Chapitre 14
Les jours qui suivirent la discussion que j’avais eue avec Véra furent compliqués. C’était difficile pour moi d’être près d’elle et en même temps si loin. La journée, je faisais mes taches, l’ignorant le plus possible pour éviter que Margot ne me fasse vivre un enfer. Dès qu’elle en avait l’occasion, Véra m’envoyait des messages, s’assurant que j’allais bien. La nuit, mes pensées ne cessaient de dévier entre Ilena et elle, torturant mes rêves et mes cauchemars. La journée, comme nous ne pouvions parler, elle envoyait Marcus pour s’assurer que je ne lui mentais pas dans mes messages.
Ce matin-là, je prenais mon petit déjeuner en cuisine, seule, musique dans les oreilles. Mon cauchemar de cette nuit m’avait trop bouleversé pour avoir envie de parler avec qui que ce soit. Quand une main se posa sur mon épaule, je sursautais. Je retirais l’un de mes écouteurs et tournais la tête.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur, commença Marcus.
— Qu’est-ce que tu veux ? demandais-je agressivement.
Il s’assit à côté de moi, à cheval sur le banc.
— Je m’inquiète pour toi. On m’a raconté ce qu’il s’est passé cette nuit.
— C’est toi où c’est Véra qui s’inquiète pour moi ?
— Élia…
— Je n’ai pas envie de parler Marcus. Je suis fatiguée.
— Pas étonnant que tu sois fatiguée quand tu dors à peine trois heures par nuit.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Tu dors mal, tu es de mauvaise humeur, je suis ton ami Élia. Je me doute que ça ne doit pas être facile pour toi cette situation. Et si tu as besoin, tu peux me parler. Je peux même faire le relais avec Véra s’il faut.
— Non merci.
— Il serait peut-être temps d’accepter tes sentiments, tu ne crois pas ?
— Laisse-moi tranquille, Marcus.
— Accepte tes sentiments pour elle, Élia.
L’ignorant, je me levais et sortis de la cuisine. Je retournais dans ma chambre et fermais la porte à clé. M’appuyant contre la porte, je glissais jusqu’à m’asseoir par terre. Repliant mes genoux contre ma poitrine, je laissais mes larmes couler. Accepter mes sentiments pour Véra, se serait laissé mes peurs m’envahir. Deux semaines que j’étais dans cette chambre minuscule, deux semaines que je faisais le même cauchemar. Celui où Véra était tuée par ma faute, voire parfois, de ma propre main, sans que je ne puisse rien y faire. Je tenais trop à elle pour éprouver quoi que ce soit, d’autant plus que nous ne pouvions être ensemble à cause de la loi. Nous ne pouvions nous aimer. Dès que je repris mes esprits, je me dépêchais de prendre une douche avant de m’habiller et de monter dans la chambre de Véra, pour faire mon travail.
En entrant dans la chambre, je ne vis personne mais entendis discuter. Elles devaient être dans la salle de bain. J’en profitais pour faire correctement le lit. Véra fut la première à sortir de la salle de bain. Seulement couverte par une serviette, mon cœur rata un battement quand je croisais son regard. Peu de temps après, Margot sortit de la salle de bain à son tour et je baissais les yeux, en ravalant ma salive.
— Bonjour, Ma dame, commençais-je avec une révérence.
— Bonjour Élia.
Reportant mon attention sur mon ménage, je me détournais des deux femmes. Pendant que Margot l’habillait, elles discutaient. Je remplaçais les bougies usagées, jetais les fleurs fanées et voulus récupérer la rose sous l’oreiller de Véra. Au moment où mes doigts frôlèrent le tissu, la main de Véra se referma autour de mon poignet. Au même instant, la porte de la chambre s’ouvrit, laissant entrer un soldat.
— Excusez-moi de vous déranger, commença-t-il. Madame Margot, il y a quelqu’un qui veut vous parler dans la Salle Impériale.
— Qui ?
— Il n’a pas voulu décliner son identité.
— Bien, je vous suis.
