CHAPITRE SECOND N°1
Ami, en aparté avec la dépouille de ma mère, j’étais assis sur une chaise en bois, éteint de tout ressentiment. Sans la moindre larme à l’assaut d’un œil chagrin, je me taisais.
Près du lit, le regard ébloui par tant de secret que seule la mort peut receler, dans les premiers instants, j’attendais, contemplant scrupuleusement ma défunte mère avec un désir abscons d’émerveillement et de plaisir. Un homme ordinaire, je le sais, aurait pris le combiné du téléphone pour alerter une tierce personne, moi pas. En aucun cas, je ne voulais avertir quiconque de l’extérieur, rompre le charme ambigu d‘un tel spectacle. J’étais fasciné.
Si de toute évidence, ce n’était pas la sublime tragédie d’un funeste requiem que me jouait l’adversité de la vie en ces instants malheureux mais à l’inverse une mélodie à l'ambiance douce où, sans pleurs, mes oreilles sourdes fixées sur une tête vide, je me sentais merveilleusement bien, je ne craignais en rien les écueils de la mort. Alors, en toute quiétude, je priais pour que rien ne bouge, pour que le temps s’arrête et pour que mon cœur ne stoppe en rien ma vie dans son élan impétueux.
Pourtant, et je te l’avoue ami, la suite me tourmenta. Une troublante agitation sensorielle me posséda. En ce moment de recueillement, étrangement, je me sentis tomber en désuétude. Ma vie, telle une poignée de sable me filant entre les mains, fuyait de tout mon être. Sans que je n’eusse un semblant de contrôle sur ma destinée, désormais, je redoutais le pire. Une certaine idée de la mort commença à se répandre en moi de proche en proche, et force était de reconnaître la « vérité », je me sentais tel un mourant.
Évidemment, je n’étais pas aux portes de mon repos éternel mais, étrangement, à l’instar de la tempête, je devins peu à peu d’humeur orageuse. Celle-ci manifestait à la perfection un semblant de ce que je ressentais au fond de moi par son tumulte et sa colère. C’est là que je pris conscience d’une effroyable vérité : la mort, réelle fin en soi, me harcelait de part en part et j’en étais fâché. Au point d'admettre la mort comme une assaillante à ma vie et à sa marche triomphante. Bref, je réalisais, tardivement, que ma mère était morte et que l’être si mémorable que je ne souhaitais en rien voir mourir s’était évanoui dans le gouffre éternel du néant. Dès lors, je hurlais mon désespoir.
De cette prise de conscience, somme toute naturelle, ma raison commença à divaguer pour s’enfuir vers un horizon des plus ténébreux. Je ressentis alors une douce folie m’atteindre sans réellement comprendre l’exactitude de sa provenance. Sans doute remarquais-je que je me retrouvais seul en cette soirée à cohabiter avec une morte, enfermé sous les toits du DEUS EX MACHINA dont je souhaitais, plus que tout, quitter les lieux. Oui, il me fallait, ardemment, fuir ce domaine où sommeillait cette entité fantôme des plus menaçantes car seul, à présent, j'étais à sa merci.
Néanmoins, je ne pouvais me résoudre à partir sans ma mère et la laisser croupir entre les murs de ce chalet devenu à mes yeux maléfique.
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