Chapitre 52 : Apaisement
HORIS
Comment limiter les dégâts déjà bien répandus ?
Certaines pertes sont inconsolables.
Au sein du déluge se liguait la multitude. Des mages conglomérés en égide pour leurs homologues, dans un quartier funestement vidé de sa population. Des sorts déployés à outrance, canalisés à grands renforts de cris distordus. Teintaient d’agressives lames, toujours brandies en dépit des circonstances, défléchissant envers et contre tout.
Le croisement du flux et du métal ne s’estompait guère. Beaucoup avaient péri, ce qui exhortait les survivants à s’acharner d’autant plus. Des centaines de corps jonchaient le pavé humide, sans compter ceux piégés parmi les cendres et les pans calcinés. En apercevoir ne fût-ce qu’une poignée suffisait à nouer l’estomac de Horis. Immobile au milieu de la détérioration, ponctué de lentes respirations, couvert de poussière et de déchirures.
Qui s’obstine le plus ? Ils sont gardes d’une cité, pas une armée, ni une milice. À leur manière désespérée de batailler, ils n’avaient pas prévu de rencontrer cette résistance. Pourquoi ne se rendent-ils pas ?
Ses bras pendaient à hauteur de sa taille. Horis haletait, emplissait ses poumons de l’air vicié des environs. Comme si ses forces le quittaient, alors que des déflagrations et étincelles détonnaient encore par-devers. Comme si plus aucun flux ne circulait aux alentours, alors que ses homologues le manipulaient d’abondance.
Depuis la brèche, pourtant, le mage s’interrompait pour la première fois. Il avait brûlé plusieurs ennemis par déploiement des sphères incandescentes. Il en avait foudroyé par jets bleutés. Il en avait enseveli par projection des débris. Il en avait transpercé par rayons lumineux. Sans doute avait-il secouru une multitude de vies par l’anéantissement d’autres. Trottait cependant une perplexité prompte à le figer.
Tout avait défilé si brusquement. Les gardes s’acharnant jusqu’à l’agonie. Les inquisiteurs filant à dos de cheval. À chaque bataille priorisait la collectivité, où l’on peinait à reconnaître qui que ce fût. Sauf lorsque ledit individu s’était immiscé dans l’esprit des années durant. Des cadavres laissés derrière lui, et la loyauté au-devant, il s’était sauvé comme il savait si bien le faire.
Pas cette fois.
Horis se retourna. Avisa la sortie par laquelle tant avaient déjà afflué. Il ferma les paupières avant de les rouvrir, entama ainsi sa nouvelle marche.
— Où vas-tu ? demanda Saulen.
— Cette bataille ne peut être gagnée qu’à une condition, déclara Horis.
Les contestations de Saulen lui parurent inintelligibles. Ici il avait pris une multitude de vies, hormis celle qui importait le plus. Horis trotta vers la brèche, abandonna le champ de bataille, bien que la vue des dépouilles continuât de le révulser. Dès la lisière de la forêt se révélèrent des traces de sang qu’il n’avait plus qu’à suivre.
Les habitants de Thouktra s’étaient réfugiés plus loin. Sa cible, en revanche, détalait bien plus lentement. Là où s’enchevêtraient les repères subsistaient d’indubitables signes auxquels Horis se fiaient. Des lamentations répercutées en échos entre les chênes. Des injures assenées sans sens ni logique. Des bottes ripant sur le sol. Et cette silhouette qu’il aurait identifiée même dans la plus opaque des brumes.
Nerben pantelait et boîtait. Appliquer sa main sur ses plaies endiguait peu l’écoulement de fluide vital. Chaque pas s’avérait plus court que le précédent. Jusqu’au moment où son corps ne supporta plus la géhenne : il chuta à genoux, lèvres pincées, et se frappa la poitrine. Futile, comme de juste. L’ancien milicien s’adossa contre un tronc et tendit les jambes. Au vu de sa respiration saccadée et de ses gémissements, cette position ne le soulageait aucunement.
Découvrir Horis non plus.
Le mage se plaça en face de son adversaire pour mieux le toiser. Nerben s’efforça de soutenir son regard, désireux de répliquer par un pareil dédain, mais cela lui coûtait trop de vigueur.
Il est là, à ma merci. S’est-il échappé d’un autre affrontement ? Espérait-il s’en sortir ? Il est en piteux état et s’en moque.
