Chapitre 8
Les mois qui suivirent se ressemblaient tous. Je devenais de plus en plus autonome vis-à-vis de mes taches à faire et je continuais, chaque soir, de mettre une rose sous l’oreiller de l’Impératrice. Trois mois désormais que j’étais sa demoiselle de chambre et nous n’avions jamais reparlé de ce qu’il s’était passé dans la salle de bain. Chercher ce qu’elle avait essayé de me dire ne faisait que me perturber, m’empêchant de faire correctement mon travail. J’avais fini par oublier. Une fois par semaine, je passais l’après-midi à discuter dans les jardins avec elle. Tous les dimanches après-midi, je donnais des cours de danse réglementaires à des jeunes filles âgées entre treize et dix-huit ans.
Ce matin, Véra s’était levée plus tôt que d’habitude. Quand je me suis réveillée, elle n’était déjà plus là. J’en profitais pour faire le ménage dans la chambre, enlever les fleurs fanées et les bougies usagers.
— Élia, abandonne ce que tu fais et viens avec moi, m’interpella Véra en revenant dans sa chambre. Et mets un gilet, il y a un peu de vent dehors.
— Tout de suite, Ma dame.
Reposant la poubelle à sa place, je récupérais mon gilet blanc dans mes affaires avant de la rejoindre dans le couloir. Je lui tendis mon bras. Au lieu d’enrouler le sien autour du mien, comme à chaque fois, elle mêla ses doigts aux miens, en prenant ma main dans la sienne. Comme la dernière fois, ce contact me fit frissonner et je regardais droit devant moi.
En silence, je la suivis jusqu’aux jardins, près des parterres de rose blanche. Elle s’assit sur l’un des bancs et m’incita à faire de même. Quand elle lâcha ma main, je les coinçais entre mes jambes, tout en regardant le sol, recouvert de feuille et de mousse. Je ne savais pas ce qui se passait, me mettant mal à l’aise.
— Ta mère m’a fait parvenir de l’argent ? commença-t-elle.
— Pourquoi ? m’étonnais-je en relevant la tête, jusqu’à plonger dans ses yeux.
— Tu ne m’avais pas dit que c’était ton anniversaire aujourd’hui.
— Je sais, Ma dame.
— Ta mère m’a demandé de t’acheter un cadeau en particulier, avec l’argent qu’elle m’a envoyé. Et pour te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi depuis trois mois, j’ai participé aussi.
— Vous n’auriez pas dut, Ma dame. Je n’aime pas particulièrement les cadeaux et ma mère le sais.
— Celui-là tu vas l’aimer. Ouvre, enchaîna-t-elle en me tendant une boite.
Hésitante, je l’observais avant de me concentrer sur mon cadeau. Elle avait un si beau sourire. Délicatement, j’enlevais le fin papier cadeau pour découvrir l’emballage d’un téléphone portable.
— Le dernier téléphone qui vient d’être créé. Il n’est même pas encore en vente.
— Comment ma mère a-t-elle eu l’argent pour l’acheter ?
— Comme je te l’ai dit juste avant, j’ai aussi participé. Tu as mon numéro dans ton répertoire de contact. Ce sera plus simple si j’ai besoin de te contacter.
— Je ne sais pas quoi dire. Merci, Ma dame.
— Juste te voir sourire, ça me fait plaisir.
De la poche de son gilet, elle sortit son propre téléphone. C’était la première fois que je la voyais avec. Elle écrivit dessus pendant quelques secondes avant que mon téléphone ne se mette à vibrer, toujours dans sa boite. Elle me sourit et je sortis le téléphone. Sur l’écran d’accueil, je vis un message dont l’expéditeur était Véra : Joyeux anniversaire Élia. Regardant à nouveau Véra, son sourire se fit encore plus grand.
— Ta mère n’a pas de téléphone, reprit-elle, mais elle te souhaite un joyeux anniversaire.
— Merci, pour le cadeau, Ma dame.
— Ne dis pas à Margot que tu as mon numéro, d’accord ? Ce sera notre petit secret.
— Promis, Ma dame, répondis-je en souriant.
Elle m’embrassa sur la joue et se leva. Elle cueillit une Marguerite sauvage et le fit passer au-dessus de mon oreille, la coinçant dans mes cheveux.
— Je t’enverrais un message quand j’aurais besoin de toi. En attendant, fais ce que tu veux, c’est ta journée.
— Merci, Ma dame.
Dans sa démarche élégante, que j’aimais tant, elle s’éloigna. Sa longue robe blanche faisait s’envoler les feuilles de quelques centimètres à son passage. Pas de doute, elle était vraiment très belle. Pendant plusieurs minutes, j’analysais mon téléphone, découvrant tout ce que je pouvais faire avec. J’en avais déjà utilisé, grâce à mon travail à l’auberge du Duc mais c’était la première fois que j’en avais un à moi. Quand je cliquais sur mes contacts, je compris que pour le moment, je n’avais que l’Impératrice. Je cliquais sur son profil et mon ventre se tordit en apercevant la photo qu’elle avait mise. Elle était assise sur son trône dans sa magnifique robe rouge qu’elle avait mis lors de mon premier bal. Celui où elle m’avait demandé d’être sa représentante officielle au bras de Marcus, son cousin. Autant elle était belle en vrai, mais sur cette photo, elle était incroyable.