Margot m’adressa un regard noir qui se transforma en braise quand elle vit la main de Véra autour de mon poignet. Dans ses yeux, un avertissement. Quand elle s’éloigna ferma la porte derrière elle, les épaules de Véra s’affaissèrent aussitôt, sans lâcher mon poignet.
— Tu as parlé avec Marcus ?
— Oui.
— Et alors ?
— Et alors, rien du tout. Je vais bien, pas la peine d’en faire tout un fromage.
— C’est faux, tu ne va pas bien Élia. Il n’y a pas de rose sous mon oreiller et tu as quand même fait le geste de la récupérer. Ça fait deux semaines que tu oublies. J’ai l’impression de voir un robot, Élia. Tu fais les mêmes gestes, jours après jour, sans même t’en rendre compte.
— Je sais.
— Dis-moi ce qui ne va pas alors.
Enlevant mon poignet de sa main, je m’éloignais d’elle pour aller regarder par la fenêtre. Alors que tout se contredisait en moi, sentiments et devoirs, regarder l’horizon, les jardins m’apaisait. Au claquement de ses talons sur le parquet, je l’entendis se rapprocher de moi.
— Qu’est-ce qu’il y a Élia ? m’interrogea-t-elle à nouveau, dans mon dos.
— Je vous aime, avouais-je subitement. Et…
Je sentis alors le souffle chaud de Véra dans mon cou puis ses doigts frôler délicatement ma clavicule. À son contact, mon ventre se tordit et un frisson me parcourut de la tête au pied. Je fermais les yeux, savourant cet instant. Heureusement que nous étions seules dans la chambre.
— Véra, soufflais-je alors que ses doigts descendaient le long de mon bras pour s’attarder sur ma main.
— Tu veux que j’arrête ? me demanda-t-elle en me retournant.
Elle était si proche de moi, nos visages à quelque centimètre l’un de l’autre. Dans ses yeux, mon reflet. Ils brillaient, me coupant la respiration.
— Non, réussis-je à répondre sans détourner le regard, continuez.
— Margot va bientôt revenir. Si c’est que tu veux, c’est le moment où jamais.
L’avoir si proche de moi, ses doigts qui parcouraient mon bras, son autre main sur ma joue, je ne pus résister à la tentation.
— Je le veux.
J’attrapais sa tête entre mes mains et l’embrassais. Mon cœur explosa en un sentiment de bonheur. Ses lèvres délicates, au goût de fraise, posée délicatement sur les miennes, ses mains au creux de mes reines, c’était parfait. Jusqu’à ce que Margot entrât dans mon champ de vision, m’attrapait par le bras et m’éloignait de Véra violemment. Je dus me rattraper au bureau pour ne pas tomber.
— Arrête Margot ! s’exclama alors Véra.
Dans mon dos, j’entendis les talons de Véra claquer contre le sol dans ma direction. Margot serra à nouveau mon bras, me faisant mal et ouvrit la porte. Elle me poussa et je tombais devant les deux gardes qui surveillaient la chambre continuellement.
— Enfermez là !
— Oui Madame.
À l’unisson, ils m’attrapèrent chacun par un bras pour me relever. Derrière moi, j’entendais Véra crier mon nom et supplier Margot. Une larme coula silencieusement le long de ma joue tandis que les gardes me conduisaient dans un sous-sol humide, froid et crasseux. Ils passèrent des menottes de fer autour de mes poignets avant de me jeter dans une cellule sombre. Je tombais sur le côté et me rattrapais de justesse avec mes mains, avant que ma tête ne touche contre le sol. J’entendis des clés claquer entre elles au moment où la grille de ma cellule se verrouilla.
Je m’allongeais sur le sol froid, dos à la grille, repliais mes genoux contre ma poitrine et fermais les yeux. Je n’aurais jamais dû céder. Elle était Impératrice et je n’étais rien d’autre que sa demoiselle de chambre, sa domestique. Depuis le début, je savais que ça allait arriver, que nous allions finir par être séparés. J’aurais dû m’écouter et ne pas céder. Je n’aurais pas dû l’embrasser.
Annotations