Cher John,

Nous avions si souvent échangé autour du clivage freudien de la maman et la putain. Le sujet nous paraissait planer bien loin de notre cocon amoureux. Nous pensions être intouchables. Pourtant je suis devenue maman et tu as mis la main sur une putain. Hypnotisé par les lumières de la ville, tu as envoyé valser nos promesses, nos rires et notre tendre complicité. Fini le temps de l’innocence. Bonjour tristesse. Nous avions tant commenté les couples défaits. Les sorties de route et les amours estropiées. Cette fois les misérables c’était nous.

 Je sais que l’insoutenable légèreté de l’être a souvent raison de nos certitudes et que la vie est un long vol au-dessus d'un nid de coucou. Que la condition humaine est une sacrée supercherie et que les temps modernes ne nous épargnent pas. Mais quoi ? Il faudrait se plier au cynisme ambiant ? À ma connaissance, il n’est à l’origine d’aucune grandes avancées. Les draps des infidèles sont le cimetière de la morale et à cause d’eux, nous ne pourrons plus jamais être une exception. Je suis peut-être le dernier des mohicans en matière d’affaire de cœur mais tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes. En ce qui me concerne, je continue de penser que ce qui est à moi est à moi.

 Les jeux d’enfant ne sont pas sans conséquences. Après avoir découvert tes grands écarts avec Fanny, j’avançais la rage au ventre et le myocarde sur le fil du rasoir. Le bruit et la fureur m’ont tenu compagnie des nuits durant. Les neiges du Kilimandjaro se sont abattues sur moi. À vrai dire, lorsque j’eus vent de tes coups de reins, ce fut le début d’un dialogue de sourds entre le bon, la brute et le truand qui cohabitent sous mon crâne. Te pardonner ? Te quitter ? Ou t’abattre de sang froid ? L’impasse totale. La vérité, aussi intolérable soit-elle, c’est que je suis incapable de me passer de toi. Raison et sentiments ne font pas bon ménage.

 Tu étais entré dans mon champ de vision bien avant le début de notre idylle. À chaque fois que tu apparaissais mon cœur cognait dans ma poitrine. À 120 battements par minutes. Puis les derniers morceaux de moi qui luttaient pour ne pas t’appartenir ont cédé dans ta Mustang couleur amarante. Tu as soulevé tant d’incendies dans mon bas-ventre. Avant toi, j’avais seulement connu un avatar d’amourette. L’univers ne m’avait pas encore dévoilé toutes ses saveurs. Aurélien, tu es pour moi le meilleur des mondes.

 Mais toi ma moitié, tu es devenu un étranger, en te mélangeant à une autre. Thelma et Louise en sont passées par là. Elles se sont montrées bien plus intransigeantes que moi. Leurs infidèles ont dû quitter le nid illico presto. Mais ce n’est pas parce-que je prône aujourd’hui la paix, que demain je ne déclarerai pas la guerre. Comme tu le sais, j'ai toujours rêvé d'être un gangster. N’oublie jamais que mon sixième sens ne me fait jamais défaut. Et sois bien sûr que la prochaine fois je viserai le cœur.

 Alors, bel ami, j’espère que désormais tu tireras définitivement un trait sur les liaisons dangereuses et les jeux interdits. Nous avons trente ans et des poussières. Toute une vie à construire. Toi mon premier amour, sois le dernier, je t’en prie. Tendre est la nuit alors retissons nos liens sur l’oreiller et faisons confiance à la promesse de l’aube. Racontons-nous une merveilleuse histoire du temps, qui fera disparaître les blessures et raviver les feux éteints. Soyons patients. Pour ma part, je ferai mon possible pour ne pas sombrer dans la psychose et pour ne pas anticiper de nouvelles erreurs de braguette. Tâchons de nous aimer, ne serait-ce que pour donner l’exemple à Léon. Et n’oublions pas de faire l’école buissonnière de temps en temps. La vie est belle après tout.

Sache que désormais, ce sera nous trois ou rien.

Lucy