Chapitre 14 : La reconquête (1/2)

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FLIBERTH


Plongés dans la violence, une fois encore. Nécessaire peut-être, mais loin d’être agréable. Jamais ce ne le sera.

Fliberth moulina son épée avec une dextérité dépourvue de grâce. Il trancha le bras d’une inquisitrice, laquelle chuta à terre dans une giclée vermeille. Dans son assaut, dans son déplacement continu, le garde ne cessa point de courir. À peine accorda-t-il un coup d’œil à la terrassée. À peine fut-il ralenti par la sensation de piqûre à sa poitrine, son rythme alourdi, son souffle saccadé.

— Courage, capitaine ! lança Vendri. Nous avons l’avantage !

C’est même trop facile… Quelques minutes avaient suffi à mener une bataille si longtemps planifiée. Il leur avait été ardu d’apercevoir la base, obombrée par une nuée de sapins géants, mais les basses murailles fixées dans la forêt avaient trahi la position de l’ennemi. Même les lierres grimpant jusqu’aux courtines cachaient peu la grisaille des pierres sur lesquelles s’étaient dressés des remparts humains.

Leur solidité avait failli.

Gardes, inquisiteurs modérés et mages s’étaient rassemblés en groupements hétérogènes. Dans chaque direction s’alliaient le métal et le flux dans une succession d’attaques espacées de manière irrégulière. Quelques salves de flèches avaient esquissé des paraboles, mais c’était bien la magie qui avait brisé les protections. Par considérables projections, par rayons dévastateurs, les radicaux avaient goûté à la fureur de leurs adversaires naturels.

Fliberth, Vendri et tous leurs homologues suivaient cette béante ouverture. Non que leur avancée ne se heurtât à nulle résistance, mais elle se révéla moins organisée, quoique plus sauvage. Plus précipitée. Plus preste.

Ainsi témoignait l’inquisiteur qui se rua sur le capitaine. Surpris, il pivota de justesse, mais la pointe de l’épée transperça son épaule. Un genou à terre, main moite glissant sur sa paume, grinçant des dents, Fliberth garda la poigne. D’inspiration à regard attentif, il aperçut la hache siffler à vive allure. Il para au dernier moment, maintint la pression malgré les tremblements. Et quand il repoussa, Jawine surgit à la rescousse, transperçant l’assaillant d’un cylindre lumineux.

Sitôt à proximité de son mari qu’elle le releva d’une forte poigne. Nous restons à échelle humaine. Nous ne perdons pas l’essentiel. Tous deux s’échangèrent un sourire.

— Je deviens imprudent, se plaignit-il.

— Nous réussirons par l’entraide ! encouragea Jawine. Ne te dévalorise : ton soutien est indispensable !

Des frissons habitèrent Fliberth comme sa douleur s’estompa. Un avantage de plus par rapport à nos adversaires. Il tenait de nouveau sur ses jambes, épée brandie, paré à s’élancer de plus belle. Jawine s’était déjà affirmée sur le champ de bataille : de ses bras fusèrent deux spirales énergétiques qui impactèrent les derniers pans de muraille.

En-deçà de la base en perdition menait Kalhimon. Étincelles violettes et colonnes de flammes emportaient des radicaux qui échouaient à dévier les sorts. Il balayait chacun de ses opposants, libérait la voie pour ses alliés, et ses opposants calenchaient par dizaines. Une telle consommation de flux altérait la sérénité de l’environnement. Pourtant le chef minimisa les dégâts, renouvelait sans cesse, et même ses sorts de zone n’engendrait aucun dommage collatéral, hormis les conifères alentour qui perdaient en nuance. Dans son corps s’alimentait ce flux déployé de pleine puissance et vitesse, dans son esprit habitait la manieuse à la gestuelle matérialisant l’imagination. Derrière Emiteffe, des combattants accrochés à son rythme. Derrière Emiteffe, une incoercible progression, ralliés sous les cris et la même bannière.

Un peu plus loin, Dirnilla se pâma, immobile en vue de contempler.

— Trop beau pour être vrai, murmura-t-elle. Ils auraient dû nous aider plus tôt !

— Ils étaient bien occupés, dit Fliberth à proximité. Eux aussi ont beaucoup perdu.

— J’imagine… C’est là qu’on s’aperçoit combien la magie fait des ravages ! Dans le bon sens du terme, j’entends !

Effectuant un court retrait, Vendri agrippa Dirnilla par l’avant-bras, si bien qu’elle faillit en lâcher son arme. Les batailles ne se prêtent pas à des brusqueries pareilles !

— On ne se repose pas sur la force d’autrui, compris ? assena-t-elle. Surtout quand les concernés en ont pris déjà plein la figure…

— Oui, oui ! ronchonna la garde. Tu peux me lâcher, maintenant ?

— Ne vous disputez pas ici ! ordonna Fliberth.

— Les comptes seront réglés plus tard, décréta Vendri. Désolée, capitaine, je veux bien être de bonne volonté, mais Dirnilla se bat à peine. Elle déclarera qu’elle couvre nos arrières, sauf qu’en vérité, elle reste bien en sécurité !

— Et c’est tant mieux, répliqua Jawine. Ainsi nous nous en sortirons tous indemnes !

La mage plia ses doigts avant de les enfoncer sur la terre. Des tremblements la fissurèrent, déstabilisèrent la ligne d’adversaires devant eux. D’un impact éphémère, d’une portée réduite, l’attaque se dissipa dès que leurs alliés inquisiteurs menèrent la charge aux côtés des gardes.

