Chapitre 17. Gustave / Un concert inoubliable
Je vois dans tes yeux
bleus d'étranges abîmes de
douceur et terreur
J’improvise, mentalement, ce haïku en remerciant Claire.
— C’est gentil de nous avoir proposé de venir chez vous.
— Mais c’est tout naturel, me répond Claire en souriant.
— Non c’est courageux : tout est possible avec Vincent et Pearl !
— Katia a l’air plus tranquille ?
— Vous verrez bien.
Elle me regarde, peu rassurée. Son inquiétude redouble quand elle voit son salon transformé en studio de télévision.
Vincent nous apostrophe :
— Ah, vous avez vu Philippe ?
— Philippe ? demande Claire.
— C’est mon père. Oui, tout va bien.
— Au fait, cela ne vous dérange pas si je donne une interview à l’équipe de FR3 Rhône-Alpes ?
— Non, bien sûr, répond Claire.
Je me dis que Claire est bien trop polie et gentille : je connais les interviews de Vincent.
Sur la ZAD, cela avait tourné au pugilat.
Je glisse un œil inquiet vers mon ami : il me rassure avec un « peace and love » appuyé.
L’équipe met un temps fou à s’installer.
Je repense au concert : personne ne s’attendait à cela.
Le public étant inhabituel, les festivaliers se mêlaient aux élus. Les chasseurs alpins appelés en renfort, en raison du risque d’éboulement, assuraient la sécurité.
Dès les premières notes, j’ai compris pourquoi Vincent était si satisfait de son nouveau groupe. Pearl, habillée dans une jolie robe Liberty, avait une voix superbe et un jeu de guitare magique.
Katia et Cathie, habillées en geishas, auraient pu en remontrer à nombre de musiciens professionnels. J’aime, modérément, les solos de batterie, mais Katia était époustouflante.
Vincent avait, enfin, trouvé le groupe qu’il cherchait depuis des années.
Le répertoire de Vincent n’avait guère changé : le groupe était récent.
Les élus et les militaires semblaient peu familiers avec les classiques du punk :
Anarchy in the Uk, God save the queen, liar…
Visiblement en forme et amusé par son public, Vincent s’était permis quelques « private jokes », comme faire chanter Pretty vacant aux élus.
L’équipe de FR3 filmait le concert, je me demandais quelle serait la réaction des téléspectateurs en voyant le chœur des militaires reprendre White Riot ?
White riot - I want to riot
White riot - a riot of my own
White riot - I want to riot
White riot - a riot of my own
Je fus agréablement surpris par la deuxième partie : Vincent avait repris le répertoire Punk- Reggae de Katia et Cathie, et le duo bass and drums des filles sur African reggae valait les meilleurs duos jamaïcains.
Haschisch
Feinstes Kaschmir
Edelster türke afganisches Gras
Heureusement le public n’était pas germanophone et le vent, de plus en plus violent, rendaient les paroles inaudibles.
Profitant d’une accalmie, au milieu du morceau Vincent mit une perruque et se lança dans un solo hendrixien. Pearl avait repris la batterie et les deux filles se dénudaient (pas entièrement : elles portaient un justaucorps rose) et mimaient des caresses enivrantes.
Le public riait, criait mais moi je pleurais.
Je pleurais de joie et d’émotion, car Vincent m’avait réservé une belle surprise.
Le groupe se mit à slamer mon poème préféré, ou du moins, le seul de mes poèmes qui avait eu un « petit » succès.
Et Jocaste rit
Et Jocaste jouit
Et Jocaste lèche
Et Jocaste sèche
Tes larmes
Tes armes
Et Jocaste adore
Ton corps
D’enfant
Trop grand
D’enfant
Trop désiré
Trop convoité
Trop puissant
Trop séduisant
Et tes yeux
Trop bleus
Que tu crèveras
Quand tu sauras
Œdipe
Mon enfant
Œdipe
Mon tourment
Et Jocaste se pendra
Quand elle saura
L’amour fou
L’amour fou
L’amour fou
Mais le vent reprit de plus belle et ce fut la panique générale...
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