— Toi, évidemment ! ironisa Nerben. Tu arrives au bon moment. Ou au pire, selon le point de vue…
— Vous devriez arrêter de faire le fier, suggéra Horis. Vous n’en deviendrez pas plus digne. Pas que vous l’ayez été un jour.
La réplique arracha un ricanement à Nerben, quoiqu’il crachât aussi du liquide vermeil.
— La bataille est derrière toi, murmura-t-il. Tu perds un temps précieux.
— J’ai déjà apporté ma contribution. Je suis venu ici pour m’assurer que la victoire est certaine.
— Tu admires donc mon agonie ? Je vais encore plus regretter de ne pas t’avoir tué, ce jour-là…
— Cela fait presque dix ans. Une décennie de traumatisme. Une décennie à m’entraîner, pour le jour où je pourrais réaliser ma vengeance. Qui que soient vos précédents adversaires, ils m’ont mâché le travail et je leur en remercie.
— Parce que tu n’as pas à me combattre toi-même. Pauvre lâche. Achève-moi, qu’on en finisse !
Tout juste Horis remuait d’un cil, la voix adverse ébranlant ses tympans. Il est vieux, fatigué, à l’agonie. Pourtant il déblatère, comme inépuisable, trop tenace. Réceptacle du flux environnant, le mage ne déployait encore rien du tout, occupé à dévisager son ennemi de toujours.
— Je veux juste savoir, dit-il. Comment un esprit aussi vil peut exister. Comment un être si violent peut fouler notre monde. J’ai de nombreux adversaires, mais même vos alliés vous ont rejetés.
— Ils n’assument pas ce qu’ils sont. Moi si. Toute ma vie, j’ai attendu que quelqu’un comme Bennenike prenne les rênes de l’empire. Avant, je devais toujours trouver des excuses pour assassiner les mages. Cette nouvelle loi était salvatrice, parfaite pour réaliser ma volonté… Mais ça ne suffisait toujours pas !
— Vous êtes au-delà de tout pardon. Rien ne justifiera jamais de pareilles horreurs. Il doit tout de même y avoir une raison. Des racines de cette haine démesurée, des origines du mal.
— Ta vision simpliste des choses est stupide. Horis… Tu es un destructeur. Comme chacun des tiens. Je croyais qu’en supprimant les mages, la magie disparaîtrait aussi… Mais elle persiste à cause des gens qui protègent votre sang impur.
— Elle subsiste car elle fait partie de chacun de nous. Y compris de vous.
— C’est une nature que nous devons rejeter. Je l’ai réalisé mieux que quiconque. Alors j’accomplis ce pourquoi je suis né.
— Vous massacrez des mages. Vous exterminez leurs alliés. Et maintenant, vous ne faites plus aucune distinction.
— Tout ce qui ne chasse pas ces engeances contribue à cette décadence. Peut-être que je suis seul, mais à mon échelle, j’ai purifié le plus possible pour former un monde nouveau. Combien de cités, combien de régions, combien de pays devront être détruits pour que les gens ouvrent les yeux ?
— Je regrette presque d’avoir posé ma question. Vous…
— Un jour, le soleil ne percera plus par-delà les nuages. Un jour, toute vie aura disparu de nos terres. Une désolation grisâtre s’étendra partout. Les ultimes survivants, assistant à la fin de toute chose, se souviendront de mon nom. L’homme qui s’est sacrifié pour bâtir un monde meilleur.
Paralysé, Horis peinait à diriger de tels propos. Il examinait Nerben avec distance à défaut de prendre du recul. Plus l’ancien milicien exposait ses pensées et plus son énergie interne déferlait. Si bien que du flux se déposa le long de ses paumes, tel un instinct le vivifiant.
C’est encore pire que ce que j’avais imaginé. Il souffre d’une maladie incurable. Et dans sa folie, il a décidé d’emporter un maximum d’innocents. Il a bien vécu, et arbore encore un sourire.
— Votre quête était vouée à l’échec, répliqua Horis. La preuve, je suis toujours vivant.
Nerben inspira et un éclair de douleur le fendit de nouveau. Agrippé sur les feuilles, tête basculant sur le côté, il regardait le jeune homme du plus profond de son mépris.
— Mon pire échec, admit-il. Je connaissais la réputation de la famille Saiden, mais j’ignorais que la persévérance en faisait partie… Tu auras fait bien des dégâts, Horis.
