Chapitre 44. Gustave / Un marché cruel
Tu es partie
Sans dire un mot
Sans un au revoir
Tu es partie
Sans me dire bonsoir
Sans adieux en trop
Tu es partie
Sans parole d'amour
Et pour toujours
Et sans un cri
j'invoque jésus Christ
Et sans un cri
j'invoque jésus Christ
Tu es partie
Me laissant seul
Dans mon linceul
Solitude
Oui solitude
J'ai besoin d'altitude
Seul
Me retrouver seul
Me défaire du linceul
De l'attente
Éprouvante
Épuisante
La cuisante
Défaite
Des amourettes
Qui ne mènent à rien
Sans lendemain
Infects
Faux affects
Partir
S'enfuir
Exil intérieur
Loin des peurs
Des souffrances
De la désespérance
Absolue
Du Christ nu
Abandonné
Par l'humanité
Avec le crucifiement
L'étrange retournement
L'espérance
Immense
Se mua
Ici bas
En culte déprimant
Du sang
Le sacrifice
Du fils
Pour racheter
Nos péchés
Quand
La fin venant
il clama
Une dernière fois
Eli eli
Lema sabachtani
Eli eli
Lema sabachtani
Eli eli
Lema sabachtani
Eli eli
Lema sabachtani
J’ai fini d’écrire le poème que je vais transmettre à Claire.
Soudain une fille habillée ultra- court et atrocement maquillée sonne à la porte.
Je la reconnais et écoute, éberlué, le « marché » qui m’est proposé.
Je toise Anne-Sophie :
— C’est du chantage !
— Non, c’est un marché.
— Tu me demandes un choix impossible.
— Tu ne reconnais pas mes efforts.
— Quels efforts ?
— Le colonel n’est pas mon genre d’hommes et je dois jouer le rôle de pute de bas étage, pour lui plaire : j’ai dû couper dix centimètres de ma jupe la plus courte, maugrée Anne-Sophie.
— Tu as pris plaisir à cela !
— Il adore fesser, insulter, gifler les femmes : j’ai honte de moi !
— Tout cela pour rien.
— C’est de ta faute : j’avais le sauf-conduit pour voir ton père et vous vous lancez dans une expédition débile !
— Tu veux revoir le colonel ?
— Et accepter les fantaisies du monsieur, depuis le fist jusqu’à la sodomie.
— Il libérera Claire ?
— C’est un homme de parole.
— Et tu m’interdis de faire l’amour avec Claire ?
— Pour ton bien, imbécile, le médecin pense qu’elle est contaminée : elle te fera crever.
— Bref tu me sauves la vie ?
— C’est tout à fait cela.
Je reste interdit. Depuis des années, je me pose la question : Anne-Sophie est-elle vraiment méchante ?
Elle se voit comme une femme libre qui sacrifie sa dignité pour moi, et elle est sincère.
J’écris un mot pour tout expliquer à Claire et lui demander son avis. J’ajoute mon poème en post-scriptum. Le gamin va le lancer par le soupirail ouvert de sa cellule.
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