16 – La caverne
Nous avions avancé, ou plutôt "plané", pendant deux bonnes heures avant d’arriver à destination. Et je peux vous dire que je ne me suis pas ennuyé une seconde. Difficile d’imaginer à quel point les paysages peuvent varier dans un réseau souterrain comme celui de la gigapole 32. J’ai été particulièrement impressionné par les colonies de trivalves géants du tunnel 25 [1]. Visiblement, Zelo n’avait pas trouvé d’autre itinéraire et nous avions dû traverser ce secteur où Jona, l’ancien binôme de Nex, avait péri dans des conditions tragiques. Nous avons fait une halte sur les lieux de "l’accident" pour déposer une gerbe de gougnafiers blancs et nous recueillir un moment. Nex était bouleversée, mais tenait bon.
La fameuse caverne s’ouvrait à droite du tunnel principal, dans un grand virage. Zelo m’expliqua que cette caverne était peu connue car très récente. Devant mon air surpris, il crut bon de préciser :
— On savait qu’il y avait d’immenses cavités souterraines dans ce secteur depuis l’époque de la construction du réseau. On les avait contournées pour éviter de bâtir sur des matériaux fragiles. Un éboulement massif, provoqué par un séisme localisé, a ouvert ce passage sur ce qu’on appelle désormais la Grande Caverne. Tu vas voir, elle est gigantesque !
Zelo avait décidé de faire une pause pour me montrer le site. Les autres étaient également curieux. Cet éboulement avait créé un sentiment d’insécurité chez tous les soussols, ce qui est compréhensible quand on passe la moitié de sa vie dans des tunnels sous la terre.
— Lorsque l’ouverture a été découverte, l’administration était inquiète. On a exploré les abords immédiats de la cavité pour vérifier la stabilité générale, mais personne ne s’est aventuré profondément dans la Grande Caverne faute d’autorisation officielle.
— C’est incroyable ! Il faut consolider le site d’urgence avant de se prendre 50 mètres de roche sur le coin de la gueule ! Les autres se mirent à rire.
— C’est sûr ! me répondit Zelo, mais si tu crois que c’est simple ! Quand le séisme s’est produit, notre direction a déclenché l’alerte. Les autorités de la gigapole ont été prévenues et ont fait appel à un groupe d’experts. Une société est venue depuis Aurexia, une planète du système voisin. Ils étaient tellement experts qu’ils se sont gourés et ont examiné le réseau de transport de la capitale de Vulcania, à deux systèmes solaires d’ici ! Toute l’équipe éclata de rire.
Zelo poursuivit :
— Au début, tout le monde était ravi car le rapport disait que le sous-sol était stable. Ce n’est que plus tard, et par hasard, qu’un stagiaire, un jeune clampin de troisième, a remarqué qu’ils n’avaient pas atterri sur la bonne planète. Résultat, nouvelle expertise.
L’équipe riait toujours.
— Finalement, après plus d’un an, l’entrée de la caverne a été visitée par de vrais spécialistes. Leur verdict ? Il faut consolider toute la zone. Il y en a pour des milliards.
— La vache ! Je vous parie que les impôts locaux vont encore grimper ! J’étais fier de ma blague.
Zelo sourit poliment, mais le sujet ne l’amusait pas vraiment.
— Les travaux sont envisagés, mais cela prendra du temps : financement, appels d’offres, procès pour procédures truquées... Bref, on ne verra rien bouger avant des années. Nous, les soussols, on ferait bien de s'acheter de bons casques de chantier !
Les rires devinrent plus nerveux.
Nous étions désormais entrés dans la caverne. Elle était immense, et un pilier rocheux cyclopéen se dressait devant nous. De chaque côté, de larges galeries s’enfonçaient dans l’obscurité. Des mousses phosphorescentes diffusaient une faible lumière colorée, créant une atmosphère mystérieuse, presque inquiétante.
Derrière Zelo et moi, les collègues avaient allumé leurs projecteurs pour y voir un peu mieux. Nos ombres s’étiraient sur la paroi du pilier géant, déformant nos silhouettes en d’étranges créatures.
— Si tu veux mon avis, Ernesto, ce n’est pas en regardant des ombres projetées au fond d’une caverne qu’on va progresser dans la connaissance de ce monde. Il va falloir remonter à la lumière et comprendre tout ce qui se passe à la surface ! déclara Zelo, soudain philosophe.
— Pour sûr, chef, et on pourrait en profiter pour s’envoyer quelques glucks ! C’est moi qui régale ! lançai-je.
Les collègues laissèrent tomber leurs projecteurs pour applaudir. Nous nous retrouvâmes dans le noir.
Satisfait de mon effet, j’enclenchai mon projecteur ventral pour y voir quelque chose. Le puissant faisceau éclaira le pilier et une étrange structure apparut. Des signes bizarres étaient gravés sous une sorte de plaque en relief.
— Zelo, tu as vu ? C’est quoi, ce truc ? Les experts ont gravé des indications sur le pilier ?
— Tu rigoles ? Ils sont venus en costard, aucun d’entre eux n’a jamais touché un outil de sa vie ! Non, ce truc a été laissé par la civilisation qui vivait dans ces galeries avant la colonisation de la planète par nos ancêtres.
— Quoi ?! Et personne n’est au courant ? C’est une bombe, cette info !
Je n’en croyais pas mes oreilles. Zelo, lui, était calme et répondit avec patience :
— Je sais, c’est énorme. Mais c’est comme ça. J’ai reçu un rapport confidentiel sur cette trouvaille. Quand on a signalé la présence de ces artefacts, les autorités ont décidé un black-out total. Si la nouvelle se répandait, le site serait classé, et on serait obligé de détourner le réseau pour préserver la grotte. Une perte de capitaux gigantesque, que les actionnaires n’accepteront jamais. Du coup, interdiction formelle de pénétrer dans la grotte. Dossier classé secret absolu.
Quand je vous dis qu’on vit une époque formidable…
[1] Voir Ernesto n° 8
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