— Et je n’ai pas fini, affirma le mage.
— Je crains que tu ailles encore loin, sans quelqu’un comme moi pour t’arrêter…
— Vous avez manqué deux opportunités. Quand j’étais ligoté, vous aviez tout le loisir de me fendre le crâne. À la place, vous avez assassiné Yuma. Vous m’avez encore privé d’une proche. Vous avez amplifié une colère qui n’était pas près de s’atténuer.
— Mes erreurs, en effet. La douleur me lancine, et mon adversaire m’adresse des semonces. Ai-je déjà vécu quelque chose de plus humiliant ?
— Bientôt cela s’achèvera.
Nerben parvint finalement à fixer Horis.
— Tu as trop de haine en toi, lâcha-t-il. Tu devras l’orienter quelque part. Ha… J’aimerais bien affirmer que te savoir vivant est mon pire regret. En réalité, j’en ai un autre.
— Lequel ? fit Horis.
— Ta sœur, je me souviens… Je l’ai tuée trop vite. J’aurais dû la faire souffrir davantage.
Une tempête se déchaîna.
Dans les cris et les larmes, Horis transforma l’abstrait en concret, déchargea toute sa magie. Des rayons où s’amalgamaient feu, lumière, foudre et ténèbres. Un sort qui transperça nettement Nerben. Une occurrence suffit sans combler le porteur. Il répéta le geste. Absorba, matérialisa, déploya. Jusqu’à perforer son ennemi de part en part. Jusqu’à la pointe de la souffrance, désormais des signes du passé, comme il percevait juste ses propres hurlements.
Nerben Tioumen avait péri dès la première salve. De la fumée s’exhalait depuis son cadavre ensanglanté. Son regard restait ouvert en grand, son sourire était encore arboré. Mais il n’était plus.
Tout comme les alentours.
Un air souillé s’infiltra dans les poumons de Horis qui en expectora lourdement. Régnait la noirceur autour de lui, tant les troncs s’étaient obscurcis et leurs feuilles racrapotées. Une flore flétrie pour une nature morte. Là où anhélait le mage s’était réalisée la prédiction. Mains relâchées, il souffla à la vue de son œuvre, incarnée au-delà du simple cadavre de son ennemi.
Après tout ce temps… Je l’ai fait. J’ai tué Nerben Tioumen.
Est-ce que le monde s’en portera mieux ? Assurément.
Est-ce que je me sens mieux ? Je l’ignore. La vengeance, mais à quel prix ? Je dois encore apprendre à me contrôler. Trop de magie prive la nature de sa substance, de sa vie. Et donne des arguments à nos détracteurs… Quoiqu’ils trouveront n’importe quelle justification pour nous attaquer.
Aussi dangereux soit-il, Nerben s’était isolé du reste. J’ai encore tant à affronter. Avec l’impression que ma guerre ne s’achèvera jamais.
Mère, père. Réniol, Chédi. Yuma. J’espère que vous avez atteint la paix. Me débarrasser de votre meurtrier ne semble avoir provoqué qu’un certain soulagement en moi. Il me reste beaucoup à accomplir.
Un poing surgit de nulle part. Bien qu’il reculât sous l’impact, c’était probablement le coup le plus faible qu’il avait reçu. Interloqué, Horis aperçut Fliberth et Vendri, meurtris de la tête aux pieds. Des taches de liquide écarlate marquaient leur foulée tout comme ce fut le cas de Nerben. Ils sont dans un piteux état ! La rogne les habitait encore.
— Il était pour nous ! hurla le capitaine. Nous nous sommes battus corps et âme pour le mettre à terre ! Pourquoi tu t’es ramené quand il était incapable de bouger ?
— Il a massacré toute ma famille, rappela Horis. Il a assassiné ma guide. N’avais-je pas le droit d’obtenir une justice ?
Fliberth voulut répliquer mais déglutit à la place. Lui aussi haletait, observait la dépouille de l’ancien milicien sans piper mot. Il essuya son front ensanglanté avant de s’orienter vers son amie.
— Si c’est ainsi, souffla-t-il. Notre fureur a-t-elle encore raison d’être ?
— Plus maintenant, répondit Vendri. Nerben est mort, et c’est tout ce qui compte. Jawine est vengée. Merci, Horis.