Durant ses derniers mois, Marcus avait été un véritable ami. Il répondait toujours présent quand j’en avais besoin, donnait une solution à chacune de mes questions même quand elle était idiote. La deuxième personne qui devait être dans mon répertoire, ce serait lui. Pendant de longues minutes, j’observai la photo de Véra, ne parvenant plus à détacher mon regard. Rapidement, comme un flash, je me souvins de ma sœur et de son petit ami. Ils étaient mignons tous les deux, tout le temps à se faire des cadeaux et à s’appeler par des petits noms. L’Impératrice faisait exactement la même chose avec moi. Ce cadeau, mon surnom, les contacts et les caresses. Était-ce ce qu’elle avait essayé de me dire deux mois auparavant, quand elle avait renvoyé Margot pour qu’on ne soit plus que toutes les deux ? Non impossible, ça ne pouvait pas être ça. Une Reine ne pouvait s’intéresser à moi d’une telle façon.
Ignorant les battements de mon cœur qui accélérait en pensant à ça, je regardais dans l’application musique de mon téléphone. Toutes les musiques présentes sur mon MP3 étaient aussi dans mon téléphone. Avait-elle pris mon MP3 à mon insu pour le faire ? Peu importe, je les avais aussi là-dessus et c’était le principal. Comme il y avait des écouteurs sans fils dans la boite de mon téléphone, je les mis dans mes oreilles et les branchais à mon téléphone. Le son était incroyable. Vérifiant qu’il n’y avait personne dans les jardins, je me mis à danser avant de m’allonger dans l’herbe, heureuse.
Quelques minutes plus tard, je reçus un message de Véra. Je n’aurais jamais pu m’attendre à ce que je venais de recevoir. C’était une vidéo de moi en train de danser. Elle avait été prise quelques minutes auparavant. En commentaire il y avait écrit : tu vois que tu danses bien, mon ange. Où était-elle pour avoir pu me filmer ? Observant attentivement la vidéo je remarquais l’angle de vue. Elle devait être en hauteur. Je levai la tête, la cherchant, jusqu’à l’apercevoir accouder sur un balcon. Le soleil illuminait ses cheveux argentés et son grand sourire. Elle était vraiment magnifique.
— Tu viens manger ? Me demanda-t-elle un peu fort pour que je puisse entendre.
— Oui, Ma dame, j’arrive.
Quand elle disparut du balcon, je rangeais mon téléphone et mes écouteurs dans la boite, n’ayant pas de poche ni sur mon gilet ni sur ma robe. Pendant le repas, la tournure que prenait la conversation ne me plaisait guère, sans arriver à comprendre pourquoi.
— Pourquoi ne pas seulement l’envisager, Ma dame ? Je ne dis pas que vous deviez vous marier tout de suite mais…
— J’ai dit non, Margot, n’insiste pas et je suis encore jeune.
— Votre mère avait vingt ans quand elle vous a eu, au plus grand plaisir de tout le royaume.
— Et elle est morte trois ans après ! Je ne compte pas me remarier et de toute façon ça ne servirait à rien.
— Je me dois d’inciter, Majesté. Le Conseil…
— Je me fiche du Conseil, Margot ! s’énerva-t-elle, pour la première fois depuis que j’étais là. Élia, ce soir c’est toi qui partageras ma couche.
J’avalais mes petits pois de travers, m’étouffant. Avais-je bien entendu ? Mon cœur s’accéléra à nouveau dans ma poitrine, faisait monter le sang dans mes joues qui se réchauffèrent.
— Majesté, reprit Margot visiblement choquée, vous ne pouvez pas…
— Je le peux et je le veux. Sors d’ici !
— Excusez-moi, Votre Majesté.
En baissant la tête, elle se leva et sortit de l’antichambre. Je la regardais s’éloigner, oubliant que j’étais désormais seule avec l’Impératrice. Quand elle posa sa main sur la mienne, elle me fit sursauter.
— Excuse-moi de t’imposer ça Élia. Si tu ne veux pas, je comprendrais.
— Ça ne me dérange pas, si c’est ce que vous voulez. Enfin je crois, répondis-je en me frottant la nuque.
— Tu es gênée, je le vois. As-tu encore faim ?
— Non, Ma dame.
— Moi non plus. Comme je viens de renvoyer Margot pour la journée, tu vas devoir la remplacer. Par chance, je vais travailler seule dans mon bureau. Je te demanderais juste de m’apporter deux, trois objets.
— Bien, Ma dame.
— Dans ce cas, ne perdons pas de temps. Plus vite j’aurais fini, plus vite on pourra aller se promener. Tu vas voir, mon bureau est assez chaleureux et tu pourras faire ce que tu veux quand je n’aurais pas besoin de toi.
Elle se leva et attrapa ma main pour que je me lève à mon tour et la suive. Pourquoi fallait-il qu’à chaque fois que nos doigts se touchaient, qu’à chaque fois qu’elle prenait ma main dans la sienne, je frissonnais ainsi ? L’image de ma sœur et son petit ami ensemble me revint en mémoire.
Annotations