Seulement ses yeux
J'étais assise à une table au centre de la bibliothèque. C'était la première fois que je venais ici mais j'étais habituée à ce genre d'endroit. J'étais plongée dans un recueil de poèmes de Robert Desnos quand, et je ne sais pour quelle raison, je levai les yeux.
Il ne faisait rien. Il était couché sur sa table, bras sous sa tête, mine boudeuse. Il semblait s'ennuyer. Je le regardai. Et, quand mes yeux croisèrent ses prunelles, je ne pus plus les lâcher. J'étais comme happée par leur profondeur, leur bleu océan, que je me noyais complètement.
Il y avait les autres gens, et il y avait lui aussi qui devaient se demander pourquoi je le regardais comme ça. Mais je m'en fichais, je ne m'en rendais même pas compte : je n'avais d'yeux que pour les siens. Je ne voyais même rien d'autre de lui. On aurait pû me demander de le décrire physiquement que j'en aurais été incapable. Certes, je l'avais vu, mais je l'avais oublié. Seuls ses yeux monopolisaient mon esprit, entièrement.
Je fixai ses prunelles intensément. Leur bleue m'était devenue une véritable drogue en l'espace d'une fraction de seconde. Même si j'avais réussi à y penser, je crois qu'il m'aurait été incapable de me remettre à lire mes poèmes. Ses yeux semblait me murmurer un doux écho, semblable au bercement de la mer qu'on entend dans les coquillages.
Si j'avais eu toute ma tête ce jour là, je vous aurais sûrement répondu qu'une telle scène n'aurait pû m'arriver. En effet, fixer quelqu'un, j'en suis lamentablement incapable : il suffit que j'en croise un pour baisser immédiatement les yeux.
Mais ce jour là c'était différent. Oui, parce que, ce jour là,
Je fixai ses prunelles heureuse
Dans lesquelles je voyais les vagues fougueuses
D'une mer joueuse.
De ses yeux bleus,
J'étais amoureuse.
Seulement de ses yeux.
J'étais heureuse.
Le reste m'importait peu.
J'étais amoureuse
Seulement de ses yeux.
J'étais heureuse.
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