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Bien sûr, il serait facile de ma part de définir ma mère comme une femme à tout point de vue attirante. S’il est vrai que l’évocation de son nom suscitait en moi un appétit débordant d’amour et de concupiscence, une autre résonnance se faisait entendre à son appellation et pas des moindres. Quelque chose d’incroyablement plus troublant resplendissait de mille feux à sa souvenance, et ce trouble était sans égal au commun des mortels. Ma mère possédait une particularité des plus plaisantes à entendre. Une particularité qui la différenciait de tous les autres, sans exception aucune. Sa voix, à nulle autre pareille, était angélique. Un charme des plus ensorcelants se dégageait à chaque fois qu’elle ne taisait un seul mot. Ami, il aurait fallu que tu puisses l’entendre pour saisir l’importance du privilège que d’autres ont eu à ouïr ma mère. Dès qu’elle parlait, l’être humain qui se tenait devant vous en apparence se transformait alors en un être céleste. Et pour chaque mot qu’elle prononçait à celles et ceux qui avaient la chance de l'écouter, ceux-là se faisaient suprêmes.
Sa particularité vocale, bien singulière, fit de ma mère une cantatrice mondialement connue et reconnue par ses pairs. Sa renommée avait fait d’elle une personnalité des plus admirée sur cette terre. Elle possédait le talent et la gloire ainsi qu’une fortune qui lui apportait un mysticisme que seul DIEU saurait lui en faire offrande. Quand elle décida de faire ses adieux elle n’avait que trente-deux ans. La nouvelle eut un retentissement monstre aux quatre coins de la planète. Apparemment personne ne comprit pourquoi cette décision fut prise, et à l’instant où ses adieux furent relayés par la presse, un flux d’articles à sensation essayaient tant bien que mal d’expliquer ce souhait surprenant et inattendu qui, au passage, laissait orphelins des millions d’admirateurs, pleurant leur idole, inconsolables de ne pouvoir entendre une toute dernière fois Jeanne Dedzer, « La cantatrice impératrice ». La raison pour laquelle ma mère se refusa pour toujours à sa carrière de chanteuse d’opéra se trouvait être la suivante : un soir d’automne, après une longue tournée sur le continent européen, ma mère contracta une grave maladie qui attaqua principalement ses cordes vocales. Une affliction méconnue qui du jour au lendemain la rendit muette. Cette affliction bien curieuse était en corrélation avec un événement malheureux dont on a coutume de dire qu’il est au contraire bienheureux. En effet ma mère, sous son apparence svelte, se trouvait être enceinte, et l’enfant qui lui poussait sous le ventre se trouvait être moi. Le drame de cette subite aphasie, paraît-il, j’en étais la cause. D’après les médecins le petit être que j’étais alors ne se suffisait pas de sa pitance journalière qui n’avait rien de maigre. J’usais ma pauvre mère jusqu’à l’épuisement, jusqu’à en devenir aphone. Les miracles de la médecine n’étant pas celles que l’on souhaiterait, elle ne retrouva jamais l’usage de la parole. Néanmoins cela, par un beau matin d’hiver, je fus mis au monde dans une douce euphorie le vendredi 23 Février 1973. Il s'est dit, autour d’elle, que voir naître son enfant l’a enthousiasmé d’une émotion sans égale. Je le crus amplement.
A présent que nous formions une famille, il lui fallut trouver un foyer afin de m’y élever. Et c’est à Richevalet, au sein d’un chalet de Haute-Savoie, qui portait le nom de DEUS EX MACHINA que nous posâmes nos valises.
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