, comme la croix de sa mère, lui apportait un réconfort sans mesure, il décida.

Il ôta sa casquette, visionna une direction, celle qui l’avait rendu, à la fois si tendu et à la fois si maître de ses actes, et se glissa dans la peau du pisteur ; une peau, difficile à tenir s’il n’y avait son incorrigible curiosité.

Il descendit, avec le "pas de chasseur" que son père lui avait appris, se confondant avec la nature, comme s’il avait été invité à se prendre pour l’honnête et naturel prédateur que la traque lui imposait elle-même. Un sentiment de supériorité qu’il voulait bannir, par tous les moyens possibles de sa psyché, mais qui laissait, comme une sédimentation, tout ce dont il ne voulait pas être la marionnette.

Il entendit un mouvement brusque, un arrêt, une césure, incompatible avec tout mouvement naturel.

Il précisa son regard vers le bas, là, derrière les rochers, où se trouvait la source.

Il se raidit à son tour.

Il était à l'affut, sans d’ailleurs savoir ce qu’il recherchait, tout entier à sa peur et à sa volonté, peut-être immorale, de répondre à une question qu’il avait depuis bien longtemps, digérée, induite, assimilée, organiquement acceptée…Vécue par procuration, en d’autres termes…

Il poursuivit.

Très vite, dans l’entrelacs végétal, le son se confondit avec le mouvement, il cédât à cette rigueur bloquante, manquant de discipline, tout entier canalisé vers son objectif.

Un court moment, il espéra voir un regard, une "réelle affection", au-delà des genets qui finissaient de mourir, puis s’effondra à cause d’une racine, placée sur son chemin, ou bien tout simplement par hasard, pour dévaler la pente vers la cuve que représentait la source.

Au bord de ce trou, malmené par sa chute, il entendit un pas, cette fois affirmé.

Un pas loin d’être pesant, un pas maîtrisé, qui s’acclimatait avec la musique discrète de l’eau qui n’en finissait pas de se vider dans cette concrétion inhabituelle.

Instinctivement il leva les yeux vers le ciel, une orientation naturelle, et vit une ombre…

Le soleil contredisait sa claire vision, mais l’ombre, quant à elle, submergeait sa vue.

Elle avait une voix, en plus !

Des imprécations universelles...Aux sonorités suffisamment féminines pour diminuer sa panique.

Mais avant de définir le seul aspect qui le faisait concevoir cette incontournable réalité, il reçut, dans les côtes, un vif coup de pied, qui le fit dévaler plus en contre-bas, là où le soleil reprenait possession de la garrigue.

La forme, inquiétante au départ, s’approcha de lui, en un mouvement malhabile et pourtant issue d’une technique sans âge.

— "Perque m'espantatz ?" (Pourquoi tu me fais peur ?)

— "Que vengan pas a l'ora !" (Ce n'est pas l'heure).

— "Soi vengut per lo noirir."(Je suis venue pour le nourrir).

Une jeune femme, plus précisément, une jeune fille, bien que… Les cheveux en touffes, d’une couleur indéfinissable, allant du roux de rouille au brun rendu imprécis par la saleté, le regard perdu, les mains anormalement filiformes par la longueur de ses ongles noirs, les chevilles aussi fragiles que des baguettes de jonc, donnaient l’impression, en dépit de cette totale fragilité, qu’elle provenait des tombeaux les plus sombres de l'imaginaire.

Son visage, indéfinissable et fragile, était marqué par une merveilleuse volonté qui provenait de ses yeux.

Ceux-ci, calés aux fond de profonds orbites, marques aucunement gracieuses, donnaient à sa face, triangulaire, une lumière qui ne pouvait se comparer avec le soleil ardent de cette après-midi.

Elle était belle sans l’être, sans forme, uniquement engoncée dans une ample tunique de peau qui aurait vécu tous les périls.

Elle se posait, devant Simon, répandu et sans noblesse, dans une fatale puissance qui mélangeait toutes les craintes et les désirs accumulés dans le sommeil des hommes.

Le jeune homme était à terre, il n'avait d'ailleurs pas l'intention de relever quoique ce soit.

Le moment était impérieux.

Rien d’attirant, au sens ou le désir serait invoqué, aucun détail qui pourrait s’apparenter à ce que l’on conçoit de la beauté. Non ! Tout en elle recelait une dimension plus essentielle !

— "Lo meu nom es Començament ! : ( Mon nom est commencement).

Son avant-dernière phrase, avant qu’elle ne se soit nommée, résonnait toujours dans la tête du petit homme : « Je suis venue pour le nourrir ».

Qui ? Pourquoi ?

Et par quel pouvoir s'appelait-t'elle « commencement ? ».


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