— Formez un rang ! hurla Zech. Ne les laissez pas vous dominer !

Les paroles se répercutèrent au sein de la mêlée. Exhortèrent les assaillants. Synchronisèrent la progression. Gardes et mages se dissocièrent en deux traits distincts : les uns se ruèrent au corps à corps, les autres firent office de soutien. Chaque cri contribuait au tintamarre. Chaque sort se muait en une pluie ravageuse d’extrême précision.

Fliberth et Vendri prirent un léger retard mais frappèrent avec intensité. Alignés avec leurs alliés, par-devers l’ennemi, ils s’affirmèrent dans un concert de tintements. Là où régnait l’acier s’enchaînaient parades. Là où s’entrechoquaient les armes s’alternaient pivots et pas de biais en sus des roulades.

Immergé dans la mêlée, retranché dans ses réflexes, Fliberth dirigea sa vue du général au détail. Vendri tournoyait sans cesse sa lame, plongeait sa pointe aux parcelles fatales. Zech, de ripostes en estocades, s’échinait à mater toute résistance. Janya transperçait sans relâche : le métal gorgé de sang sifflait grâce aux impulsions qu’elle donnait à son épée. Elle représente bien les siens. À nous de prendre exemple sur elle.

Dirnilla, plus observatrice que combattante, tâtonnait à l’arrière en moulinant dans le vide. Fliberth devait obliquer, se mouvoir à dextre et sénestre, afin de mieux bloquer les coups. Ce faisant s’infiltrait-il dans les gardes ennemis, transperçait, démembrait, décapitait.

Quand plusieurs des leurs chutèrent à leur désarroi, quand leurs opposants déviaient le flux magique, ils n’eurent d’autre choix que de reculer. Sur les flancs surgirent alors les mages qui les prirent par surprise. Flammes et foudre finirent de réduire l’adversité à néant, sinon sous de rares survivants trop meurtris pour se relever.

Fliberth s’accorda au signal d’arrêt des mages et ordonna à ses subordonnés de les imiter. De la fumée s’exhalait de part et d’autre du champ de bataille sur lequel s’étendaient les fraîches dépouilles. Parfois elles étaient ensevelies sous des mottes de terre, des amas de roche et des masses de végétation. Vient le temps de compter les morts. De soigner nos blessés. C’est la guerre et ils sont nos ennemis, mais tout de même… Nous avons été violents.

Les assaillants se rassemblèrent autour des décombres de la base. Une forte odeur emplissait l’air tandis que le tumulte s’était atténué. C’était un moment de paix après un torrent de frénésie. Quelques minutes lors desquelles les armes étaient rengainées, la magie se conciliait de nouveau avec la nature, et les sanglots hantaient les vainqueurs.

Au milieu du groupe, Jawine, Zech et Janya sollicitèrent Kalhimon.

— Nous avons subi quelques pertes, déplora Zech. J’ai demandé aux mages guérisseurs de traiter les blessés graves en priorité.

— Nous les enterrerons avec tous les honneurs qui leur sont dus, déclara Janya.

— Bonne idée, soutint Kalhimon. Pourvu que nous ne perdions pas davantage de braves compagnons. Au moins, notre triomphe est nette.

— Mes amis sont prêts à agir, affirma Jawine. De mon côté, ma magie est plutôt orientée vers le combat… Ma question est donc de savoir si d’autres obstacles nous barreront la route.

L’esprit guida le corps par-delà le désordre qu’avait causée la bataille. Il repéra aisément une porte cachée derrière une paire de marches pierreuses. Vers le chemin dévoilé s’agglomérèrent les combattants, de façon plus compacte encore.

— Les salauds se sont bien planqués ! bougonna Vendri. Combien de ces lâches nous attendent encore ?

— Peut-être beaucoup, envisagea Kalhimon. Peut-être aucun. Nous ne le saurons qu’en nous y engouffrant.

— Je prendrai le risque, décida Jawine. Pour secourir nos camarades mages. En espérant qu’ils soient bien vivants…

— Je vous, accompagne, bien sûr, dit Fliberth. La réussite de notre mission va au-delà d’une poignée d’inquisiteurs.

— Je crois que vous êtes déjà assez nombreux, commenta Dirnilla. Bon courage là-dessous !

Grognant, foudroyant sa consœur des yeux, Vendri la baffa à l’arrière du crâne.

— Très bien, ironisa-t-elle. Il est clair qu’avec tes nombreux talents en magie de guérison, tu seras très utile ici. Vu que tu n’as pas l’air de vouloir utiliser ton épée, ce serait un magnifique compromis.

— Pas de tension, s’il vous plaît ! implora Zech. Restons unis. Surtout face à ce qu’il nous attend.

— Chaque combattant est censé être utile, avança Janya, rengainant son épée après l’avoir essuyée. La pauvre petite ne mérite pas d’être molestée, mais doit comprendre.

Vendri voulut pousser Dirnilla mais se retint. Bien qu’elle maugréât une fois de plus, elle rejoignit le groupe principal d’où l’intruse s’isola. Seul Fliberth lui accorda un tant fût peu d’empathie avant de se focaliser sur leur objectif. Qui soutenir ? Vendri est ma meilleure amie, mais elle n’est pas tendre avec elle. De son côté, à force de se battre à moitié, trop effrayée, Dirnilla risque de nous mettre en danger un jour ou l’autre. Nous devrons avoir une discussion sérieuse, et vite. Lorsque nous aurons le temps…

Une vingtaine d’entre eux se dirigea vers l’inqualifiable.

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