Je ne laisse rien paraitre, mais je sais que l'on vient d'atteindre le point de non-retour. Cette soirée pauvre et sans intérêt vient d'être sauvée, rattrapée au vol par la magnifique entrée en scène de la belle. De tout son naturel, de toute sa beauté et sa richesse, elle est entrée chez moi.

Une énergie nouvelle embrase mon corps et mes pensées. Je redeviens vif, réactif, je ne combats plus personne, je ne force rien. Elle est juste là et je me sens bien. Je trouve en elle un objet de contemplation qui fait mentir tous ces démons qui me tourmentent.

Elle est somptueuse.

Mon dieu, ses cheveux si singuliers, son regard fuyant et sincère qui accompagne un grandiose sourire. Son attitude, son ton, ses habitudes, tout déborde d'intelligence et de réflexes adorables. Elle semble tout comprendre d'elle et des autres, jouant avec eux d'un second degré jouissif et fascinant au possible. Et elle a tant vécu, son passé, son quotidien, ses paroles, ses non-dits, tout fait d'elle une femme passionnante. Mon dieu, je la contemple avec respect et adoration, comme jamais auparavant. Oh oui, je ne peux que l'aimer cette fille.

Alors, quand elle me voit, me parle et me sourit, j'oublie tout. La peur de la mort, la peur de l'avenir, la perte de sens, la séduction de la solitude, tout cela n'existe plus, cela n'a jamais existé. Elle m'insuffle le bien, puisqu'à chaque instant, elle me rappelle que j'ai déjà vécu des moments doux, innocents et heureux, sans lesquels je n'aurais plus d'espoir aujourd'hui.

J'ai la sensation si rare et plaisante d'avoir tant de choses à dire, à écouter, je la sais particulière cette fille. A sa pensée, la solitude se brise, tout simplement. Je rêve de partager un instant avec elle, de ceux infinis et magiques qui te libèrent par les mots et le regard. Je veux la connaitre, tout découvrir d'elle, que je sache pourquoi elle me passionne, comment elle me sauvera de tout.

Je l'aime, parce qu'elle est ma seule perspective d'avenir. Elle est un mystère passionnant, insaisissable qui me pousse, à chaque instant, vers l'inconnu et cela me redonne vie. Et pourtant...

Pourtant, rien n'a changé, ni le monde, ni les hommes, ni ma vie. Aucune peur ne s'est évaporée, aucune question qui me torturait n'a trouvée de réponse. Je vois toujours ces mêmes comportements, ces mêmes injustices et ces mêmes individus qui me dégoutte. Je suis toujours cet homme lâche et hypocrite, ne trouvant pas la force de ses ambitions, qui subit la prostitution sociale et la monotonie sans réagir.

Je mourais peu à peu et voilà l'amour qui réapparaît, comme un réflexe instinctif. Un nouveau fantasme occupe mes pensées. Elle est partout. Je reste dans l'attente de sa réponse, dans la satisfaction de la lire, dans l'analyse de nos rencontres, dans l'imaginaire de nos futures retrouvailles.

Je l'aime oui, parce que j'en ai fait ma seule perspective d'avenir. J'ai besoin d'elle, j'ai besoin qu'elle m'obsède, qu'elle dévie mes pensées et mes doutes quand la solitude m'envahit. Ma vie, mes faits, mes réflexions tourneront autour de cette axe unique, cette nouvelle religion dont la croyance aveugle sera la libératrice d'une logique et d'un raisonnement qui me torturent.

Quand les passions s'oublient et les rêves cessent, quand on cherche de l'aide et que personne ne vient, quand on se sais seul, désespéré, il n'y a que la mystique foi de l'amour pour vous sauver.

Je fais quoi alors ?

J'oublie tout pour me fondre en elle, si je trouve la force de continuer ce jeu idiot, malgré moi ?

Je ne succombe pas à ce piège, pour redevenir un mélancolique sans avenir ?

Je suis un homme de raison, qui tend à devenir fou pour être, au pays des fous, un fou heureux parmi les autres fous, par peur de ne pas mourir seul en ayant la raison.

Et face à ça, il n'y a rien à faire, je le crains.