Nulle alacrité n’enveloppa les deux gardes. Pas même un sourire ne germa sur leur faciès souillé. Ils se soutinrent là où se ternissait le contraste, dans l’absence de nuance, à l’extinction de l’existence. Leurs jambes flageolèrent tant qu’ils s’appuyèrent sur l’autre. Sur cette position, leurs sanglots résonnèrent. Horis ne savait comment les interpréter, mais assister à cette scène lui était ardu.
— Êtes-vous soulagés ? osa-t-il demander.
— Il nous faudra du temps, confessa Vendri. Beaucoup de temps.
— Alors nous continuons de partager ce fardeau. Il fallait le faire. Il aurait dû juste mourir il y a bien longtemps. Si je l’avais rattrapé avant qu’il arrive à Thouktra, je…
— Ne ressassons plus le passé, coupa Fliberth. Il nous tourmentera quoi qu’il arrive.
Horis acquiesça. Hélas, il n’a pas idée combien cette affirmation est vraie. Les secondes eurent beau s’égrener, et les soupirs emplir la forêt, l’apaisement peinait à les atteindre. Ils s’étaient tournés vers le nord, constataient l’éclaircissement du ciel par-dessus la cité. Convergence des triomphes ? J’ai quitté un champ de bataille sur lequel nous avions l’avantage, mais je redoutais le pire.
— Et maintenant ? questionna Fliberth.
— Je l’ignore, avoua le mage. J’ai quitté l’empire pour une vengeance personnelle. Même s’il ne me reste plus grand-chose à chérir là-bas, j’ai peut-être la force de récupérer. Vous, d’ailleurs… Je peux vous prodiguer des soins rapides, même si la magie de guérison n’est pas ma spécialité.
— Épargne-toi cette peine, refusa Vendri. Tu es bien érodé, toi aussi. Mais c’est gentil de proposer.
Un sourire éphémère distendit ses lèvres, jusqu’à croiser derechef le regard de son ami.
— Au départ, il n’était pas notre ennemi, mentionna Fliberth.
— Pardon ? fit Horis, dubitatif.
— Je n’avais jamais entendu parler de Nerben avant ce jour… où il a assassiné Jawine. Il sévissait dans l’Empire Myrrhéen toutes ces années. Ma rage persistait quand je t’ai vu le tuer alors que je le souhaitais aussi, mais ton traumatisme est plus long que le mien.
— Nerben a détruit bien des vies. Pas seulement la mienne.
— Il était si brutal, si inhumain qu’il nous a faits perdre notre objectif de vue. Je parie que tu penses à ça aussi, Horis ? Aux ennemis qu’ils nous restent.
Le mage hocha la tête. Écarté de son œuvre, il contempla sa paume, où la circulation de son flux s’était grandement atténuée. Tout se bousculait dans son esprit. Si les hurlements avaient faibli, une trame sibylline continuait de se répandre, où s’esquissait l’envol des condors. Leur sifflement était dirigé contre l’adversité. Au-delà de hordes armées se profilait le symbole du pouvoir suprême.
— Nerben Tioumen a exécuté l’ordre, dit Horis. L’impératrice Bennenike Teos l’a prononcé. Elle ne sera pas si facilement atteignable, je parle d’expérience… Mais tant qu’il me reste un souffle de vie, je dois m’y engager.
— Pas de la petite ambition, commenta Fliberth. Malheureusement, nous ne pouvons pas te suivre. Notre adversaire est ailleurs.
— Godéra Mohild, rappela Vendri. Elle s’est enfuie avec ses miliciens. Elle va peut-être tenter de retourner en Belurdie. S’il nous reste des semblants de force… Il nous faut encore riposter.
Alors nos chemins vont se séparer ? C’était inévitable.
Tandis qu’ils s’apprêtaient à se mouvoir, ils perçurent des bruits de pas. Ils se braquèrent aussitôt, plissèrent les yeux, surtout Fliberth et Vendri qui ne reconnurent pas le profil. Horis, en revanche, avait déjà vu cet homme par le passé. Ses tresses étaient tachées de sang et des lacérations striaient son équipement. Il devait se courber un peu pour se déplacer, main appuyée sur son avant-bras.
— Pour être honnête, avoua Horis, je ne m’attendais pas à te revoir.
— Qui est-ce ? s’enquit Fliberth.
