Chapitre 12. Gustave/ Effervescence au café
Le soleil est déjà haut dans le ciel, une belle journée de printemps s’annonce.
Pourtant, je me sens triste : Anne-Sophie envahit mon esprit.
L’haïku de cette matinée est mélancolique, mais lucide.
Après une longue
fusion ton petit cœur
est réduit en cendres
Souriant, Vincent bouscule mes idées noires et me fait sortir du préfa.
— On va au café !
— Pourquoi ?
— Pour fêter l’arrivée de mon girls band.
— Il n’y aura personne !
— Mais non, c’est plein après l’éboulement et la manif, rétorque Vincent, en souriant.
— Après quoi ?
— Sacré Gustave : toujours dans la lune.
Effectivement le café est plein à craquer. Mon père vient de terminer une longue harangue pour défendre le maire.
Tout le monde parle, je commande un café et Vincent savoure un premier whisky.
Les discussions reprennent, je ne sais pas qui est qui, qui parle de quoi … comme d’habitude !
Une femme hurle :
— Il faut virer le maire !
— Mais non, il fait de son mieux, réplique mon père.
— Non c’est un incapable.
— Et un incompétent.
— La preuve tout le monde a démissionné.
— Et ceux qui restent : faut voir.
— Faut voir, toi même, pauvre type !
Mon père intervient pour calmer le jeu :
— Le maire n’est pour rien dans cet éboulement : c’est naturel.
— Et ce bazar, sur la place c’est naturel ?
— Tout de bruit, ces hippies ?
— Tous ces gens qui traînent ?
— Et la drogue, c’est naturel ?
— On va les virer, tous !
— Si vous voulez virer quelqu’un : commencez par moi !!!
Tout le monde se retourne vers Vincent. Vite, la vieille dame, une conseillère municipale, détourne le regard. Personne n’ose affronter ce géant tatoué, passablement énervé, à l’élocution troublée par les cinq whiskies avalés cul sec !
Puis il se met à éclater de rire et tout le monde se détend et se met à parler, en même temps.
Je perds rapidement le fil et ne saisis qu’une partie des échanges.
— Non c’est bien tous ces jeunes : on s’ennuie moins.
— Moi, j’adore la musique.
— Le Maire dit qu’à minuit tout sera fini ?
— Et puis, il y aura plein de jolies filles.
— L’asiatique est superbe.
— Nous aussi, on a des jolies filles.
— Bof, à part Claire !
— Et Pearl c’est chasse gardée !
— Le dernier bal a eu lieu il y a 20 ans.
— Je m’en rappelle ; tu m’as mis la main aux fesses.
— Elles sont tellement grosses, maintenant qu’il faudrait dix mains pour en faire le tour.
— Goujat !
— Le camion arrive demain.
— Elle était toute nue : elle l’a accueilli comme cela !
— Il faudrait organiser un référendum.
— L’ingénieur n’est pas très optimiste.
— Oui, il y aura Cathie la blonde et Katia la brune.
— Au moins, on aura un bel article dans le Dauphiné.
— Bon, moi je préfère la démocratie directe,
— Et Alice s’est mise à quatre pattes, j’ai tout vu.
— Que des menteurs ces journalistes : la couverture de la manif, c’est une honte.
— Bon , pour le bruit , passé 100 mètres, on n’entend rien.
— Et tu as refusé de m’embrasser.
— Il a fait des mesures.
— Les filles font un super show : vous allez adorer !
— Bon remarque, elle a des excuses : son mec n’est jamais là.
— Oui, il faut faire confiance au peuple.
— Personne n’a vu Ahmed ?
— Ici en montagne tous les bruits sont cent fois plus puissants.
— Demain, le temps se dégrade,
— Katia à la batterie, c’est la folie !
Depuis longtemps, je suis parti loin, très loin. Rien n’a de sens et c’est mieux ainsi.
J’aime ces dérives intérieures : une présence absente.
Je suis là, sans être là.
Soudain, je sens en moi une chaleur, un regard.
On me regarde, mais pas simplement comme un objet de curiosité ou de désir.
Non on regarde au plus profond de moi, au plus profond de mon âme.
Une image me vient à l’esprit :celle de l’ange , dans les Ailes du désir de Wenders.
Je chante à mi-voix.
Car les anges fort
silencieux sont parfois
bien trop amoureux
Annotations
Versions