— Je suis Lehold Domaïs, révéla l’homme. Je suis venu prendre mes responsabilités, même s’il est trop tard. La bataille est terminée.
Il avisa ce faisant le cadavre de Nerben. Épaules voûtées, le corps atone, il échoua à soutenir le regard de ses interlocuteurs.
— Vous l’avez fait, murmura-t-il. C’est un soulagement.
— Beaucoup d’autres miliciens vivent encore, provoqua Horis.
— Tu peux m’achever si tu le souhaites. Mon rôle est terminé.
— Qu’as-tu fait ?
Lehold se retourna en direction des murailles, qu’il observa avec regret.
— Je me suis infiltré parmi la garde, révéla-t-il. Pour connaître leurs projets. Je devais éviter de croiser Nerben et les inquisiteurs, car ils m’auraient reconnu. Je savais que les mages commençaient à fuir la ville. Donc j’ai prévenu la communauté restante de leur plan d’extermination. Le temps qu’ils réalisent, ils étaient déjà assaillis. Peut-être que c’aurait été pire sans mon intervention. C’est beaucoup dire, au vu des dégâts irréparables…
Baissant la tête, il refoulait à peine ses tremblements. Lehold persistait à leur tourner le dos pendant qu’ils appréhendaient ses explications. Désormais Horis le considérait sous un angle nouveau. Il a sauvé des vies. Tout comme Nerben, il était chef de la milice, emportant moult mages dans son sillage. Mais dès la séparation des chemins, ils ont pris des décisions radicalement différentes.
— Je ne suis pas tout, avoua Fliberth.
— Alors elle existe, affirma Horis. Cette voie vers la lumière, aussi étroite soit-elle.
— Une bonne action ne rattrape pas les précédentes, contesta Lehold. Il m’a fallu assister à l’incarnation de la turpitude pour réaliser mon erreur. Ai-je pour autant accompli ma rédemption ? Je ne pense pas.
— Nous revenons donc au point de départ. Tu as l’intention de fuir ?
— Me retirer, oui. Quelque part où plus personne ne souffrira de mes choix ou de mon arme. Je l’ai déjà abandonnée.
— Si c’est notre ultime rencontre… Sache que je montrais aucune pitié à l’intention de tes collègues. Je ne compte pas changer.
— Certains étaient mes amis… Mais j’en ai quand même tué plusieurs. Sauf celui qui aurait vraiment dû mourir. La nouvelle du décès de Nerben Tioumen risque de se répandre très vite. Le jour où Thouktra a failli subir le même sort que Doroniak.
Lehold fixa Horis quelques secondes, des sillons creusant sa figure usée, puis recommença à marcher.
— Considérez-moi mort, déclara-t-il. Ce sera mieux ainsi.
Il abandonna ses interlocuteurs dans le doute. Seul Horis observa son départ, détaillant chacun de ses pas, le poing vibrant à hauteur de ses hanches. Je pourrais le tuer aussi… Mais ce serait inutile. Trop de sang a déjà coulé aujourd’hui. À l’aurore des peines quémandait l’apaisement. Le désir de paix, même temporaire, à un endroit où la fatalité avait frappé en masse.
Ce pourquoi Horis renonça à la facilité. S’éloigna de l’obscurité qu’il avait créé.
La lutte reprendra bien assez tôt.
— Des vies peuvent être sauvées, affirma-t-il. Certaines blessures ne cicatriseront jamais, et le souvenir de cette tragédie marquera les habitants à jamais. Mais comme Lehold l’a souligné, Thouktra n’est pas Doroniak. La cité n’a pas entièrement été ensevelie sous les cendres.
Fliberth et Vendri n’avaient guère cessé de pleurer.
— Notre cité…, souffla le capitaine. Théâtre de mille souffrances. Pourrons-nous la rebâtir comme elle fut auparavant ?
— Pas sans ces âmes qui ont maintenu ses flammes et qui ne reviendront jamais, redouta Vendri. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Avec lenteur, avec mélancolie, ils retournèrent auprès des murailles. Derrière eux se dispersaient les survivants, privés de leur famille, de leurs amis, de leur foyer. Ils avançaient aussi, moroses, désireux de s’octroyer un autre départ.
J’ai déjà vécu pire… Mais j’ai déjà vécu mieux aussi.
Il y a si longtemps, ceci dit.
Quand ma famille vivait encore.
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